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Les C. A. : club d'initiés ineptes ou chiens de garde aguerris?

Les C. A. : club d'initiés ineptes ou chiens de garde aguerris?

Les conseils d'administration sont entourés d'une aura tenace de préjugés. Club d'initiés qui tranchent des questions cruciales pour l'entreprise ou petit groupe travaillant derrière des portes closes, le « old boys' club » a bien changé depuis deux décennies.

Un texte d'Anne Marie Lecomte

« Dans le passé, les réunions de C. A. n'étaient pas si longues et elles se faisaient de manière informelle, avec un bon repas, explique Jean Bédard, professeur à la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval. Maintenant ce sont des réunions durant lesquelles les gens passent des heures et discutent de sujets importants, en remettant en cause des éléments au niveau de la direction, dans les compagnies par exemple, tant en matière de contrôle que de stratégie. »

Tout commence souvent par un scandale...

Jean Bédard s'intéresse aux problèmes de gouvernance depuis près de 30 ans. Dans les années 1980, ce sont des scandales survenus dans de grandes entreprises, telles que les banques de crédit locales, qui ont piqué la curiosité de ce vérificateur comptable de formation. Autre scandale : la chute d'Olympia and York Developments, le décès en octobre 2013 de Paul Reichmann a ramené en mémoire la chute mémorable en 1992 de ce grand groupe immobilier canadien. « Chaque crise apporte son lot de questions et mène à de nouvelles réglementations », affirme M. Bédard.

Le C. A. doit donner le ton à la haute direction

Les membres d'un conseil d'administration ne sont pas là pour l'apparat. Ils doivent jouer un véritable rôle de chien de garde, notamment pour mettre le haro sur les écarts possibles de la haute direction de l'entreprise. Car, le rapport Treadway, produit aux États-Unis en 1987, a révélé que c'est au niveau de la haute direction d'une compagnie que les fraudes les plus importantes risquent de se produire.

Or, les systèmes de contrôle interne ne suffisent pas toujours à détecter ces errements. « Si vous voulez bien contrôler votre président, votre directeur des finances, eh bien, c'est par le conseil d'administration que ça se fait, explique Jean Bédard. Le C. A. est le patron immédiat du président et du directeur des finances. L'environnement de contrôle, comme on l'appelle, vient du C. A.. C'est le C. A. qui donne le ton à la haute direction. Après, ça descend dans le reste de l'entreprise. »

Miser sur la gouvernance

« L'objectif du conseil d'administration, c'est d'assurer le bon fonctionnement de la compagnie et de veiller à ce que cette dernière survive », rappelle le professeur Bédard.

Pour ce faire, au cours des deux dernières décennies, des changements importants ont été apportés grâce aux grandes réflexions qui ont été menées au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces travaux de réflexion ont profondément changé tant la composition que le fonctionnement des conseils d'administration.

Au Canada, il y a eu le rapport Dey et la Commission Saucier; aux États-Unis, la Commission Treadway et, au Royaume-Uni, le rapport Cadbury.

Le rapport Dey

Produit par la Bourse de Toronto en décembre 1994, le rapport Dey s'intitulait : Where were the directors? Traduction : Où étaient les administrateurs? Constat désolant, la question est encore d'actualité alors qu'après moult scandales et controverses, on devrait l'avoir réglée, affirme en substance Jean Bédard.

Tout n'est pas sombre toutefois, selon le professeur de l'Université Laval qui explique que les responsabilités des C. A. ont été nommées et précisées. « Le système ne cesse de s'améliorer », assure-t-il.

L'indépendance, les idées neuves et du sang frais

« Superviser la direction d'une entreprise alors que votre conseil d'administration est composé, en grande partie, de membres provenant de l'interne est l'équivalent de se superviser soi-même », ironise Jean Bédard. Mais selon ce dernier, les conseils d'administration comptent plus de gens provenant de l'extérieur désormais, ce qui apporte « du sang neuf et des idées fraîches ».

Cette amélioration notable tire son origine des conclusions du rapport Dey notamment, qui recommandait la création, pour les C. A. de comité de nomination indépendants.

La Bourse de Toronto a adopté les 14 recommandations du rapport Dey pour établir des lignes directives pour les sociétés cotées. En 2004, les autorités en valeurs mobilières ont repris ces lignes directives, un progrès significatif, selon Jean Bédard.

Toutefois, « toutes ces lignes directrices - incluant la nomination d'un comité des candidatures et d'un comité de la rémunération composé entièrement d'administrateurs indépendants - sont volontaires. Le règlement oblige toutefois la compagnie à fournir de l'information sur ses pratiques de gouvernance. Par exemple, pour le comité des candidatures, l'entreprise doit indiquer si le conseil d'administration a, ou non, un comité des candidatures composé uniquement d'administrateurs indépendants », souligne le professeur Bédard.

Ces lignes directrices sont-elles suivies? « Je n'ai pas de statistiques à cet effet », répond Jean Bédard.

Au Canada, les conseils d'administration fonctionnent selon l'approche « comply or explain », selon laquelle ils acceptent de suivre les règles communément établies, faute de quoi ils doivent expliquer publiquement pourquoi ils ont choisi de déroger aux règles.

Poser de bonnes questions et obtenir des réponses

Il y a une dizaine d'années, l'Université du Québec à Montréal (UQAM) a eu son lot de déboires, des controverses ayant entouré la construction de certains de ses immeubles, le projet de l'Îlot voyageur et le Pavillon des sciences. C'est en 2003 que l'UQAM avait élaboré ces ambitieux projets de construction. Des projets qui ont finalement mené l'institution dans un gouffre financier et qui ont même mis en péril la capacité de l'institution à assurer sa mission.

« Un rapport du vérificateur général avait dit que le conseil d'administration n'avait pas joué correctement son rôle », rappelle Jean Bédard. Dans ce cas, les gens avaient posé les bonnes questions, mais n'avaient pas assuré le suivi. On remettait aux calendes grecques la réponse à leurs questions qui portaient, justement, sur les investissements dans ces bâtisses-là. Poser les bonnes questions et obtenir des réponses permet d'évaluer la haute direction. »

Travailler en équipe et éviter de tourner en rond

« Les gros problèmes des conseils sont souvent ceux-là : les gens sont compétents, mais ils ne sont pas capables de poser des questions et de poser ces questions correctement, sans briser la culture d'entreprise, avec stratégie. »

Accompagner est un rôle important des C. A., explique Jean Bédard. « On va aller chercher des ressources en des gens qui connaissent le domaine et qui fourniront une seconde opinion, qui valideront nos idées et discuteront de nos projets. »

Une entreprise a beau disposer du meilleur conseil d'administration qui soit, la réponse à la saine gouvernance repose, néanmoins, sur les épaules de la direction. D'où l'importance de bien composer le C. A.. « De plus en plus de gens s'intéressent à la gouvernance, il y a des formations qui sont offertes. De la relève s'en vient et il y a une plus grande ouverture par rapport à ça que par le passé. Les murs changent. Auparavant, on choisissait notre petit groupe d'amis... Maintenant, des comités de nomination et des firmes de chasseurs de têtes élargissent l'éventail de personnes qu'on peut aller chercher. »

Mais, la nature humaine étant ce qu'elle est, les patrons vont chercher des gens qui partagent leurs idées et qui « ne viendront pas faire du trouble », résume Jean Bédard. C'est le dilemme de la poule et de l'oeuf : qui donne le ton, le C. A., ou le patron?