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Turquie : la police, rouage essentiel du pouvoir islamo-conservateur, cible d'une vague de purges

Turquie : la police, rouage essentiel du pouvoir islamo-conservateur, cible d'une vague de purges

La vaste purge lancée au sommet de la police turque dans la foulée de l'opération anticorruption qui éclabousse le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, illustre l'importance que cette institution revêt aux yeux du gouvernement.

Depuis mardi, près d'une cinquantaine de hauts gradés de la direction nationale de la sûreté ont été démis de leurs fonctions, dont le préfet de police d'Istanbul Hüseyin Capkin.

Mercredi, M. Erdogan lui-même leur a reproché d'avoir "abusé de leurs pouvoirs" lors du raid qui a abouti à l'interpellation de dizaines de personnalités, dont les fils de trois ministres. Et de faire partie d'un "Etat dans l'Etat", à l'origine d'une "sale opération" qui vise à déstabiliser son gouvernement à quatre mois des élections municipales.

Ce nettoyage en règle de la hiérarchie policière a surpris car, depuis la victoire de son Parti de la justice et du développement (AKP) en 2002, le chef du gouvernement a fait de la police l'un des instruments de son contrôle sur l'Etat turc.

Exclusivement composée de civils, sous la tutelle directe du ministre de l'Intérieur, ce corps est devenu l'allié du camp islamo-conservateur contre l'armée, bastion de la laïcité et ennemie jurée des islamistes.

Pendant des années, le gouvernement a lourdement investi dans sa police, tant en hommes --ses effectifs atteignent aujourd'hui 250.000 fonctionnaires-- qu'en matériel. Et il a pris un soin particulier à nommer à sa tête des chefs sûrs et loyaux, notamment issus de la confrérie "amie" du prédicateur musulman Fetullah Gülen.

"La police est devenue en quelque sorte la rivale de l'armée. Une force autonome avec ses propres services de renseignement, ses unités d'élite et son équipement haut de gamme", résume à l'AFP un expert s'exprimant sous couvert de l'anonymat.

Ce sont les unités antiterroristes de la police qui ont procédé depuis 2008 aux arrestations de centaines de militaires, dont des dizaines de généraux, soupçonnés de tentatives de coups d'Etat ou de déstabilisation plus ou moins avérées contre le parti au pouvoir.

Aujourd'hui, à l'issue d'une série de purges et de procès retentissants, l'armée turque, qui avait renversé quatre gouvernements depuis 1960, est rentrée dans le rang.

Sans surprise, la montée en puissance de la police a été émaillée de dérapages. Même si elle n'est plus celle de la fin des années 1970 décriée dans le film "Midnight Express", ses agents sont encore souvent épinglés pour des abus, notamment par la Cour européenne des droits de l'homme.

Ainsi la répression, violente, ordonnée par le gouvernement contre la fronde antigouvernementale de juin dernier lui a valu de nombreuses critiques.

Six personnes, dont un policier, sont mortes, plus de 8.000 autres ont été blessées et plusieurs milliers d'autres arrêtés pendant ces trois semaines de manifestations.

Au sein de cette police puissante et dévouée, la confrérie musulmane de Fetullah Gülen, vaste réseau de solidarité musulmane, jouit d'une réelle influence, comme dans la magistrature, à tous les échelons, selon les observateurs.

Journaliste d'investigation et farouche opposant du régime turc, Soner Yalçin a expliqué vendredi dans le quotidien Sözcu comment l'organisation de M. Gülen, qui vit aux Etats-Unis, finançait les "stages de perfectionnement" des officiers de police turcs dans les centres de formation des services de renseignement (CIA) ou de la sûreté fédérale (FBI) américains.

"C'est ainsi que les nouveaux cadres sont formés", a affirmé M. Yalçin.

Mais, depuis que la confrérie de M. Gülen a déclaré la guerre au gouvernement et à son projet de supprimer les écoles de soutien scolaire privées, la hiérarchie de la police est devenue l'ennemie à abattre pour l'entourage du Premier ministre.

Avec cette vague de purges inédites, la guerre des polices semble donc engagée. "Erdogan s'est servi de ces policiers, devenus aujourd'hui trop encombrants", a précisé à l'AFP une source proche de la police, "mais les +gülenistes+ y sont toujours puissants".

Le préfet de police d'Istanbul déchu a résumé sur son compte Twitter la lutte d'influence qui se joue désormais. "Il y a un violent incendie dans la police", a écrit M. Capkin.

BA/pa/sym

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