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La porte de l'Asie s'ouvre pour le pétrole albertain

La porte de l'Asie s'ouvre pour le pétrole albertain

Un texte de Annick Forest, Jean-Marie Yambayamba

La commission fédérale d'examen environnemental recommande l'approbation du projet d'oléoducs Northern Gateway, mais sous plus de 200 conditions.

La commission se penchait depuis 2010 sur ce projet controversé qui acheminerait du pétrole brut des sables bitumineux jusqu'à la côte ouest, pour ensuite être transporté vers les marchés asiatiques.

Le comité d'examen juge globalement qu'Enbridge a pris les mesures nécessaires pour minimiser les risques de fuites, notamment par son engagement à utiliser les systèmes de sécurité redondants et plus innovants.

Parmi les 209 conditions auxquelles le projet devrait être assujetti, la commission demande qu'Enbridge ait un plan de garanties financières de 950 millions de dollars.

Le groupe recommande également à Ottawa de déterminer si la construction et le fonctionnement normal du projet ne causeront pas des effets environnementaux négatifs.

En ce qui concerne les effets cumulatifs du projet sur des populations de caribous forestiers et des ours grizzlis, le comité estime qu'ils seront vraisemblablement faibles.

Il juge que des efforts de surveillance, la recherche scientifique et une bonne gestion pourraient contribuer à réduire les impacts environnementaux négatifs.

L'entreprise Enbridge s'est réjouie de la décision du comité d'examen conjoint. Elle souligne toutefois que les 209 conditions imposées peuvent paraître difficiles à remplir. Le PDG, Al Monaco, a néanmoins promis d'y répondre et même d'améliorer le projet Northern Gateway.

Le gouvernement fédéral, qui s'est déjà prononcé en faveur du projet, devra ultimement décider, d'ici 180 jours, s'il pourra aller de l'avant.

Par voie de communiqué, le ministre fédéral des Ressources naturelles a salué le rapport du comité, le qualifiant d'évaluation « rigoureuse, ouverte et complète », basée sur la science.

Opposition des Premières Nations

La recommandation de la commission enflamme les Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui s'opposent depuis le début au projet qui serait construit en bonne partie sur leurs terres ancestrales.

Les dirigeants du Sommet des Premières Nations et de l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique (UBCI) ont immédiatement demandé au gouvernement de ne pas accepter la recommandation de la commission d'examen conjoint.

Ils soutiennent que le processus n'était pas adéquat et ne respectait pas les droits et l'autorité décisionnelle des Premières Nations sur leurs territoires ancestraux.

« La recommandation de la commission ne change en rien la responsabilité légale de consultation et d'accommodation des Premières Nations du gouvernement fédéral, surtout vu le nombre important de précédents établis par les décisions de la Cour suprême du Canada », a souligné le grand chef du Sommet des Premières Nations, Edward John.

« Nous allons exercer nos droits et notre juridiction qui nous viennent de nos lois et de nos droits territoriaux ancestraux de défendre nos terres, nos eaux ainsi que la santé et la sécurité de nos peuples », a ajouté le grand chef Stewart Phillip, président de l'Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique.

De son côté, Art Sterritt, des Premières Nations côtières où serait construit le terminal pétrolier, promet qu'il sera là pour arrêter les navires et la construction de Northern Gateway. Il fulmine : « C'est la plus importante insulte qui nous a jamais été faite ».

L'Alberta se tourne vers sa voisine

Pour l'Alberta, qui a qualifié le rapport de la commission « d'étape cruciale » vers l'ouverture de nouveaux marchés internationaux, l'enjeu principal est de convaincre la Colombie-Britannique de lui prêter main-forte pour convaincre les Autochtones d'appuyer le projet.

L'appui de la province voisine, qui s'est s'officiellement opposée au projet lors des audiences de la commission et qui a posé cinq conditions pour tout transport pétrolier sur son territoire, n'est pas gagné, malgré un rapprochement récent entre les deux premières ministres.

Jeudi, la Colombie-Britannique a d'abord tenu à ses principes. Au-delà des 209 recommendations de la commission, « nous allons continuer d'exiger que nos cinq conditions soient respectées », a déclaré la ministre de l'Environnement, Mary Polak.

Les gouvernements d'Ottawa et de Calgary reconnaissent désormais qu'afin d'obtenir l'appui du public pour ce projet, celui-ci devra remplir ces conditions, qui comprennent un système de surveillance et de réponse aux déversements « de classe mondiale », le respect des droits des Autochtones et un partage plus important des retombées du projet, a-t-elle ajouté.

Elle a souligné que certaines choses, qui sont plus importantes que la juridiction et l'autorité ainsi que l'appui du public, en font partie.

L'opinion publique en Colombie-Britannique est en effet très polarisée sur Northern Gateway.

Pendant les travaux de la commission d'examen, de nombreuses manifestations avaient eu lieu dans la province et des centaines personnes ont dénoncé le projet, craignant les effets de fuites possibles sur la terre ferme, et aussi de déversements de navires pétroliers qui sillonneraient les côtes.

Le PDG d'Enbridge, Al Monaco, a quant à lui affirmé que son équipe sera en mesure de répondre adéquatement aux cinq conditions posées par le gouvernement de la Colombie-Brtitannique, mais s'est gardé de toute déclaration triomphaliste.

Tandis que le chef de l'opposition britanno-colmbienne, Adrian Dix, demandait carrément à la province d'abandonner tout appui au projet, la ministre albertaine de l'Énergie, Diana McQueen, a exprimé le souhait d'une collaboration plus étroite avec la Colombie-Britannique, question de faciliter l'approbation définitive du projet d'Enbridge.

Dur coup pour les groupes environnementaux

« Bien que nous soyons profondément déçus de la recommandation faite par la commission, elle ne signifie pas que le pipeline est approuvé ou qu'il sera construit », a déclaré l'avocat Barry Robinson, d'Écojustice, par voie de communiqué.

« Nous avons soumis des centaines de pages de preuves scientifiques au nom de nos clients qui mènent à une seule conclusion : le projet de pipeline Northern Gateway n'est pas sécuritaire, soutenable ou nécessaire, et il ne sert pas l'intérêt national de ce pays », a ajouté le porte-parole du groupe qui représente également les environnementalistes de ForestEthics, Living Oceans Society et Raincoast Conservation Foundation.

L'Institut Pembina dit être également déçu, considérant le feu vert du comité d'examen comme un pas en arrière par rapport aux inquiétudes des Canadiens et à l'égard des risques associés au projet.

Pour sa part, David Miller, du groupe environnemental World Wildlife Fund, se demande comment la commission d'examen peut recommander le projet tout en admettant qu'il comporte des risques pour l'environnement.

Le district de Kitimat, où doit être construit le terminal maritime proposé par le projet Northern Gateway, consultera le rapport de la commission et sa population avant de se prononcer, a par ailleurs fait savoir son porte-parole, Ron Poole, par voie de communiqué.

Le mandat de la commission

La commission indépendante, mandatée par le ministre fédéral de l'Environnement et l'Office national de l'énergie, devait évaluer les effets sur l'environnement du projet de terminal et d'oléoducs proposé par la compagnie Enbridge.

Le projet

Le projet de 6,5 milliards de dollars permettrait à l'Alberta, qui n'a pas d'accès à la mer, d'étendre son bassin de consommateurs au-delà des États-Unis, vers les lucratifs marchés pétroliers asiatiques.

Enbridge veut construire un terminal maritime à Kitimat, en Colombie-Britannique, ainsi que deux pipelines d'environ 1170 kilomètres entre ce terminal et Bruderheim, en Alberta.

Le premier des deux pipelines, d'un diamètre extérieur de près d'un mètre, transporterait en moyenne 525 000 barils par jour de produits pétroliers vers l'ouest, jusqu'au terminal de Kitimat.

Le second, d'un diamètre extérieur d'un demi-mètre, transporterait en moyenne 193 000 barils de condensats par jour vers l'est, jusqu'à Bruderheim. Les condensats permettent de diluer les produits pétroliers en préparation pour leur transport par oléoduc.

Le pétrole brut serait ensuite transporté par bateau, principalement vers les marchés d'Asie, pour y être raffiné.

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