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Des fortunes de l'élite chinoise ont été transférées dans des paradis fiscaux

Des fortunes de l'élite chinoise dans des paradis fiscaux
anse lazio beach at praslin...
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Des milliers de membres de l'élite économique et politique chinoise, dont des proches de dirigeants du parti communiste, ont investi une partie de leur fortune dans des paradis fiscaux.

Un texte de Frédéric Zalac

Les noms de près de 22 000 Chinois se retrouvent dans des données confidentielles obtenues par un regroupement international de journalistes d'enquête dont fait partie Radio-Canada. Les autorités chinoises tentent d'étouffer ces révélations qui pourraient déstabiliser le régime.

L'International Consortium of Investigative Reporters (ICIJ), un regroupement de journalistes d'enquête basé à Washington, a obtenu des millions de documents secrets qui risquent de causer bien des soucis au régime chinois.

Ces documents révèlent une utilisation étendue des paradis fiscaux, comme les îles Vierges britanniques, par la classe dirigeante chinoise, qui a largement profité des réformes économiques enclenchées dans les années 1990. La fuite contient les noms de clients chinois de deux firmes qui créent des sociétés, des fiducies et des comptes bancaires à l'étranger.

Parmi eux figurent des proches d'anciens leaders communistes comme Deng Xiaoping, Li Peng, Hu Jintao et Wen Jiabao. Le gendre du président actuel Xi Jinping a créé une société aux îles Vierges britanniques.

Les données contiennent aussi les noms de certaines des personnes les plus puissantes et les plus riches de la Chine, dont ceux de membres du Congrès national du peuple, de dirigeants de sociétés d'État et de gens d'affaires.

La fuite ne contient pas d'information sur les montants cachés à l'étranger, mais, selon l'Institut Peterson d'économie internationale, plus de 1000 milliards de dollars en capitaux auraient quitté la Chine depuis l'an 2000.

Le professeur Thiberghien croit que ces révélations susciteront de vives réactions chez les citoyens chinois. « C'est la première fois qu'ils vont faire face aux données, aux noms des personnes, à l'étendue du problème, et donc ça va créer beaucoup de colère et d'intérêt.dans l'opinion publique, qui est en ce moment assez remontée contre les inégalités, contre les abus des élites et contre la richesse inégale. »

Écart entre riches et pauvres

Depuis son ouverture aux marchés, la Chine fait face à une augmentation grandissante de l'écart entre les riches et les pauvres. Ceux qui ont bénéficié des réformes accumulent une part considérable de la richesse du pays.

L'ancien ambassadeur du Canada en Chine Fred Bild croit lui aussi que les données obtenues par l'ICIJ posent un problème d'image pour les dirigeants du régime chinois, qui se présentent encore comme des communistes qui travaillent pour le bien du peuple.

« Il est généralement admis que la plupart ont des enfants et des épouses qui sont dans les affaires, mais ils n'aiment pas voir des chiffres publiés sur les fortunes que ces membres de la famille ont accumulées », explique-t-il.

Un couteau à double tranchant

Depuis qu'il a pris le pouvoir en 2012, le président Xi Jinping fait campagne contre la corruption qui ronge son pays et qui mine la stabilité du régime. Les données sur l'utilisation des paradis fiscaux pourraient l'aider à faire avancer ses réformes, mais c'est un couteau à double tranchant, selon Yves Thiberghien.

« C'est vrai que ça va accélérer ce sentiment de colère. Et là encore, il y a l'ironie : soit ça continue à mettre en jeu la légitimité du régime, soit ça donne une chance à Xi Jinping d'accélérer ses réformes anticorruption. En tout cas, c'est un tournant important », souligne le professeur Thiberghien.

Pour l'instant, les autorités ont choisi la ligne dure. Elles ont écrasé des mouvements de citoyens qui réclamaient que les dirigeants chinois dévoilent publiquement leurs avoirs. En novembre dernier, elles ont aussi muselé le journal chinois qui participait à l'enquête de l'ICIJ en lui interdisant de poursuivre sa collaboration ou de publier le dossier.

Mais des médias du monde entier, y compris Le Monde, la BBC, The Guardian, des journaux de Hong Kong et de Taiwan, publient simultanément les résultats de cette enquête. « Il y a 500 millions de personnes en Chine qui ont accès à des médias sociaux », rappelle Fred Bild.

« Alors vous vous rendez compte du travail que doit faire l'administration centrale pour contrôler ça. Ces informations que vous êtes en train de discuter, de publier, on va essayer de les bloquer, mais ce ne sera pas entièrement possible. Avec le temps, ça va se répandre, et les séquelles de cela sont imprévisibles », conclut-il.

Tous les noms seront dévoilés par l'ICIJ jeudi.

Avec la collaboration de Marina Walker Guevara, Gerard Ryle, Alexa Olesen, Mar Cabra, Michael Hudson et Christoph Giesen