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La coca ou la paix, le dilemme des paysans en Colombie

La coca ou la paix, le dilemme des paysans en Colombie

La feuille de coca ou le rameau de la paix ? A l'heure des négociations avec la guérilla des Farc, le dilemme déchire les paysans en Colombie. Synonyme de survie, les cultures interdites y sèment aussi la mort depuis des décennies.

Dans les montagnes du Cauca, une région fortement touchée par le conflit, au sud-ouest du pays, les pourparlers entre le gouvernement et la rébellion marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), consacrés actuellement à la question du trafic de drogue, paraissent lointains.

"Tant qu'on n'aura pas réglé le problème de la pauvreté, on continuera à planter de la coca et de la marijuana", lance à l'AFP un jeune cultivateur à la tête de deux hectares sur les hauteurs de la localité de Corinto.

Pour lui, les comptes sont vite faits: un kilo de coca lui rapporte 3.200 pesos (moins de deux dollars), quatre fois plus qu'un kilo de maïs. Des tarifs loin des prix de la cocaïne, fabriquée à partir de cette plante et dont la Colombie est l'un des premiers producteurs mondiaux (309 tonnes par an et 48.000 hectares en 2012, selon l'ONU).

"Le dialogue de paix me fait peur. Que va-t-il se passer s'ils viennent tout nous arracher ? Comment allons-nous vivre ? ", s'exclame-t-il, en regardant défiler une cohorte de "journaliers", le dos courbé sous d'immenses sacs débordants de feuilles de coca.

A quelques kilomètres de là, un vieux paysan de 72 ans cultive à la fois des plants de café et de marijuana. "Ce qui compte, ce n'est pas ce qui va sortir de leurs soi-disant négociations, mais les cours du café: s'ils baissent, on plantera plus de marijuana", tranche-t-il, tandis que des femmes détaillent la plante à coups de ciseaux rapides.

Pour la présidente de la réserve paysanne de Corinto, Orfa Rojas, une éradication brutale de la coca aboutirait à une "décomposition sociale". "Le but du gouvernement est de nous chasser pour faire venir les multinationales", clame-t-elle.

Le spectre d'une éradication totale alimente toutes les rumeurs et beaucoup de paysans comptent encore sur les Farc pour les protéger.

"On va se défendre et les guérilleros avec nous. Ils sont partout dans la montagne", promet un jeune agriculteur de la localité voisine de San Julian.

"S'il veulent remplacer des cultures, que le gouvernement nous aide à vivre", clame sa soeur, dont la fille de 19 ans a été tuée l'an dernier par une balle perdue d'un soldat.

En secouant la tête, ils entendent à la radio locale les messages de l'armée appelant la population à dénoncer les rebelles. Peine perdue. Les graffitis et les autocollants à la gloire du "sixième front" des Farc pullulent sur les routes du Cauca.

Fondée en 1964 lors d'une insurrection paysanne, la guérilla la plus ancienne d'Amérique latine, forte d'environ 8.000 combattants, compte aussi sur l'aide de "miliciens", environ 20.000 civils composant ce que les autorités appellent les RAT ou "réseaux d'appui au terrorisme".

Chef d'une unité des Farc dans la région, un guérillero qui organise régulièrement des barrages routiers assure qu'il continuera de veiller sur les paysans, relayant la proposition de la rébellion qui prône une "légalisation" de la coca ou "des cultures de substitution".

"Le moral est au plus haut. Plus les militaires nous frappent, plus notre détermination est forte", glisse l'insurgé, cette fois sans uniforme, en dissimulant avec sa chemise la crosse du revolver dépassant de sa poche de pantalon.

Prise en étau entre l'armée et la rébellion, la communauté indigène tente aussi de faire entendre sa voix pour tenter de rétablir la paix dans ce pays où la violence a fait plusieurs centaines de milliers de morts en un demi-siècle.

Gouverneur de l'importante réserve indienne de Toribio, Marcos Yule Yatacue, qui plaide pour des projets de développement durable, affirme aux paysans que "les cultures illicites sont une illusion".

L'armée comme la rébellion "touchent leur dividende" sur la coca, raison pour laquelle, selon lui, les cultures illicites continuent de prospérer, au vu et au su de tout le monde, dans les collines parsemées de serres éclairées la nuit.

"Les Farc ont dit aux paysans de semer encore plus de coca pendant les négociations à Cuba. Tout cela va mal se terminer", prophétise le "sage".

pz/ag/emb

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