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Protection des dénonciateurs: les conservateurs bafouent leur loi

Protection des dénonciateurs: les conservateurs bafouent leur loi
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OTTAWA - Le gouvernement conservateur ne respecte pas sa propre loi sur la protection des divulgateurs, qui l'oblige à faire le point sur la situation tous les cinq ans.

Il semble pourtant y avoir urgence d'agir, alors que le commissariat à l'intégrité n'a réglé que 10 cas en sept ans. Et que ceux qui dénoncent des malversations au sein de l'appareil gouvernemental semblent plus vulnérables que jamais.

Fonctionnaires mis à pied, rétrogradés, mis à l'écart, intimidés: sept ans après la promesse des conservateurs de protéger les dénonciateurs, la situation semble avoir évolué pour le pire.

La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles avait été adoptée en 2007 par les troupes de Stephen Harper afin d'encourager les employés de l'État à tirer la sonnette d'alarme lorsqu'ils étaient témoins d'agissements fautifs. Elle prévoit un examen quinquennal indépendant sur son application pour s'assurer qu'elle remplit ses objectifs, ainsi que le dépôt d'un rapport. Mais plus de 18 mois après l'expiration du délai, le gouvernement reste les bras croisés.

«Non seulement il n'y a pas de rapport, mais il n'y a même pas d'examen en marche à l'heure actuelle», confirme le commissaire à l'intégrité du service public, Mario Dion.

Il revient au président du Conseil du trésor, Tony Clement, de déclencher le processus et de commander l'examen. «Pourquoi il ne l'a pas déclenché? Je ne le sais pas», admet le commissaire.

Au bureau de M. Clement, on n'offre pas plus d'explications sur cette omission. «Nous regardons présentement nos options pour examiner cette loi, et nous agirons en conséquence», a écrit à La Presse Canadienne l'attachée de presse du ministre, Heather Domereckyj.

Pourtant, un examen rapide de la situation s'impose, si l'on en croit ceux qui osent prendre la parole pour dénoncer quelque chose qu'ils jugent inacceptable. Car malgré un total de 650 dossiers qui ont échoué sur son bureau, le commissariat n'a fait rapport que sur sept d'entre eux, et renvoyé trois autres cas au tribunal.

Mauvaise réputation

«Les "whistleblowers" sont dans une situation tout aussi désespérée qu'ils l'étaient avant qu'il y ait une loi. Nous croyons qu'il n'y a eu aucune amélioration», tranche Allan Cutler, président de l'organisme Canadiens pour la responsabilité et ancien dénonciateur dans le scandale des commandites.

Selon cet ex-candidat conservateur, dans 85 pour cent des cas, les divulgateurs connaîtront des répercussions négatives pour avoir osé dénoncer. Il s'agit souvent carrément d'une mise à pied.

Le cas récent de Sylvie Therrien, qui a fait les manchettes pour avoir été renvoyée après avoir divulgué des informations à un journaliste au sujet des quotas de coupes qu'on imposait aux fonctionnaires de l'assurance-emploi, n'est que la pointe de l'iceberg.

«J'ai tenté d'alerter à l'interne. Mes supérieurs m'ont dit "arrête de parler contre le gouvernement"», se souvient-elle.

Quant à la possibilité d'aller frapper à la porte du commissaire à l'intégrité, l'idée ne lui apparaissait pas plus judicieuse. «Je connais des fonctionnaires qui y sont allés, sont passés par le système interne, montés jusqu'au commissaire à l'intégrité. Ils sont sans emploi aujourd'hui... parce qu'ils se sont plaints»», note-t-elle.

Un autre dénonciateur qui a subi d'importantes répercussions pour avoir alerté à l'interne ses supérieurs sur un problème majeur confirme que le commissariat a mauvaise presse au sein de la fonction publique.

«Ç'a une réputation très mauvaise. Chez mes collègues, on n'a aucune confiance en cette institution», signale cette source qui préfère garder l'anonymat.

Problèmes

Les détracteurs de la loi dans sa forme actuelle dénombrent plusieurs problèmes. D'abord, le commissaire dispose d'une grande discrétion sur les cas qu'il décide ou non d'investiguer.

«Nous avons vu des cas très très importants, qui doivent être enquêtés, et pour lesquels le commissariat trouve tout simplement des excuses pour les renvoyer», avance David Hutton, président du groupe FAIR, qui vient en aide aux divulgateurs.

Il existe par ailleurs une multitude de contraintes pour ceux qui veulent dénoncer une situation inacceptable à leurs yeux. Ils doivent le faire officiellement dans les 60 jours suivant l'acte répréhensible et n'avoir entrepris aucune autre action, comme un grief par exemple, à défaut de quoi leur plainte est automatiquement rejetée.

Enfin, la longueur des procédures peut décourager ceux qui estiment qu'une action rapide s'impose: cela prend typiquement trois mois avant que le commissaire décide s'il enquête ou non, et cette investigation prend en général un an.

Le commissaire Mario Dion avoue lui-même qu'il faut toute une dose de courage pour alerter ses supérieurs et pousser un dossier jusqu'au commissariat. «C'est toujours un peu périlleux en soi et le climat difficile que connaît la fonction publique depuis deux ou trois ans contribue peut-être à cette crainte-là. Il y a peut-être plus de craintes là qu'il y en aurait eu il y a sept ou huit ans», admet-il. Il assure toutefois que la situation des divulgateurs prend du mieux.

Ce n'est toutefois pas ce que constate le colonel à la retraite et professeur de droit à l'Université d'Ottawa, Michel Drapeau. «Moi, ce que je vois, c'est de moins en moins de divulgations et certainement un resserrement au niveau de la discipline», déplore-t-il.

Il avance une piste de solution: un inspecteur général parfaitement indépendant, officier du Parlement comme le directeur parlementaire du budget, et qui aurait le pouvoir d'enquêter même si le dénonciateur est anonyme. Mais pour que son idée soit considérée, encore faudrait-il qu'ait lieu l'examen quinquennal de la loi, toujours remis au lendemain. Pour lui, le fait qu'il n'ait pas encore été commandé par le Conseil du trésor représente la «cerise sur le sundae» d'une situation déjà bien peu reluisante.

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