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Les dozos, chasseurs traditionnels et alliés encombrants de l'Etat ivoirien

Les dozos, chasseurs traditionnels et alliés encombrants de l'Etat ivoirien

Parfois coiffés de masques d'animaux ou recouverts de grigris, tous portent un fusil: les dozos, chasseurs traditionnels accusés de multiples crimes, sont devenus des alliés encombrants pour le pouvoir de Côte d'Ivoire.

Les coiffes les plus extravagantes sont de sortie lorsque les dozos se rassemblent par centaines à Kani (nord-ouest), fin 2013: toques, perruques, fausses tresses cousues sur casquettes, bonnets phrygiens, chapeaux surmontés de boules, de miroirs, de colifichets...

Certains dozos ont recouvert leurs habits de toile de dizaines de grigris et d'amulettes. D'autres paradent le torse enroulé dans des cartouchières gorgées de munitions, leurs longs couteaux fièrement exhibés.

L'identité multiple du dozo, forgée depuis des siècles, est ainsi résumée. Connaisseur savant de la nature, qu'il apprend et comprend grâce à de longues années d'initiation, supposément doté de pouvoirs magiques, comme celui de résister aux balles, le dozo reste avant tout un chasseur traditionnel, que l'on retrouve ailleurs en Afrique de l'Ouest, comme au Mali, au Burkina Faso ou encore en Guinée.

"Avant, le dozo était le protecteur dans le village, c'était l'élément de sécurité. C'était aussi un médecin traditionnel. En cas de maladie compliquée, les gens avaient recours au dozo. Si des animaux féroces attaquaient le village, on l'appelait également", raconte Bakari Ouattara, secrétaire général des dozos de Côte d'Ivoire.

Ce prestige demeure dans les villages, même s'il s'est passablement étiolé. En cause, les bouleversements qu'ont connus les dozos ces dernières décennies.

A commencer par leur nombre. L'Etat ivoirien recensait 50.000 dozos en 1997. Le ministère de l'Intérieur les évalue à 200.000 hommes aujourd'hui. Bien davantage que les forces de sécurité ivoiriennes.

De "faux dozos" ont ainsi opportunément rejoint les rangs de la confrérie pour jouir de ses privilèges lors de la crise politico-militaire de 2000-2011, explique un connaisseur du dossier.

A partir de 2002, la Côte d'Ivoire se retrouve coupée en deux, entre un Sud favorable au régime du président Laurent Gbagbo et un Nord contrôlé par une rébellion pro-Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo ne reconnaît pas la victoire de son rival à l'élection présidentielle fin 2010, entraînant une crise politique et une guerre civile de plusieurs mois, qui a fait plus de 3.000 morts.

Originaires du Nord, tout comme Alassane Ouattara, les dozos s'engagent majoritairement en sa faveur, contribuant à renverser l'ancien chef de l'Etat en avril 2011.

De nombreux méfaits leur sont imputés. En juillet 2011, des déplacés d'une ethnie pro-Gbagbo affirment qu'ils ont pris part au massacre d'au moins six d'entre eux à Duékoué (Ouest).

La presse ivoirienne les accuse en septembre d'avoir tué deux policiers et un gendarme à Yamoussoukro (centre). "Les dozos ne sont impliqués ni de près ni de loin" dans ces meurtres, proteste Bakari Ouattara, qui rappelle que "l'habit dozo se vend au marché".

Début décembre, ils sont l'objet d'un rapport accablant de l'Onuci, la mission de l'ONU en Côte d'Ivoire. Les dozos ont tué au moins 228 personnes et en ont blessé 164 entre mars 2009 et mai 2013, affirme l'Onuci.

Ces chasseurs, également coupables d'"extorsions" lorsqu'ils établissent des barrages sauvages, constituent un "danger" pour leurs "victimes" comme pour "la démocratie ivoirienne", assène Eugène Nindorera, chef de la division des droits de l'Homme de l'Onuci.

Dans certaines provinces, soutient-il, ils se substituent même aux forces de sécurité, absentes, ou combattent à leurs côtés.

"Nous sommes dans un pays pauvre. Nous savons que le gouvernement n'a pas les moyens d'installer la police ou la gendarmerie dans nos villages. Donc nous nous sommes organisés pour pouvoir veiller sur nos populations et nos biens", répond Bakari Ouattara, rêvant les dozos en "auxiliaires de la police et de la gendarmerie".

Les ONG et l'opposition ne le voient pas de cet oeil, mais estiment que le régime d'Alassane Ouattara est trop redevable aux dozos pour pouvoir les sanctionner.

Le pouvoir actuel paie plutôt le laxisme des régimes précédents, explique Daniel Bamba Cheikh, le directeur du cabinet du ministre de l'Intérieur.

"Aujourd'hui, on se plaint que les dozos aient été à la guerre (...) alors qu'on les a laissé prospérer", s'indigne M. Bamba, "surpris" qu'on attende "qu'un problème aussi ancien se résolve d'un claquement de doigt".

L'Etat ivoirien a massivement eu recours à cette corporation dans les années 1990 pour pallier sa propre "passivité" vis-à-vis de l'"insécurité", avant de leur tourner le dos, confirme dans un rapport le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné.

Les autorités assurent vouloir maintenant faire rentrer les dozos dans la rang. Les chasseurs ont accepté "d'être gérés par l'Etat", "désarmés" et de "retourner à leur vocation originelle" de "scoutisme à l'africaine", déclare M. Bamba.

Un recensement de leur population démarrera prochainement, afin de démasquer les faux dozos, qui seront réinsérés dans la vie civile, poursuit-il.

Le président Ouattara, lors de ses voeux début janvier, s'est en tout cas montré très clair. Les dozos, a-t-il affirmé, doivent "se consacrer à leurs activités originelles en évitant de vouloir accompagner les forces régulières".

eak-jf/cac

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