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Soudan du Sud: dans les rues de Bor, l'odeur des corps en putréfaction

Soudan du Sud: dans les rues de Bor, l'odeur des corps en putréfaction

Une odeur de corps en putréfaction et des détritus épars dont des vagues successives de pillards n'ont pas voulu: voilà tout ce qui reste de Bor, ville poussiéreuse qui a changé quatre fois de mains au cours du conflit au Soudan du Sud.

Des toits en tôle, tordus et rouillés --apparemment les restes de stands du marché-- s'amoncellent, enchevêtrés. Dans la rue gisent, épars, des objets dédaignés par les pillards -- morceaux de vêtements déchirés, boîtes en carton, chaussures en plastique dépareillées.

Dans les ruines de Bor, où des centaines de civils ont été tués, parfois d'un coup de feu dans le dos alors qu'ils tentaient d'échapper, règne un inquiétant silence.

"Mon fils a été tué quand les ennemis sont venus attaquer les gens. Mon frère s'est sauvé en courant avec sa famille et mon fils essayait aussi de courir mais (...) on lui a tiré dans le dos", raconte Majuer Garang, à l'ombre d'un arbre, dans les faubourgs de la capitale de l'Etat du Jonglei, au nord de Juba. Les corps des habitants sont restés là où ils sont tombés, sur d'étroits chemins ou chez eux, recroquevillés sous leur lit.

Vers le centre ville, une femme, pieds nus, traverse en toute hâte la rue principale, une table sur la tête. Les habitants ont commencé progressivement à revenir en ville, pour quelques heures, juste pour voir s'il peuvent sauver des biens laissés par les pillards.

Une partie des cadavres ont été entassés dans des tombes vides. D'autres gisent toujours dans les rues.

Le linceul en plastique blanc --désormais couvert d'une épaisse couche de poussière jaune--, qui couvre certains d'entre eux, les dissimule à la vue mais ne parvient pas retenir l'odeur fétide qu'ils dégagent après plusieurs jours ou semaines d'exposition dans une chaleur écrasante. Les piétons passent vite, retenant leur souffle.

Le maire, Nhial Majak Nhial, est en colère.

"Mon plus gros problème n'est pas la reconstruction de la ville, ou son nettoyage, c'est de faire en sorte" que les rebelles qui ont violé et massacré femmes, enfants et ceux qui étaient trop vieux pour fuir, soient "tenus pour responsables" de leurs actes, explique-t-il à l'AFP.

Selon lui, il est encore trop tôt pour que les habitants se réinstallent en ville.

Le Soudan du Sud est en proie depuis la mi-décembre à un conflit entre les forces du président Salva Kiir et de son rival, l'ancien vice-président Riek Machar. Un cessez-le-feu a été conclu le 23 janvier mais n'est que partiellement respecté.

Des dizaines de milliers de personnes ont fui Bor et les villages environnants, affrontant les crocodiles du Nil Blanc et les tirs de snipers situés sur ses rives, prêts à tout pour fuir les combats.

Des centaines se sont noyés. Ceux qui ont réussi à gagner l'autre rive campent désormais sous les arbres dans le comté d'Awerial où certains ont reçu une aide d'agences humanitaires.

La plupart de ceux qui sont restés sont morts.

"Nous attendons que la sécurité s'améliore avant d'appeler la population à revenir. Pour l'instant, ils sont mieux dans le comté d'Awerial qu'ici", dit M. Nhial. Les biens les plus élémentaires, comme la nourriture ou des matelas, manquent à Bor, souligne-t-il.

De l'autre côté de la ville se dresse l'église épiscopale St Andrews, où quarante personnes ont été massacrées. Un immeuble adjacent, incendié, s'est partiellement effondré.

La seule survivante, Deborah Agot Deng, une vieille dame aveugle, habite à quelques mètres de l'église.

"Je suis aveugle mais j'entendais beaucoup d'armes, et autour de moi, les gens criaient, pleuraient, étaient abattus. Je pense que Dieu m'a sauvée", dit-elle à l' AFP.

Elle a dû se cacher pendant trois semaines dans les bâtiments de l'église, jusqu'à ce que la ville change à nouveau de mains et soit reprise par les forces régulières le 18 janvier, de peur que les rebelles ne reviennent la tuer.

Des atrocités similaires ont été commises le long des routes.

Robert Majier Manyang désigne le cadavre de sa grand-mère, âgée de 96 ans, tuée d'un coup de fusil par un rebelle alors qu'elle était allongée sous sa moustiquaire dans sa hutte au toit de chaume.

Les assaillants lui ont volé son bétail, mis le feu à la clôture. Mais son fauteuil roulant est toujours là, intact sous le soleil.

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