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L'île "laboratoire" où Pékin veut tester son rêve de réunification avec Taïwan

L'île "laboratoire" où Pékin veut tester son rêve de réunification avec Taïwan

Sur cette petite île de la Chine populaire, le dirigeant local adjoint n'est autre qu'un citoyen taïwanais recruté par Pékin, qui a fait de ce territoire "de la patrie commune" le cadre d'une ouverture inhabituelle à l'égard de Taipei.

A quelques encablures du continent, l'île de Pingtan (est) représente la partie de Chine populaire la plus proche de Taïwan, et Pékin rêve d'en faire un laboratoire pour préparer une possible réunification.

En 1949, les troupes nationalistes chinoises, défaites par les communistes, s'étaient réfugiées à Taïwan -- et l'île est restée depuis de facto indépendante de la Chine populaire, même si Pékin continue d'en revendiquer la souveraineté.

Les relations de la Chine continentale avec l'île "rebelle", qui compte aujourd'hui quelque 23 millions d'habitants, se sont néanmoins réchauffées ces dernières années, dopées par l'essor des échanges économiques.

Premier contact officiel entre les gouvernements des deux territoires depuis la fin de la guerre civile en 1949, deux hauts responsables chinois et taïwanais se sont rencontrés le 11 février à Nankin (Chine).

A Pingtan, où les tours modernes se multiplient en bord de mer, on est certes en Chine "communiste", mais les Taïwanais sont invités à travailler pour le gouvernement local, peuvent conduire des véhicules immatriculés à Taïwan et ouvrir des comptes bancaires en dollars taïwanais.

Une expérience initiée et étroitement contrôlée par Pékin: "En somme, les Chinois y fabriquent ce à quoi ressemblerait une future intégration (de Taïwan), mais sans la participation de Taipei", commente Bonnie Glaser, du Centre américain des études stratégiques et internationales.

"Cela pourrait aider certaines entreprises taïwanaises à gagner un peu d'argent, mais j'ai du mal à imaginer comme cela pourrait faire avancer les objectifs politiques de Pékin", a-t-elle expliqué à l'AFP.

Selon elle, l'expérience entamée à Pingtan pour séduire les Taïwanais pourrait même être contre-productive et apparaître aux yeux de Taipei "comme une menace potentielle".

Le continent cherche depuis des années à attirer les Taïwanais --autant leurs investissements que leur savoir-faire, notamment technologique--, à coups de subventions généreuses et de facilités aux entreprises.

Pingtan va encore plus loin: le territoire sera "aménagé de concert, développé ensemble, géré et administré conjointement, pour des bénéfices mutuels", a promis Pékin.

Et le régime communiste a largement dépensé en gage de sa bonne volonté: il a alloué au moins 250 milliards de yuans (30 milliards d'euros) au projet, depuis l'approbation de celui-ci en 2009.

A l'époque, la petite île sur la côte de la province chinoise du Fujian n'abritait qu'un chapelet de modestes entreprises de pêche et n'était pas encore reliée par un pont au continent.

Aujourd'hui, des brochures sur papier glacé vantent des gratte-ciel flamboyants, des villas ombragées ainsi que... "le plus grand musée privé d'Asie" en superficie.

L'économie locale a enregistré une croissance de 16% sur le seul premier semestre 2013, et fin novembre, 129 entreprises à capitaux taïwanais y étaient établies, attirées par les privilèges promis par Pékin, selon la presse officielle.

"On est très heureux de voir ces avantages se concrétiser progressivement", s'est félicité Shuie Chin Te, un homme d'affaires taïwanais de 50 ans récemment rejoint par son gendre.

Cet apparent succès est cependant le fruit d'efforts unilatéraux: le Conseil taïwanais chargé des relations avec le continent a insisté en 2012 pour prendre ses distances, démentant qu'il s'agissait d'un "projet commun".

De façon inédite, Pékin a étendu l'ouverture à la sphère politique, recrutant des Taïwanais aux postes de responsables adjoints dans le gouvernement local.

Pour Chun-Yi Lee, maître de conférence à l'Université de Nottingham, il s'agit d'un "progrès symbolique" et un moyen d'assimiler l'expérience de citoyens de l'autre côté du détroit.

Liang Qinlong, un Taïwanais quinquagénaire expert du secteur financier, a été nommé directeur adjoint du comité de gestion de Pingtan, a indiqué à l'AFP une source officielle.

M. Liang refuse cependant tout entretien avec la presse, en raison de la sensibilité du sujet pour Taipei, a précisé cette source.

Mais parallèlement au boom des infrastructures de l'île, largement financé par de lourds investissements publics, l'activité économique semble encore avoir du mal à suivre le rythme.

Un nouveau port a été bâti pour accueillir les ferries venus de Taïwan... mais aucun service quotidien n'est assuré.

Assis dans la cour --vide de clients-- de son établissement, un restaurateur taïwanais nommé Chang, installé là depuis trois ans, se désole: "Les opportunités semblent illimitées, mais les mesures pour y parvenir se mettent en place bien trop lentement".

Et l'afflux des Taïwanais, comme des continentaux alléchés par les promesses d'essor économique n'a pas fait que des heureux parmi les habitants autochtones de Pingtan.

Nombreux sont ceux qui se plaignent de voir les chantiers de construction embaucher des non-locaux, et le coût de la vie littéralement flamber.

Chen, un pêcheur, a raconté à l'AFP que les maisons des autochtones en bord de mer avaient été abattues par les promoteurs: "Il n'y a aucun bénéfice pour nous", lance-t-il.

Un jeune entrepreneur né dans l'île, Lin Ping, 28 ans, se montre plus optimiste, mettant en avant les nouvelles opportunités apparues grâce à la construction du pont et des routes, qui réduisent les temps de trajet vers le continent.

Mais il n'hésite pas à afficher ses doutes sur les visées politiques de l'opération: "Est-ce que cela contribuera à la réunification? Il est bien difficile de le dire aujourd'hui".

cdh-jug/seb/cac

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