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En Europe de l'Est, le déboisement laisse des plaies toujours plus profondes

En Europe de l'Est, le déboisement laisse des plaies toujours plus profondes

Dans la Vallée de Pojarna, au coeur des Carpates roumaines, seul le murmure de la rivière perturbe le silence. Mais les montagnes alentour ressemblent à un champ de bataille, victimes d'une déforestation sauvage qui s'aggrave en Europe de l'est.

"Ceux qui ont fait ça sont venus avec des excavateurs, ils ont détruit même les pousses les plus jeunes", tempête Gheorghe Ridichie, responsable au ministère des Eaux et des Forêts, en montrant les pentes abruptes hérissées de souches.

Au total 915 hectares de forêts, certaines centenaires, ont été rasées depuis 2010 dans cette région du centre de la Roumanie, selon le ministère. Un "désastre d'une ampleur sans précédent", selon lui.

"En 20 ans, quelque 80 millions de m3 de bois ont été coupés illégalement, provoquant un préjudice de cinq milliards d'euros", indique à l'AFP la ministre Lucia Varga, qui lutte pour l'adoption d'un code des forêts plus sévère.

"Ce qui est plus grave, c'est que le taux des coupes illégales est deux fois supérieur à celui du boisement et de la régénération naturelle. Si cela continue, bientôt il n'y aura plus de bois pour l'industrie ni de forêt pour se promener", met-elle en garde.

Selon des chiffres officiels, les coupes illégales dépistées ont doublé depuis 2007, de 175.000 m3 à 331.497 m3 en 2012.

Doina Danciu, directrice de campagne de Greenpeace Roumanie, confirme une aggravation de ce fléau: "Si entre 2009 et 2011 environ 30 cas de coupes illégales étaient rapportés par jour, en 2012 il y en a eu une cinquantaine par jour".

Complicités des autorités locales, corruption, nombre insuffisant de gardes forestiers, législation déficitaire, cupidité des propriétaires et parfois absence d'autres moyens de subsistance pour les populations expliquent cette situation inquiétante, selon les autorités et les ONG.

Le nouveau code, qui doit encore être adopté par la Chambre des députés, prévoit des contrôles et des sanctions plus sévères ainsi que l'obligation pour les petits propriétaires de faire garder leurs forêts. Actuellement 500.000 hectares de forêts privées ne sont pas surveillées, une proie facile pour les voleurs de bois.

Mais le durcissement de la législation se heurte à des oppositions, les ONG évoquant une "mafia" jouissant d'une certaine bienveillance au sein même des autorités.

"Le bois coupé illégalement est souvent accompagné de documents en apparence légaux mais émis par des sociétés fantômes qui ne sont pas inquiétées par des contrôles", souligne Catalin Tobescu, président de l'association Nostra Silva.

Sur un marché très concurrentiel, le bois est revendu à de grandes compagnies fabriquant des meubles, panneaux de bois et matériel de construction, et qui, selon les ONG, s'intéressent peu à son origine.

Estimé à 4 milliards d'euros --dont 1,3 milliard euros pour l'industrie du meuble--, le secteur sylvicole est dominé par l'autrichien Schweighofer qui a réalisé un chiffre d'affaires de 445 millions d'euros en 2012.

Le groupe, qui compte ouvrir une 5e usine en Roumanie, à Reci (centre), suscite des oppositions des défenseurs de l'environnement et des petits entrepreneurs locaux pour qui cette nouvelle fabrique, devant transformer 800.000 m3 de bois par an, aura des effets "irréversibles" pour les forêts de la région.

"L'ouverture d'un nouveau site n'entraînera pas de surexploitation mais une réorganisation du marché", a assuré la compagnie à l'AFP, ajoutant que la nouvelle usine "encouragera le développement des compagnies locales" et créera quelque 2.650 emplois directs et indirects.

Le déboisement avance rapidement dans toute l'Europe du Sud-Est, menaçant ses forêts vierges --les plus étendues en Europe après la Russie-- et les quelque 8.000 ours, 4.000 loups et 3.000 lynx qui y trouvent refuge.

En Bosnie, où les forêts occupent 43% du territoire, soit plus que la moyenne européenne de 32%, les organisations écologistes estiment l'exploitation illégale à plus d'un million de m3 par an.

"On veut voir si c'est la pauvreté qui en est à l'origine ou une mafia", indique à l'AFP Mersudin Avdibegovic, président d'une association d'experts en sylviculture basée à Sarajevo tout en blâmant "l'absence de mesures pour lutter contre l'exploitation illégale".

En Bulgarie aussi, "les coupes illégales représentent un problème extrêmement grave", même si aucune estimation réaliste des dégâts n'est disponible, souligne pour l'AFP Neli Doncheva, coordinatrice de programme au sein du WWF.

Des mesures visant à enrayer ce fléau ont été adoptées --pour améliorer la traçabilité du bois-- et les sanctions durcies avec des peines de prison allant jusqu'à cinq ans.

Bucarest prévoit pour sa part des amendes jusqu'à 3.000 euros pour toute coupe illégale et promet de boiser un million d'hectares d'ici 2030, alors que les forêts couvrent actuellement 6,4 millions d'hectares.

Mais, souligne Mme Danciu, "même si l'on fait du reboisement, il faudra attendre des dizaines d'années pour que les plaies laissées par les coupes illégales cicatrisent".

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