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«Astérix chez les Pictes»: le premier bébé de Ferri et Conrad. Au niveau de Goscinny et Uderzo? (CRITIQUE)

La critique de «Astérix chez les Pictes»: Pariréussix?
Albert René

Avec 5 millions d'exemplaires imprimés, difficile de passer à côté du 35e épisode des aventures du petit Gaulois, Astérix chez les Pictes qui sort ce jeudi. Le premier sans un auteur d'origine aux manettes. Uderzo a en effet accepté de passer la main à Ferri (pour le scénario) et à Conrad (pour le dessin). Mais en liberté surveillée...

Il faut bien le dire, depuis la mort du scénariste de génie René Goscinny en 1977, les aventures du moustachu bien de chez nous avaient du plomb dans le sanglier. Alors, cet Astérix chez les Pictes, bel hommage? Album digne de figurer dans la bédéthèque? Déception? Hérésie? Simple resucée des recettes de Goscinny ou réinvention du mythe? Le HuffPost ne pouvait pas attendre plus longtemps et s'est procuré un album à la première heure ce jeudi 24 octobre. Histoire de regarder si les ingrédients de la potion magique sont là et si la recette fonctionne. Verdict.

  • Les gimmicks

C'est le sel de la potion magique: s'il en manque, le plat manque de goût, s'il y en a trop, cela tue le goût, ou masque la fadeur du plat. Que serait une aventure d'Astérix sans ses sangliers, son banquet final, son barde bâillonné, ses menhirs, ses calembours sur les noms, ses pirates poissards, son chef au pavois à l'équilibre instable, ses engueulades sur la fraîcheur des poissons, ses bagarres dans le village (les premières impliquant souvent les secondes), ses bouderies entre Astérix et Obélix, ses explications sur la raison pour laquelle Obélix n'a pas droit à la potion magique?

Pariréussix ? Il ne manque rien ou pas grand-chose. Ferri est parvenu à renouveler la scène des pirates et les noms des protagonistes ont été "réactualisés" (Mac Oloch, Zaplézactus, Mac Robiotik...), et le chef, par temps de verglas, préfère aller à pied plutôt qu'utiliser son pavois de fonction. Les références aux poissons d'Ordralfabetix sont présentes, sans être trop insistantes. Plutôt réussi: Ferri a su utiliser les ficelles qui servaient son propos ou ses gags sans se sentir obligé de toutes les utiliser.

Seul point noir: le gag d'Assurancetourix qui souhaite entonner une marche d'adieu lorsqu'Astérix et Obélix prennent la mer. Cétautomatix lui fait un croc-en-jambe pour qu'il tombe dans la mer et ponctue son forfait d'un "Il a raté une marche". Une tirade déjà présente dans un précédent album... C'est pas beau de recycler. Et le vocabulaire d'Obélix est un peu plus châtié que d'ordinaire, comme dans: "Môssieur Astérix voit la paille dans l'oeil du voisin!" Les phrases sont souvent un peu longues et un peu trop écrites pour du Obélix.

  • La lecture à double niveau

Pour reprendre l'expression favorite du journal Tintin, Astérix est une BD pour les lecteurs de 7 à 77 ans. Elle peut se lire à plusieurs niveaux et c'est ce qui explique en partie son succès. On peut relire un Astérix à tout âge, on comprendra de nouvelles blagues, de nouvelles références culturelles, parodies, clins d'oeil, caricatures ou de nouveaux calembours. Et c'est bien une des difficultés qu'il fallait surmonter car si l'on penche trop du côté de la littérature jeunesse, les adultes ne suivront pas et s'il faut être adulte pour comprendre les blagues, les enfants ne s'amusent pas. L'alchimie est difficile à trouver. Au cinéma, Pixar a révolutionné le film d'animation grâce à ce sens de la double lecture que Disney n'est jamais parvenu à obtenir (sauf, peut-être, sur Aladdin et Le Roi Lion).

Pariréussix ? Ferri, qui a plutôt l'habitude de scénarios plus actuels (Le Retour à la terre) excelle dans le domaine. Référence à Brassens et aux "copains d'abord", réplique sur la rupture de la chaîne du froid lorsqu'Obélix découvre le Picte congelé, référence aux pictogrammes, invention de Buzz le dieu du bruit et des abeilles ou Bug, le dieu des virus, référence aux "candidats repêchés" (dans la mer)... les clins d'oeil pour ados et adultes ne manquent pas, sans nuire à l'histoire pour les plus petits.

Un reproche: la présence du monstre du Loch Ness et son look très BD pour enfant, qui dérange un peu. Mais Uderzo avait ouvert la voie avec l'apparition d'Atlantes dans La Galère d'Obélix et d'extraterrestres dans Le Ciel lui est tombé sur la tête.

  • Les explications "historiques"

Grâce à Astérix, on sait pourquoi le sphinx n'a plus de nez, comment le thé a été importé en Angleterre, comment est née la statue de la liberté ou encore comment ont été inventées les frites en Belgique. Si leur véracité historique n'a pas été encore scientifiquement prouvée, carbone 14 à l'appui, ces trouvailles sont un ingrédient essentiel des aventures du petit Gaulois, en particulier lorsqu'il voyage à l'étranger.

Pariréussix ? Idefix a peu d'os à ronger de ce côté-là. Certes, il y a bien quelques références, comme l'utilisation du pictogramme du rond-point (un point dans un rond) pour égarer les visiteurs, une évocation de la neutralité de la croix-rouge, l'explication -très succinte- des délocalisations qui devrait faire sourire Arnaud Montebourg, et la justification un peu expédiée de la présence aujourd'hui des descendants du monstre du loch Ness, mais c'est tout. On attendait un peu plus sur l'origine du whisky, voire des highlanders... Sans parler d'un Mac Donald qui aurait pu inventer le fast-food.

  • La bonne histoire

Goscinny était un grand anxieux. Il pouvait passer des semaines entières à broyer du noir, tant qu'il n'avait pas trouvé la trame générale de son scénario. Car un bon Astérix ne se construit pas autour des gags. Il commence d'abord par une solide histoire, avec un objectif simple et un défi alléchant (ramener les lauriers de César, aller chercher l'amoureux de Falbala, récupérer le bouclier arverne, donner le tonneau de potion magique aux Bretons, vérifier si les Belges sont plus braves que les Gaulois...). Dans le processus d'écriture de Goscinny, les gags et péripéties n'arrivaient qu'ensuite. Et c'était là la force du scénariste d'Astérix et Lucky Luke: tous les gags étaient au service de l'histoire, et non l'inverse.

Pariréussix ? C'est l'un des gros bémols de cet opus (non, Opus n'est pas le nom d'un légionnaire romain). L'histoire est trop classique: ramener le Picte dans son village, l'aider à sauver sa promise, déjouer les complots du chef de clan ennemi. Ce n'est bien sûr pas rédhibitoire pour un album d'Astérix mais le seul obstacle que nos héros doivent franchir ne tient pas en haleine. L'histoire piétine un peu au moment où elle devrait décoller, lorsqu'ils arrivent dans le village picte. Et le mini fil rouge du recensement dans le village gaulois n'apporte pas grand-chose, en plus d'être contraire aux scénarios de Goscinny, qui évitait au maximum les "pendant ce temps".

On attendait également plus de la découverte de l'Ecosse. Ferri joue à fond la carte des pictogrammes et des tatouages et utilise régulièrement l'adoration des Ecossais pour le whisky mais aucune référence à la pseudo-avarice des Ecossais, à Highlander, à Braveheart, et peu de gags, hormis quelques noms, sur les Mac les plus célèbres de notre époque. On espérait pourtant voir débouler un Steve Jobs ou un Ronald Mac Donald. A force de ne pas vouloir utiliser les ficelles les plus évidentes pour un voyage en Ecosse, et c'est tout à son honneur, Ferri prive son lecteur de... ce qu'il attend.

  • Les personnages secondaires

Qui sont les personnages les plus marquants d'Astérix? Bien souvent les personnages secondaires. Pépé, l'ibère qui retient sa respiration jusqu'à ce qu'il lui arrive quelque chose, Ocatarinetabellatchixtchix l'ombrageux Corse, Jolitorax le cousin germain venu de Londres, Detritus l'infâme romain qui sème la zizanie partout où il passe, le Devin qui habitait près d'une tannerie, etc. Comme souvent, ce sont les personnages secondaires qui donnent du relief au personnage principal qui sonne un peu creux.

Pariréussix ? Disons-le tout de suite: on est déçu. Les légionnaires romains ne sont pas à la hauteur des albums période Goscinny, le personnage picte principal, Mac Oloch, n'est guère attachant et le méchant est certes très méchant mais pas très drôle. Seule réussite: le druide ivrogne du clan des Pictes. A part ça, les nouveaux personnages de cet album n'entreront pas dans la légende d'Astérix.

  • Les sujets de société

L'air de rien, Astérix a toujours vécu avec son temps, abordant des problèmes de société, qu'ils soient intemporels ou d'actualité. Le développement du tourisme de masse (Club Med) dans Le Domaine des dieux, l'âge d'or du business façon Wall Street dans Obélix et Compagnie, l'arrivée des femmes au pouvoir dans La Rose et le glaive (qui a correspondu à la nomination d'Edith Cresson en premier ministre), la crédulité et les méfaits de la rumeur dans Le Devin, les élections municipales et l'acceptation de l'étranger dans Le Cadeau de César...

Pariréussix ? Certes, on n'attend pas d'un Astérix une thèse de sociologie (encore que, de nombreux livres ont été écrits à ce sujet). Mais il y avait mieux à faire. L'album effleure la problématique du droit d'asile en début d'album et des modes de scrutin dans les toutes dernières pages. Mais sans approfondir les sujets, ni en faire un fil conducteur qui constituerait la thématique, la toile de fond de l'album. Et c'est peut-être ce qui manque le plus à ce 35e album: au-delà de la résolution d'une mission, d'un objectif précis, la résolution d'un problème plus profond de notre société. A la décharge de Ferri, le scénariste, Goscinny réservait ses réflexions "sociologiques" aux épisodes se tenant dans le village plus que dans ceux se déroulant à l'étranger, où l'essentiel de l'intrigue consistait à découvrir d'autres cultures. Sauf que ces différences culturelles avaient souvent une résonance actuelle. Ce qui n'est pas ou peu le cas ici.

  • Le dessin

Difficile de succéder au génie qu'est Albert Uderzo au niveau des pinceaux (il n'utilise pas la plume). La preuve, un premier dessinateur s'y est cassé les dents et a préféré jeter l'éponge devant la tâche. Conrad avait donc fort à faire, d'autant que le maître veillait au grain. A tel point qu'il a demandé son aide pour réaliser la couverture qui est co-signée.

Pariréussix ? Au premier coup d'oeil, le résultat est satisfaisant. Le lecteur non aguerri ne remarquera pas la différence. A y regarder de plus près, toutefois, Conrad a apporté sa patte sans chercher à copier purement et simplement le dessin d'Albert Uderzo. Le meilleur exemple? Sur Abraracourcix, dont les cheveux et les moustaches sont plus broussailleuses que chez Uderzo. Les réactions d'Obélix ou Astérix ne sont pas non plus dans la pure tradition du papa d'Astérix. Mais qu'importe, le dessin fonctionne. Plus gênant, les scènes de bagarre sont moins "bordéliques" que chez Uderzo et, l'air de rien, c'est ce genre de vignettes qui font l'humour de l'album car on peut repérer un nouveau détail à chaque nouvelle lecture.

Les visages des nouveaux personnages ne sont pas non plus très bien campés et donnent l'impression d'un retour en arrière, lorsqu'Uderzo dessinait Oumpah-pah par exemple. Et où sont les caricatures, tant appréciées des lecteurs (la liste non exhaustive ici)? Pas facile d'à la fois caricaturer une personnalité existante, tout en gardant le trait d'Astérix. Encore que, l'ignoble chef Mac Abbeh ressemble diablement à Vincent Cassel. Mais pas d'autres "caméos" chez les personnages secondaires de l'histoire. On espérait au moins une apparition de Christophe Lambert en highlander...

Enfin, on notera qu'Obélix ne souhaite pas prendre Idéfix pour le voyage en Pictie (Ecosse), contrairement aux autres albums où il fait tout pour l'embarquer dans ses aventures. Une demande du dessinateur? Il faut dire qu'Idefix est sûrement le personnage le plus complexe à dessiner de la série: seul Uderzo est capable de faire passer une expression en quelques coups de crayon (Idefix est souvent minuscule dans les cases).

Malgré ces détails, Conrad s'en sort avec les honneurs compte-tenu des délais impartis -il a repris le projet en cours après l'abandon du premier dessinateur- et les prochains albums ne pourront qu'aller dans le bon sens. Dans l'ensemble, le pari d'Astérix chez les Pictes est réussi, bien supérieur aux derniers albums réalisés par Uderzo en solo.

Amora, la déesse de la moutarde, ne montera pas au nez des autres dieux. Ouf.

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Astérix chez les Pictes

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