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20 ans après le génocide, le Rwanda travaille toujours à sa lente réconciliation

20 ans après le génocide, le Rwanda travaille toujours à sa lente réconciliation

"Je pensais que ce serait impossible de se réconcilier (...) de pardonner à mon voisin qui a tué mes enfants", raconte Immaculée Mukankundiye, dont le mari et les trois enfants ont été massacrés durant le génocide de 1994 au Rwanda.

Pendant des années, le mot réconciliation était absent du vocabulaire de cette femme de 56 ans, appuyée sur sa houe au milieu d'une parcelle à moitié labourée, dans le petit village de Cyendajuru, dans la région méridionale de Butare, à environ 150 km au sud de Kigali.

En 2007, elle a rejoint l'Association rwandaise Modeste et Innocent (AMI), qui cherche à favoriser la réconciliation entre tueurs et victimes. Elle assure avoir désormais "pardonné" au meurtrier de sa famille.

Le 6 avril 1994, l'assassinat du président rwandais hutu Juvénal Habyarimana déclenchait un génocide qui allait faire en à peine 100 jours 800.000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi et auquel a pris part une grande partie de la population.

La province de Butare abritait près d'un quart de la population tutsi du Rwanda et durant 15 jours allait être épargnée par les massacres. Jusqu'à ce que les cerveaux du génocide réussissent à enflammer la région, où plus de 200.000 personnes allait être tuées.

Vingt ans après, malgré les progrès enregistrés, la question de la réconciliation, leitmotiv des autorités de Kigali issues de la rébellion tutsi ayant mis fin au génocide, reste d'actualité, particulièrement dans les zones rurales, où victimes et bourreaux se côtoient au quotidien.

Rescapé du génocide, Laurent Sarambu, 57 ans, croise régulièrement des proches des assassins de ses deux filles, ayant eux-mêmes pris part aux massacres et qui sont revenus au village après avoir purgé leur peine.

"Je ne voulais pas leur parler. Je ne voulais pas les voir. Si j'en avais eu l'opportunité, je me serais même vengé", se souvient-il. Au début, "chacun vivait dans son coin, mais petit à petit (...) l'unité est revenue".

"J'avais peur de rencontrer mes voisins à cause de ce que je leur avais fait", explique de son côté Emmanuel Havugimana, 52 ans, condamné pour avoir profité du génocide pour piller, "mais aujourd'hui, j'ai eu le courage de leur dire la vérité, de leur demander pardon".

Au lendemain du génocide, il fallait "réamorcer la parole", pousser les gens à dire ce qu'ils ressentaient, passer outre "les préjugés", explique Dieudonné Munyankiko, chef de projet adjoint d'AMI qui, depuis 2007, rassemble anciens tueurs et rescapés ou proches de victimes au sein des groupes de paroles.

Au lancement du programme, les intervenants étaient invités à "dire ce qu'ils pensaient les uns des autres", explique M. Munyankiko, "c'était un défi de les faire parler et il fallait prendre des précautions afin d'éviter les altercations".

Pour les rescapés, ceux qui avaient tué étaient des "monstres", et ces derniers pensaient leurs victimes "incapables de pardonner", se souvient-il. Par la suite, des séances d'excuses publiques ont été organisées.

Les anciens bourreaux ont également été aider leurs victimes sur leurs terres, manière de s'acquitter des indemnisations auxquelles les ont condamnés les tribunaux traditionnels Gacaca - qui ont jugé environ 2 millions d'exécutants du génocide - et qu'ils ne peuvent souvent pas payer.

Le non-paiement des réparations est "l'un des grands obstacles à la réconciliation", assure Jean-Baptiste Bizimana, secrétaire exécutif de l'AMI.

En outre, une fois par semaine, les membres du groupe de parole se retrouvent pour des activités communautaires, telles que cultiver ensemble la terre de l'un d'entre eux, victime ou bourreau.

"L'activité communautaire est un moyen d'accélérer la réconciliation", car "génocidaires et victimes ne vont pas naturellement discuter ensemble, partager une bière" ou s'entraider, explique Dieudonné Munyankiko. "Dans ce cadre particulier, ils peuvent discuter tandis que l'esprit est occupé par objectif commun".

Des coopératives ont également été créées pour que les différents membres du groupe soient économiquement interdépendants.

Le processus de réconciliation n'exclut pas des "rechutes, notamment pendant les commémorations, des périodes très chargées émotionnellement", précise-t-il.

Comme après chaque activité en commun, les villageois se rassemblent autour d'une bassine pleine d'ikigage, la bière de sorgho. "Partager une boisson est un signe de confiance", commente Ignace Ndayahundwa, un des conseillers de l'association.

"Je n'aurais jamais pensé que je puisse me réintégrer dans la société comme je le suis aujourd'hui (...) "même si j'ai toujours honte de ce que j'ai pu faire", confie Vianney Nkurikiyumukiza, 48 ans, qui a tué durant le génocide.

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