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En Turquie, le "sultan" Erdogan à nouveau au coeur de la tourmente

En Turquie, le "sultan" Erdogan à nouveau au coeur de la tourmente

Onze ans à la tête du gouvernement ont fait de lui le maître incontesté de la Turquie. Symbole du bond en avant économique du pays, Recep Tayyip Erdogan, éclaboussé par un scandale de corruption sans précédent, est aussi devenu sa figure la plus contestée.

A presque 60 ans, le Premier ministre s'est imposé comme la personnalité la plus influente depuis Mustafa Kemal Atatürk, le "père" de la Turquie moderne.

Mais, six mois seulement après la fronde populaire qui a fait trembler les bases de son gouvernement, sa position paraît aujourd'hui menacée comme jamais. Depuis bientôt deux semaines, la justice et ses rivaux dénoncent les turpitudes financières présumées du premier cercle de M. Erdogan, y compris celles de son premier fils Bilal.

Des hommes d'affaires et des élus proches du régime ont été inculpés, trois ministres ont démissionné et le gouvernement a été profondément remanié. Mais l'opposition continue à critiquer, la rue à gronder et les marchés financiers à s'inquiéter.

Face au scandale, le Premier ministre a repris l'une de ses stratégies favorites, celle de la victime, déjà adoptée pour contrer les manifestations dites de "Gezi" en juin.

Depuis quelques jours, Recep Tayyip Erdogan bat donc les estrades dans tout le pays pour nier catégoriquement les accusations de corruption qui pèsent sur son entourage et dénoncer la "conspiration" d'un "groupe criminel" pour mettre à bas la Turquie.

"Ils ont échoué lors de Gezi. Maintenant ils font une nouvelle tentative. Mais ils ne réussiront pas", assure-t-il devant ses partisans.

"Il n'est pas du genre à dire +oui, je me suis trompé+. Sa meilleure défense, c'est l'attaque", observe Cengiz Aktar, professeur de sciences politiques à l'université privée Sabanci d'Istanbul, "jusque-là, cette stratégie lui a toujours réussi".

C'est en cultivant cette image d'homme fort, conservateur et proche des préoccupations du Turc de la rue que ce gamin des quartiers pauvres d'Istanbul, très pieux, a gravi les marches du pouvoir, de la mairie de la plus grande ville du pays à la tête du pays en 2003.

Pendant des années, le modèle de démocratie conservatrice, alliant le capitalisme à un islam modéré, défendu par M. Erdogan a enchaîné les succès, dopé par des taux de croissance économique "chinois".

Réélu haut la main en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il semblait alors installé au pouvoir pour très longtemps. Limité à trois mandats, le Premier ministre s'est alors pris à rêver de l'élection présidentielle d'août 2014.

Mais ce scénario a déraillé en juin. Pendant trois semaines, plus de 2,5 millions de Turcs ont exigé dans la rue la démission du "sultan" Erdogan, lui reprochant pèle-mêle sa folie des grandeurs, sa main de fer et ses mesures de plus en plus ouvertement "islamistes".

Sûr du soutien d'une majorité de la population, le chef du gouvernement a renvoyé ses critiques aux élections et réprimé sévèrement la contestation, écornant son image aussi bien en Turquie qu'à l'étranger.

"Il n'a pas compris cette fronde contre lui et n'a su reprendre le contrôle que par la force", commente un diplomate, "mais cette attitude a divisé son camp".

Ces fractures sont depuis apparues au grand jour. Longtemps son alliée, la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen a déclaré la guerre au gouvernement, contre son projet de supprimer certaines écoles privées qui constituent une manne financière pour ce mouvement très influent dans la police et la magistrature.

Dans ce contexte, le scandale politico-financier qui a éclaté le 17 décembre a encore un peu plus affaibli la position du Premier ministre.

Cinq députés ont déjà claqué la porte de l'AKP et d'autres pourraient suivre. "Les critiques que suscite Erdogan dans son propre camp ont atteint des proportions inouïes", juge Cengiz Aktar, "la question de son avenir politique est posée et l'hypothèse de son remplacement plus que jamais d'actualité".

"Il faudra observer dans les prochains jours l'attitude de personnalités centrales et fondatrices de l'AKP qui, à l'instar (du vice-Premier ministre) Bülent Arinç ou (du président)Abdullah Gül, entretiennent un contentieux et une rivalité de longue date avec Recep Tayyip Erdogan", observe lui aussi Jean Marcou, de l'Observatoire de la vie politique turque.

MM. Arinç et Gül sont réputés proches de la confrérie Gülen. Et comme l'écrivait dimanche l'éditorialiste du quotidien d'opposition Cumhürriyet Can Dundar, "les mariages forcés peuvent facilement voler en éclats".

pa/abk

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