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Chine: au-delà d'une urbanisation en folie, le spectre de villes sans emplois

Chine: au-delà d'une urbanisation en folie, le spectre de villes sans emplois

Après une vie de labeur dans les champs et les mines du sud-ouest de la Chine, M. Zhang habite aujourd'hui un appartement subventionné en ville, rattrapé par un gigantesque mouvement d'urbanisation destiné à doper la croissance du pays.

Zhang Zongfu apprécie son nouveau chez-lui qui ne lui coûte pas un sou, mais il a du mal à s'adapter à la vie citadine. Ici, le rural de 48 ans n'a ni qualifications ni perspectives d'emploi -- symptôme des carences de la politique urbanistique chinoise.

"Le logement est très bien. Mais à quoi bon avoir un logement si on n'a pas de quoi se nourrir?", s'agace-t-il, assis au milieu de son salon.

Son appartement surplombe des rangées d'immeubles fraîchement terminés, en périphérie d'Anshun, dans le Guizhou. Dans cette province du sud, l'une des plus pauvres de Chine, 180 sites sont en construction pour reloger deux millions de personnes d'ici à 2020.

"Si je n'ai pas de boulot, j'ai du souci à me faire", ajoute M. Zhang.

Depuis son investiture il y a un an, le président chinois Xi Jinping s'est engagé à mieux intégrer les migrants s'installant dans les grandes villes où, faute de permis de résidence, beaucoup se retrouvent marginalisés, privés d'aides sociales ou d'accès aux soins.

Pékin espère ainsi élever le niveau de vie des nouveaux urbains, qui pourront consommer davantage -- et dépenser plus pour l'éducation de leurs enfants --, un moyen de réduire graduellement les criantes inégalités au sein de la deuxième économie mondiale.

Plus de la moitié de la population du pays vit déjà en ville, et en 2030, un milliard de Chinois seront citadins d'après les projections des démographes, soit 300 millions de plus qu'aujourd'hui.

Mais faute d'une économie locale adaptée aux anciens paysans qu'on y loge, les structures urbaines créées ex-nihilo risquent d'être des investissements à fonds perdus et aboutir à des quartiers entiers d'habitants désoeuvrés.

"J'ai observé ce phénomène ailleurs: des gens sont privés du seul moyen de subsistance qu'ils connaissent, et ils ne peuvent plus rien faire", observe Tom Miller, expert basé à Pékin et auteur d'une étude sur les migrations en Chine.

"Si cela se produisait à grande échelle dans le pays, cela risquerait d'entraîner d'énormes problèmes (...) si on se projette dans dix ou quinze ans", poursuit-il.

Leur vie campagnarde manque cruellement aux premiers groupes de villageois ayant emménagé en juin 2013 dans les immeubles flambant neufs de Anshun.

Ils s'inquiètent notamment de la qualité de leur alimentation: par précaution, M. Zhang et son épouse ont stocké de gigantesques sacs de riz dans l'une des trois chambres de leur appartement.

Les villageois se plaignent aussi de n'avoir jamais vu la couleur des compensations et emplois promis par les officiels locaux: on ne leur a guère proposé que quelques jours de formation sur la manière d'améliorer les cultures agricoles.

Une idée tournée en dérision par des résidents qui précisément ont perdu leurs terres: "Il n'y a pas de retour en arrière. C'est trop loin, les champs ne sont plus en culture, nos équipements agricoles ont été vendus, nos fermes détruites", réagit Nuo Mingsheng, un sexagénaire.

"Pour l'instant, je subsiste sur le produit de la vente de mes outils agricoles et autres choses de ma maison (à la campagne), mais je ne sais vraiment pas ce que je vais faire ensuite", ajoute-t-il.

Pour que l'urbanisation puisse avoir des effets vertueux, il faut que les gouvernements locaux s'adaptent à la réalité, avertit Kam Wing Chan, professeur à l'Université de Washington.

"Les bureaucrates suivent les instructions à la lettre sans prendre sérieusement en considération les particularités locales", observe-t-il.

Mais malgré les écueils, le mouvement d'urbanisation de la Chine est inexorable, et l'appel de la ville est irrésistible pour les jeunes ruraux, insiste Jonathan Woetzel, du cabinet McKinsey à Shanghai.

L'absence de permis de résidence ou de promesse d'emploi "n'a jamais empêché personne de quitter sa campagne", explique-t-il.

Cependant, pour Guo Taifu, ancien mineur de 43 ans et père de trois enfants, l'avenir à Anshun reste sombre.

On a offert aux villageois des emplois de construction mais payés une misère, raconte-t-il. "Je suis inquiet, un point c'est tout".

cdh-bur-jug/ml

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