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Après les violences, la brasserie Mocaf de Bangui tourne au ralenti

Après les violences, la brasserie Mocaf de Bangui tourne au ralenti

C'est une institution à Bangui, un des premiers employeurs privés et quasiment la seule usine. Après avoir été pillée en mars, après avoir fermé début décembre, la brasserie des bières Mocaf tourne au ralenti. Ses employés sont traumatisés et la consommation est en chute libre.

En ce lundi, derrière la grande barrière en fer rouge de la Mocaf ("Motte Cordonnier Afrique"), de la bière fermente dans les cuves argentées. Mais à l'embouteillage, la chaîne de production est à l'arrêt. Les rares ouvriers en bleu de travail nettoient, réparent, font de la maintenance. Aucune bière ne sortira aujourd'hui.

Depuis le regain de violences entre chrétiens et musulmans qui a fait près de 450 morts depuis dix jours rien que dans la capitale, la ligne de production débite des bières blondes par à-coups.

Le matin de l'offensive des milices "anti-balaka" (anti-machettes) contre les musulmans, le 5 décembre, "on entendait l'arme lourde au loin", se désole le directeur technique de l'usine Jean-Claude Baechler, un Suisse. Une trentaine d'employés sont restés dormir dans l'usine, terrorisés à l'idée de rejoindre leurs quartiers. La production a été stoppée, avant d'être relancée la semaine dernière "mais au ralenti".

La consommation de bière n'est pas la priorité actuelle pour les Banguissois, et les employés sont "stressés": "ils ont tous perdu des proches, ils ont été menacés, harcelés, ils ont du fuir leur quartier", dit M. Baechler. "Ca pèse sur le moral". Et sur les ventes.

Michel, 25 ans, est électricien dans l'usine. Il est resté terré chez lui pendant cinq jours, au PK5, un quartier musulman. Une amie musulmane a réussi à faire sortir ses enfants. Lui a dû attendre les militaires français pour quitter le quartier et s'installer dans l'immense camp de déplacés de l'aéroport.

Il est revenu travailler lundi, pour la première fois. Mais, sur la route, en venant à l'usine, des miliciens chrétiens anti-balaka l'ont attrapé. "Ils m'ont pris mon téléphone pour vérifier s'il y avait des prénoms musulmans dans le répertoire, puis ils m'ont laissé filer", dit-il, encore chamboulé.

Un de ses collègues dort dans une église depuis une dizaine de jours, par crainte de la vengeance des musulmans. Le responsable expatrié de la maintenance du site, lui, a dû mettre ses cinq enfants et sa femme dans un blindé français. Direction l'aéroport pour rejoindre Paris au plus vite. "On a pleuré mais j'étais soulagé de les voir partir", dit Miguel Morea.

Avec ces derniers évènements, les employés Mocaf ont eu peur de revivre les scènes de pillage de mars 2013, quand les rebelles Séléka ont pris Bangui.

Des hommes armés et la foule avaient investi l'usine, volant près de 150.000 bouteilles. 40.000 litres de gasoil, six voitures avaient disparu, les quatre maisons de la direction sur le site avaient été pillées et en partie détruite.

Le directeur technique d'alors, qui n'était là que depuis 6 mois, avait été exfiltré avec sa famille par l'armée jusqu'à l'aéroport. Il n'est jamais revenu.

"On a défendu le poste de travail. Les employés vidaient les extincteurs pour éloigner les gens", se souvient M. Morea.

Résultat: le chiffre d'affaires a dégringolé de 25% en un an. "On retrouve cette année le niveau des ventes qu'on avait en 2004. On retourne en arrière", se désole dans son bureau climatisé, le directeur général de nationalité belge. "Nous perdons de l'argent. On tient par la volonté du groupe Castel (propriétaire de la Mocaf) de tenir en Centrafrique", dit-il en parlant de la maison mère basée à Paris.

Depuis juillet, 38 personnes sont au chômage technique. Il n'y a plus que 116 employés qui travaillent encore.

Le noeud du problème c'est la demande: "les fonctionnaires ne sont pas payés. On le voit dans nos chiffres, normalement il y a un pic dans les ventes quand ils touchent leurs salaires", raconte le directeur technique. "Les consommateurs ont des besoins vitaux à satisfaire avant de se mettre à consommer une bière", note M. Feraille.

Le couvre feu qui interdit aux gens de sortir entre 18h et 6h, le carburant dont le prix augmente et le fait que le prix de la bière soit fixé par le gouvernement jouent également en défaveur de la Mocaf.

"Dans ce contexte (...), aucun groupe local ne pourrait tenir. On a besoin de sécurité physique d'abord, politique ensuite. On navigue à vue", dit le directeur.

L'homme s'attend à "6 à 12 mois très difficiles". Et il rappelle que les impôts que paye la Mocaf représentent 4% des recettes fiscales de la Centrafrique.

"Il n'y a pas de menace de fermer à court terme. Mais il faut qu'on redevienne rentable", dit le directeur. "La Mocaf, c'est quasiment la seule industrie en Centrafrique".

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