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"Merci pour le tract, mais je ne vote pas, je ne suis pas français"

"Merci pour le tract, mais je ne vote pas, je ne suis pas français"

En dépit d'une promesse électorale du socialiste François Hollande, les étrangers non européens seront toujours privés de vote aux élections municipales prévues en France à la fin du mois. Dans la banlieue parisienne, la résignation est de mise.

Les militants distribuent tracts et sourires entre les étals du marché de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Dans cette banlieue populaire au nord de Paris, ils se heurtent plus souvent qu'ailleurs à un refus poli: "Je ne vote pas, je ne suis pas français".

Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait promis de changer la Constitution pour autoriser les étrangers non européens à voter aux municipales. Une réforme reportée faute d'un soutien suffisant au Parlement.

A Bobigny, où 30% de la population est étrangère, ce sont des milliers de personnes qui ne pourront pas glisser de bulletins dans l'urne les 23 et 30 mars.

"Pourtant, on travaille, on paie des impôts", s'insurge Françoise Jean-Pierre, une Haïtienne de 64 ans, installée depuis 30 ans en France. "Hollande a menti: quand on dit quelque chose, il faut le faire. S'il ne pouvait pas le faire, fallait rien dire !"

Son indignation n'est pas la norme. La plupart des étrangers affichent plutôt de la résignation face à cette promesse historique de la gauche, que François Mitterrand avait déjà négligée après son élection en 1981.

"Si j'ai pas le droit, j'ai pas le droit", glisse fataliste un vieux Maghrébin en djellaba. "Je suis un étranger, c'est les Français qui ont la priorité, qu'est-ce que je peux y faire ?", ajoute un Algérien venu travailler en France dans les années 50.

Malgré leur détachement, les deux "chibanis" (vieux) assurent qu'ils auraient voté si on leur en avait donné le droit. "Bien sûr, on irait, comme les autres", renchérissent Malika et Fatima, deux quinquagénaires arrivées jeunes filles en France.

A l'inverse, une vieille dame camerounaise n'est "pas intéressée". Et ceux arrivés de fraîche date, en provenance du Bangladesh ou du Sri Lanka, ne peuvent même pas échanger avec les militants, faute de parler français.

A l'échelle nationale, si tous les étrangers avaient le droit de vote, le corps électoral augmenterait de 6%, environ 2,5 millions de personnes, mais il est impossible de prédire combien en feraient usage.

Dans les 17 pays européens ayant ouvert le droit de vote aux immigrés, "il y a en général une sous-participation des étrangers, comme s'ils avaient eux-mêmes intégré l'idée que la nationalité donne la légitimité", explique Hervé Andriès, auteur d'une thèse sur le droit de vote des étrangers.

En France, seuls 27% des Européens (qui peuvent voter aux municipales depuis 1998) se sont inscrits sur les listes électorales. A l'inverse, les immigrés naturalisés "votent plus que la population majoritaire, à origine sociale comparable", souligne le démographe Patrick Simon.

"On ne peut donc rien conclure sur leur degré de participation, dit-il. La seule certitude, c'est que les immigrés non européens votent plus à gauche".

Les minorités les "plus visibles" se positionnent en effet à gauche de l'échiquier politique. Selon une enquête de l'Institut national des études démographiques (Ined) codirigée par M. Simon, 39% des Africains du Sahel et 32% des Algériens se disent à gauche, contre moins de 5% à droite, la majorité ne se prononçant pas.

Même si leurs valeurs sont parfois de droite (conservatisme des moeurs, liberté d'entreprendre...), il semble que l'expérience des discriminations "les pousse à soutenir le parti qui leur semble le mieux à même de les défendre", écrivent ses auteurs.

Sans attendre, certains étrangers se sont lancés en politique. A Bobigny, un Marocain arrivé en France en 1970 alpague les chalands avec les tracts de la maire sortante. Il n'a pas "eu le courage" d'entamer les lourdes démarches de naturalisation, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une vision claire de ce qu'il veut pour sa ville. Et, dit-il, "si j'envoie voter cinq personnes, ça compensera le fait que je ne vote pas".

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