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A Bossangoa: "je prends la kalachnikov, la kala me blesse, je pleure"

A Bossangoa: "je prends la kalachnikov, la kala me blesse, je pleure"

Devant la grande tente blanche Unicef recouverte de poussière de terre rouge centrafricaine, 150 enfants, vivant dans le dénuement le plus total et encore traumatisés par des scènes de tueries, attendent le début des "animations".

Un adulte s'empare d'un mégaphone, des enfants se mettent à chanter, en sango, la langue locale: "Nbi gbou Kala, Kala até nbi, nbi toto". Le chant est joyeux. Pas ses paroles: "je prends la kalachnikov, la kala me blesse, je pleure".

"C'est pour leur dire qu'il ne faut pas toucher aux kalachnikov parce que c'est dangereux", explique Gilbert Ouantoua, enseignant de Bossangoa (nord-ouest de la Centrafrique) qui ne travaille plus depuis mars, à cause des violences des ex-rebelles musulmans Séléka.

Dans ce camp de l'évêché de Bossangoa, les chansons des enfants, le marché, les couturières, ou les garçons coiffeurs ne doivent pas faire illusion: la détresse est criante parmi les déplacés. L'eau manque, les enfants ont froid la nuit, la malnutrition s'aggrave.

De l'autre côté de la tente, à l'entrée de ce camp où 40.000 chrétiens sont venus trouver refuge au fil des mois et des violences, une poignée d'enfants dessine sur des pupitres d'écoliers en bois. L'armée française, les 4x4 des humanitaires, les affrontements entre Séléka et anti-balaka (milices villageoises chrétiennes) prennent forme sous la pointe de leurs crayons de couleur sur des pages blanches.

Jordy, 13 ans, dessine des combattants Séléka en treillis, armés de kalachnikov, et des anti-balaka en civil, grigri au cou, serrant des fusils de chasse. On voit un homme se faire couper la jambe, une grenade, des blessés.

L'enfant a assisté à une attaque des Séléka dans son quartier: "ils ont coupé la jambe d'un homme, nous avons fui en brousse". Au centre de son dessin, il a écrit: "Mais pourquoi la guerre?".

A côté, deux adultes donnent le rythme en tapant sur un jerrican blanc.

En rang par quatre, 50 filles avancent, reculent en rythme en agitant les épaules. "Papa, maman, en Centrafrique il y a beaucoup d'argent, il faut le consacrer à la scolarité des enfants, pas à l'alcool et aux armes", chantent des gamines.

De l'autre côté de la cathédrale Saint-Antoine de Padoue, dans le dispensaire géré par l'Unicef, des femmes et des enfants sont alités dans un dénuement complet.

Une femme vêtue du maillot de foot madrilène de "Ronaldo" gémit de douleur, pliée en deux, mains sur le ventre, en attendant d'être auscultée.

De mi-octobre à mi-décembre, 1.455 maladies ont été diagnostiquées par l'Unicef parmi les enfants du camp, pour des cas de paludisme (558), des infections respiratoires aiguës (410), et des diarrhées (232).

Toujours chez les enfants, près de 2.000 cas de malnutrition modérée et 400 cas de malnutrition aiguë ont été enregistrés.

"L'augmentation des cas de malnutrition est liée à la situation précaire dans les camps. Chez les enfants, nous sommes à des niveaux de malnutrition inhabituels. Cela nous alerte, ce n'est pas normal", se désole le docteur Eddy-Patrick Gamba.

Ici, dans ce dispensaire décati, 51 enfants sont nés depuis la fin septembre. Deux étaient mort-nés, neuf pesaient moins de 2,5 kg, "ce qui témoigne de la malnutrition des mères", selon le docteur Gamba.

Les cas les plus sérieux partent en brancard vers l'hôpital, géré par Médecins sans frontières (MSF).

Pendant dix jours, après le regain de violences du 5 décembre, les médecins ont reçu beaucoup de blessés par balles. Sur les 75 patients traités aujourd'hui à l'hôpital, la part des blessures de guerre tend à diminuer. Les maladies chroniques prennent le dessus.

"Chez les moins de cinq ans, le taux de palu atteint 100% dans la brousse et 75% en ville", s'inquiète Joseph Baugniet, coordinateur de MSF. Les diarrhées et les infections respiratoires, à cause du froid qui tombe la nuit, se multiplient dans les camps, autour de l'église, et autour de l'école Liberté à 800 mètres de là, où sont réfugiés 7.000 musulmans.

"Les gens ont raté la récolte parce qu'ils sont bloqués dans les camps. La situation alimentaire est inquiétante", dit-il. "On a besoin de renfort".

Antoinette Ngaya, 60 ans, est la mère de neuf enfants, âgés de 7 à 30 ans. Elle est installée ici depuis septembre. "Je vis mal, je dors sur le sol, il fait froid, on ne mange pas, il n'y a pas de savon", résume-t-elle.

Son mari, handicapé, ne peut pas bouger de son fauteuil en bois.

"J'ai envie de rentrer", souffle Antoinette. "Mais les exactions continuent, les cases sont incendiées. On pourra rentrer quand ce sera la paix, je ne sais pas quand, par la grâce de Dieu".

sj/hba/sba

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