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Faillite des États-Unis : le pays a déjà été en défaut dans son histoire

1814 et 1979 : les jours où les États-Unis ont fait faillite
REUTERS

À quelques heures de la faillite annoncée de la première puissance économique du monde, la panique ne s'est toujours pas emparée des marchés. Pourquoi? Parce qu'on nous répète à tort et à travers qu'à chaque fois que Washington s'est confronté au plafond de la dette, les parlementaires ont toujours relevé le seuil avant la seconde fatidique. Ainsi, les Etats-Unis n'auraient jamais connu le "défaut de paiement" agité depuis plusieurs semaines. Pas si vite...

Même si on a tendance à oublier les mauvais souvenirs, l'Amérique a déjà été dans l'impossibilité de payer ses dettes. La première fois c'était en 1814, mais la jeune nation avait une bonne excuse: elle était en pleine guerre contre l'Empire britannique dans la "seconde guerre d'indépendance". Le Trésor était vide, la Maison Blanche et le Capitole carbonisés, les troupes se battaient même gratuitement.

La seconde fois, plus proche de nous, est intervenue en 1979 suite à un problème informatique, résultant d'une pagaille bureaucratique. Ce défaut de paiement a coûté des milliards de dollars au contribuable américain. Selon les déclarations du département du Trésor, la responsabilité de ce couac incombait aux parlementaires -tiens, tiens- qui se chamaillaient depuis des semaines pour relever le plafond de la dette sous condition. Un retard de paiement a été constaté sur des milliers de créances.

Ces bévues, peu relevées en dehors des milieux financiers, sont presque tombées dans l'oubli.

En effet, l'actuel secrétaire au Trésor Jacob Lew (l'homme à la pire signature du monde) insiste sur le fait que les Etats-Unis ont toujours honoré leurs créances. Le département du Trésor a refusé d'évoquer les "exceptions" citées plus haut.

Même chose du côté de la Maison Blanche. Barack Obama a alerté sur la nécessité de s'entendre avant le 17 octobre pour éviter que "pour la première fois de notre histoire, nous ne payons pas nos factures à temps". Les deux dirigeants ont la mémoire courte.

L'historien américain Don Hickey n'est pas surpris que le défaut de paiement de novembre 1814 soit oublié. Après tout, il a intitulé un de ses livres "La guerre de 1812, un conflit oublié". Pour ce professeur du Wayne State College (Nebraska), on préfère toujours se souvenir des leçons d'héroïsme des batailles navales, moins de la faillite de l'Etat. Pour 1979, on préfère jouer sur les mots (voir plus bas).

Bien qu'ils ne manquent pas d'intérêt, ces 2 épisodes du passé ne peuvent servir de comparaison valable à une faillite version 2013. Si cela se produisait aujourd'hui, l'Etat n'aurait plus la possibilité d'emprunter l'argent nécessaire pour payer toutes sortes de créanciers. Seraient concernés les possesseurs de bons du Trésor américains (pays, banques d'affaires, hedge funds...), les retraités, les dépenses de Sécurité sociale... Souvent comparé à un ouragan financier, un défaut de paiement en 2013 ferait passer celui de 1979 pour un courant d'air. En effet, l'économie s'est beaucoup "financiarisée" et la plupart des acteurs sont désormais liés.

Pourtant, il y a quelques leçons à retenir du passé.

Le cas de 1979 ressemble à s'y méprendre à 2013

Le parti républicain, emmené par le Tea Party (sa mouvance ultra-conservatrice), n'est pas la seule formation politique à faire du chantage au sujet du plafond de la dette. Depuis des années, le Congrès (à majorité démocrate ou républicaine) a menacé d'utiliser cette bombe nucléaire pour défendre ses propres intérêts électoraux.

En 1979, les parlementaires étaient déterminés à ajouter une modification importante à propos de l'équilibre budgétaire. Ils ont finalement cédé à la dernière seconde, permettant de pas dépasser la date limite. Sauf que la pagaille bureaucratique a empêché le Trésor de rembourser 122 millions de dollars d'obligations d'Etat qui arrivaient à échéance. Ces bons du Trésor, sorte de titre de propriété d'un pays, sont considérés comme l'investissement le plus sûr au monde. Ils suivent une logique imparable: "l'Etat est le meilleur payeur", qui plus est quand ce sont les Etats-Unis. Sauf que le pays le plus riche du monde a lui aussi ses petites faiblesses.

Les investisseurs concernés ont attendu plus d'une semaine pour récupérer leur argent. D'après l'explication fournie, la "maturité" des obligations (moment où l'on doit les rembourser) serait entrée en collision avec le relèvement du plafond de la dette intervenue à la dernière minute. Une sorte de "bug" informatique.

Les investisseurs n'ont pas hésité à utiliser le terme de "défaut de paiement" en poursuivant l'Etat en justice pour réclamer des dommages et intérêts. Le Trésor a préféré qualifier cet événement de "retard". En jouant sur les mots, la plupart des Américains n'ont pas remarqué la différence. Le marché financier s'est quant à lui chargé de la souligner.

Selon une étude réalisée en 1989 pour le Financial Review, les taux d'intérêt des bons du Trésor ont augmenté de 0,6% lors des mois suivants. Cette hausse aurait représenté un surcoût de 12 milliards de dollars à la charge de l'Etat (donc des contribuables), qui a emprunté plus cher afin de financer son train de vie. Le journal financier australien n'a pas pris de pincettes pour son titre: "Le jour où les Etats-Unis ont fait défaut sur leurs bons du Trésor".

"Cet épisode compte certainement comme une défaut, même s'il n'était pas intentionnel", tempère quant à lui Donald Marron, économiste à l'Urban Institut. "Mais l'Histoire nous apprend que certaines erreurs ont tendance à se reproduire plusieurs fois", souffle sur son blog l'ancien membre du conseil économique de Barack Obama. "Si le Congrès entraîne un nouveau retard dans les paiements des créances, il ne pourra plus dire 'On ne savait pas'".

Les conditions du défaut de 1814 font relativiser

Les parlementaires ont beau traiter avec des ennemis politiques prêts à tout, Washington n'est pas en flammes, comme à l'automne 1814. L'armée britannique avait brûlé la capitale fédérale, inspirant d'ailleurs Francis Scott Key pour écrire son poème devenu plus tard l'hymne national, après le bombardement de Baltimore par la Royal Navy.

Les recettes fiscales ont dégringolé et l'Etat s'est retrouvé dans l'impossibilité d'emprunter l'argent nécessaire. Le moindre dollar était utilisé pour la nourriture et les médicaments que l'on envoyait sur le front de la guerre. En novembre 1814, le gouvernement n'a pas pu honorer ses dettes pour payer les détenteurs d'obligations américaines.

Bien sûr la logistique était plus compliquée qu'aujourd'hui. Il fallait transporter physiquement des stocks d'or d'un point A à un point B. Aujourd'hui, c'est seulement une ligne de commande inscrite sur un ordinateur. "Nous avons toujours des excuses, n'est-ce pas?", ironise devant Associated Press l'historien Don Hickey. Les investisseurs ont toutefois été prompts à pardonner et les retards n'ont pas eu de conséquences. La guerre s'est terminée trois mois plus tard, permettant l'avènement de la première Révolution industrielle.

Peu importe l'année, le compromis est extrêmement difficile

Que l'on soit en 1812, en 1979 ou en 2013, les politiciens ont toujours considéré leur cause comme essentielle.

"Il y avait un clivage partisan très belliqueux entre fédéralistes et républicains au 19ème siècle, un peu comme les démocrates et les membres du Tea Party aujourd'hui", rappelle l'historien JCA Stagg, spécialiste de la politique américaine. "La pensée fédéraliste a contribué à ruiner le pays", dit-il, en adressant une pique à la mouvance ultra-conservatrice du Tea Party. En effet, cette dernière est prête à tout pour voir Barack Obama supprimer sa réforme de la santé, quitte à laisser le pays faire faillite.

Une partie des fédéralistes opposés à la guerre de 1812 a même sérieusement envisagé une sortie de l'Union. Étiquetés comme déloyaux par les Américains, cela a contribué à la fin de cette organisation politique une fois le conflit terminé. "Les républicains de l'époque ont ensuite rejeté leurs problèmes sur l'opposition à la guerre des fédéralistes", rappelle Don Hickey. "C'est la méthode classique qui consiste à justifier ses propres problèmes en accusant ses adversaires politiques". On le croit sur parole.

D'autres défauts "techniques" dans l'Histoire

Plutôt que se demander si les Etats-Unis ont déjà fait défaut ou pas, il est plus sûr de dire que le pays est "né" en défaut.

Les anciennes colonies britanniques ayant émergé de la guerre d'indépendance étaient presque toutes en faillite. Le premier secrétariat au Trésor a alors assumé sa responsabilité sur la dette des Etats, en émettant des obligations moins chères, tout en empruntant plus d'argent afin de disposer d'une base financière solide.

D'autres épisodes plus anecdotiques de l'Histoire ont connu des "défauts techniques", selon plusieurs historiens et économistes. En 1933, au plus fort de la Grande dépression, la perte de l'étalon-or (liant la valeur du dollar à l'or) a malmené les créanciers du pays qui ont reçu des dollars valant tout d'un coup beaucoup moins que l'or.

La Cour suprême avait validé cette décision, regrettant toutefois l'abandon de "la promesse solennelle de rembourser ses dettes". Que dira-t-on si le Congrès américain plonge l'économie mondiale dans le chaos?

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