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«Cœur», de Robert Lepage : à la rencontre de l'autre (CRITIQUE/VIDÉO)

«Cœur», de Robert Lepage : à la rencontre de l'autre (CRITIQUE/VIDÉO)

Cœur, c’est la rencontre entre deux jeunes adultes, Chaffik, un chauffeur de taxi maghrébin, et Judith, une professeure de cinéma à l’Université Laval, native d’Ottawa. La rencontre amoureuse de ces deux êtres, campée dans la ville de Québec. La rencontre de leurs univers respectifs, de leur culture, de leur passé. La rencontre, houleuse, de leurs familles. Des premières paroles échangées dans le taxi de monsieur jusqu’à la scène finale, cette notion de rencontre de l’autre, d’ouverture, d’apprivoisement, de tolérance, de respect, porte ce récit plein de lumière, malgré des zones sombres.

L’histoire d’amour contemporaine sert de fil conducteur à cette nouvelle œuvre de Robert Lepage, deuxième volet de la tétralogie Jeux de cartes, dont la première avait lieu à La Tohu, jeudi soir. Après la rencontre avec sa douce, Chaffik partira sur la trace de ses origines, une aventure qui le mènera de chocs en surprises, qui lui imposera de composer avec la bureaucratie de l’immigration, qui l’entraînera droit dans le Printemps arabe. Et qui fera dévier son destin à jamais.

Dans Cœur, il y a aussi le magicien français Jean-Eugène Robert-Houdin, qui s’amène en Algérie dans les années 1800, envoyé par le gouvernement français, pour étaler son savoir-faire devant les Marabouts et éclipser leur pouvoir spirituel. Ses illusions mystifiantes sont aussi une part dominante des tableaux qui se succèdent dans Cœur et ouvrent une fenêtre sur des découvertes qui s’imposaient tout juste au siècle dernier, comme la montgolfière et la photographie. On relie les parcours de Chaffik et de Jean-Eugène Robert-Houdin par les tensions qui ont secoué leurs deux époques, en illustrant qu’au fond, plus ça change, plus c’est pareil.

Splendide scénographie

Mais Cœur, c’est surtout une scénographie impressionnante, envoûtante, faite de projections hyperréalistes sur une toile qui peut se déployer à la façon d’un immense dôme ou d’une petite tente. En faisant défiler des images sur ce fond blanc, on donne au public l’impression qu’il parcourt lui-même la route, assis dans le taxi, ou encore qu’il regarde les extraits d’un film. Le procédé est de toute beauté.

Tous les avantages d’une scène circulaire comme celle de La Tohu sont exploités à leur plein potentiel, et certaines trouvailles sont à couper le souffle. Des trappes s’ouvrent sur le sol pour faire apparaître et disparaître les comédiens. Des déplacements s’effectuent avec une telle rapidité et une telle finesse que l’œil a parfois du mal à les percevoir. On métamorphose l’espace en un lieu ou un autre en un clin d’œil. Vraiment, la mise en scène de Robert Lepage, appuyée des éléments techniques de la compagnie Ex Machina, est splendide.

Des symboles évocateurs viennent aussi apporter une dimension silencieuse, mais puissante à l’ensemble. Par exemple, ces personnages qui font le tour de la scène plusieurs fois en marchant à grands pas, pour signifier ces temps qui passent, qui s’égrainent, qui n’en finissent plus, parfois.

En plus de s’extasier sur les prouesses visuelles à grand déploiement, les spectateurs rient à plusieurs reprises pendant Cœur. On y effleure des sujets graves, mais on s’y permet quand même des références à Elvis Gratton et au McDo. Certaines répliques balancées sans préambule sont simplement savoureuses, et des blagues toutes légères font mouche. Les préjugés racistes qui s’échappent, quasi à la seconde, de la bouche de la maman de Judith, sont aberrants, mais font quand même sourire, en ces temps où les «valeurs québécoises» n’ont jamais été autant d’actualité.

Un peu long

Cœur dure 3h30, incluant un entracte de vingt minutes. Pour une prestation du genre, est-ce trop long? Oui, sans conteste. On aurait eu avantage à resserrer certains segments, à sabrer dans des longueurs inutiles qui s’infiltrent ça et là. À la fin de la soirée, jeudi – le spectacle s’est terminé sur le coup de minuit - les bâillements commençaient à s’élever un peu partout dans la salle et plusieurs gigotaient sur leur siège. Ce qui n’a pas empêché la foule de se lever d’un bond, à la tombée du rideau (de la toile?), pour acclamer les sept acteurs, qui accomplissent un formidable boulot.

Ici et là, à l’entracte, on soufflait que Cœur avait indéniablement plus de qualités que son prédécesseur, Pique, aussi présenté à La Tohu, deux semaines plus tôt. Il faudra patienter encore un peu avant de savoir si Trèfle et Carreau, qui compléteront le projet, mais ne sont pas encore créés, seront à la hauteur des attentes.

Cœur est présenté à La Tohu jusqu’au 9 février. Pour informations : www.tohu.ca.

Robert Lepage présentera «Pique» et «Coeur»

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