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L'Allemagne du XXe siècle alimente la "guerre de mots" entre Pékin et Tokyo

L'Allemagne du XXe siècle alimente la "guerre de mots" entre Pékin et Tokyo

La Chine et le Japon, en quête de munitions dans leur joute diplomatique, épluchent les pages de l'histoire allemande, depuis la Première Guerre mondiale jusqu'à l'après-nazisme, y puisant chacun des références pour diaboliser l'adversaire.

Sur ce champ de bataille verbale, les soubresauts de l'Allemagne font office pour les deux puissances asiatiques tour à tour d'avertissement, d'épouvantail ou de modèle.

Des médias officiels chinois ont ainsi comparé le Premier ministre japonais Shinzo Abe au dirigeant nazi Adolf Hitler, autant pour sa rhétorique belliqueuse que pour sa réticence à reconnaître les crimes commis par l'armée nippone en Asie orientale dans les années 1930 et 1940.

M. Abe, de son côté, a évoqué cette semaine au Forum économique mondial de Davos le spectre du premier conflit mondial, estimant que les relations sino-japonaises contemporaines ressemblaient à celles entre la Grande-Bretagne et l'empire allemand en 1914: leurs amples échanges économiques ne les avaient pas empêchés d'entrer en conflit.

"Je suis persuadé que nous sommes dans une situation similaire, et nous ne voulons pas qu'un conflit éclate de façon non intentionnelle", s'est-il inquiété.

Les deux pays sont engagés dans un vif différend territorial autour d'un archipel administré par Tokyo mais dont Pékin revendique la souveraineté.

Certains commentateurs ont évoqué ces îles comme "un possible Sarajevo": ville où était survenu un assassinat ayant servi de déclencheur à la "Grande guerre" il y aura 100 ans en juillet.

Des comparaisons vigoureusement écartées par Qin Gang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui, soucieux de rappeler les lointains précédents de "l'impérialisme" nippon, a mentionné jeudi l'affrontement du Japon avec la Russie tsariste... dès 1904-1905.

Les officiels chinois s'étaient aussi référés volontiers au Troisième Reich, après la visite de Shinzo Abe le 26 décembre au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, symbole à leurs yeux du passé d'agression du Japon.

Y sont honorés les 2,5 millions de soldats japonais morts durant les guerres modernes, mais aussi 14 criminels de guerre condamnés en 1946: "les Nazis de l'Orient" selon Qin Gang.

Le Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste au pouvoir, a publié un article intitulé "Abe a en lui l'ADN d'Hitler", tandis qu'une caricature du journal officiel Global Times diffusée cette semaine montre un drapeau japonais ensanglanté et affublé d'une croix gammée.

"C'est de la propagande! C'est une façon de manipuler l'histoire et de détourner l'attention des problèmes auxquels la Chine est confrontée", a indiqué à l'AFP Torsten Weber, historien de l'Institut allemand des études japonaises à Tokyo.

Une propagande nationaliste qui se nourrit de certaines remarques de responsables japonais, lesquelles avaient provoqué au Japon même de vives controverses.

"La constitution de (la république de) Weimar a été discrètement remplacée par la constitution de l'Allemagne nazie: pourquoi ne pas s'inspirer de leur tactique?", s'était interrogé en juillet le vice-Premier ministre Taro Aso, discutant d'une réforme de la constitution pacifiste du pays.

La manière dont les dirigeants allemands de l'après-guerre se sont confrontés au passé nazi fait par ailleurs l'objet de louanges dans la presse chinoise, qui condamne l'absence de mémoire et de contrition des dirigeants nippons.

L'agence Chine nouvelle a ainsi appelé Abe à imiter le chancelier Willy Brandt, qui s'était agenouillé devant un monument commémorant la sanglante insurrection du ghetto de Varsovie en 1943.

Pour Robert Dujarric, directeur d'un institut à la Temple University Japan à Tokyo, l'indignation et la colère de Pékin servent une stratégie délibérément orchestrée.

"La Chine appelle les dirigeants japonais à se comporter comme les responsables allemands car elle sait qu'ils n'en feront rien et que la comparaison écorne l'image du Japon", a-t-il expliqué.

En 1995, le Premier ministre japonais Tomiichi Murayama avait exprimé "des excuses claires" pour le passé militariste de l'archipel, a rappelé de son côté Yoshiaki Yoshimi, professeur d'histoire à l'Université Chuo de Tokyo.

"Le problème est qu'Abe se comporte comme s'il ne se sentait pas tenu par cette déclaration", a-t-il ajouté.

Enfin, il paraît délicat de renvoyer dos à dos les atrocités commises par l'armée japonaise (dont le massacre de Nankin en 1937) et le génocide des Juifs perpétré par les Nazis, avertissent des experts.

"Il n'y pas eu d'Holocauste commis par les Japonais. Il n'y a pas d'Hitler nippon", insiste Torsten Weber. Etant lui-même allemand, il estime par ailleurs que l'on "accorde trop de crédit" à la capacité de l'Allemagne à surmonter son passé, lequel continue de hanter la conscience du pays.

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