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Faire des matelas sur le Plateau n'est pas de tout repos

Faire des matelas sur le Plateau n'est pas de tout repos

Avec ses 101 000 habitants, le Plateau-Mont-Royal présente la plus forte densité de population à Montréal. Pour Stéphane Lévis, PDG de Matelas Sélection, il serait logique que ce foisonnant voisinage soit sa première clientèle.

Un texte d'Anne-Marie Lecomte

Depuis 72 ans, l'usine et la salle de démonstration de cette entreprise sont nichées en plein cur de cet arrondissement central. Le commerce de proximité, cet entrepreneur y croit, même si son marché déborde la grande région de Montréal pour s'étendre jusqu'à Québec et Ottawa. Mais à Montréal, Stéphane Lévis voudrait que sa vie soit plus simple.

Or, ce manufacturier vit en plein paradoxe : les résidents du Plateau-Mont-Royal ignorent tout de son existence! Et ce, même sur la passante rue Papineau, qui est à un jet de pierre de Matelas Sélection. C'est que l'entreprise a pignon sur rue tranquille, la rue Cartier qui, à cette hauteur, est mi-résidentielle, mi-industrielle et qui aboutit sur une voie ferrée.

Pour Mathieu Lapointe de la Chambre de commerce de l'Est de Montréal (CCEM), le paradoxe que vit M. Lévis est un phénomène répandu parmi les petits manufacturiers montréalais. Or, si la CCEM offre de l'aide à l'exportation à ces petites entreprises, elle ne dispose pas d'un programme destiné à aider ces dernières au niveau local.

Le problème de visibilité de Matelas Sélection demeure donc entier. Pour y remédier, Stéphane Lévis a jonglé avec l'idée d'ouvrir une succursale sur l'avenue du Mont-Royal, qui se trouve à 10 minutes d'autobus mais pareille aventure serait trop coûteuse.

L'an dernier, le petit manufacturier a lorgné du côté de Laval, non sans avoir le cur gros : « J'aime Montréal! Je ne veux rien savoir de Laval!, s'exclame-t-il. Mais rester dans la métropole lui occasionne des problèmes croissants. Choisir de rester à Montréal « OK, mais dois-je en être pénalisé pour autant? »

Stéphane Lévis résume comme suit ses embûches de petit manufacturier montréalais :

  1. La difficulté d'être un commerce de proximité;
  2. Les déplacements, de plus en plus compliqués;
  3. Les taxes qui, depuis quatre ans, ont fait augmenter de 2,5 % par an les coûts de location pour Matelas Sélection, locataire de l'immeuble qui abrite ses installations.

De la difficulté de se faire connaître quand on n'a pas le budget marketing des géants

Stéphane Lévis qualifie « d'agressives » les campagnes publicitaires de concurrents qui appartiennent à des chaînes et dont le volume est beaucoup plus élevé que le sien. Annonces à la télévision, circulaires à gogo, l'entrepreneur du Plateau considère ne pas avoir les reins assez solides pour jouer dans cette ligue-là.

« Consacrer 2 à 3 % de mon chiffre d'affaires en pub serait dérisoire et inutile : ma publicité serait noyée dans le lot », dit-il.

De plus, le propriétaire de Matelas Sélection réprouve le contenu de certaines publicités de sommiers, qui ne sont, à son avis, que de la poudre aux yeux.

« De la mousse "Air Cool", par exemple, s'insurge Stéphane Lévis. Je n'ai jamais entendu parler de ce matériau-là. Or, je me rends chaque année aux foires réunissant les fabricants du monde entier, aux États-Unis et en Allemagne, et je suis au fait des matières qui sont utilisées ».

Stéphane Lévis reproche à nombre de ses concurrents d'attirer la clientèle avec des prix très bas, au détriment de ce que doivent savoir les gens pour faire un choix éclairé.

Pas de circulaires

Alors que faire? Passer des circulaires? Quantité de résidents du Plateau apposent sur leur porte le collant « Pas de circulaire », un interdit (quiconque enfreint cet interdit est passible d'une amende de 1000 $). Une circulaire, Stéphane Lévis en conçoit quand même, une à deux fois par an et il les dépose lui-même, les dimanches, dans les boîtes aux lettres. « Tu pollues! », lui reprochent certains habitants du Plateau.

Reste la publicité par Internet. Mais encore faut-il que les internautes du Plateau soient dirigés vers le site de l'entreprise...

Livrer un matelas à pied sur la Place Jacques-Cartier

À Montréal, certaines livraisons qu'effectue la petite équipe de Stéphane Lévis ne sont pas de tout repos. « Livrer un matelas, ce n'est pas comme livrer une pizza », soupire l'entrepreneur, qui se souvient du jour où il a dû livrer un matelas de grand format (queen) dans le Vieux-Montréal. Pas moyen de se garer dans la rue Saint-Paul, où habitait le client. Son camion, Stéphane Lévis l'a laissé rue de la Commune et il a transporté le matelas à bout de bras sur la Place Jacques-Cartier, entre les calèches et les touristes.

Ses coûts de déplacement sont en hausse. « Depuis un an ou deux, les dépenses de l'entreprise en essence ont grimpé de 10 à 15 %, affirme Stéphane Lévis. En raison des hausses du coût du carburant, bien sûr, mais aussi de l'intensification des problèmes de circulation dans le grand Montréal, théâtre d'incessants chantiers routiers et de sens uniques placés de manière quasi labyrinthique, particulièrement sur le Plateau-Mont-Royal.

La cerise sur la congère : la neige!

Et puis, arrive l'hiver L'an dernier, le manufacturier de la rue Cartier a utilisé la souffleuse de son domicile pour déneiger non seulement son entrée, mais la rue elle-même, qui n'est pas une priorité dans le plan de déneigement de l'arrondissement.

Pour pouvoir fabriquer ses matelas en toute quiétude en hiver, il remplit chaque automne de matériaux son usine de 1400 mètres carrés. « Je stocke comme un écureuil », dit-il. Certaines pièces, comme des pattes en bois pour sommier, proviennent de Chine. Stéphane Lévis n'a pas le choix de les importer : « Plus personne en Amérique du Nord n'en fabrique! ». Il y a des ressorts qui sont faits à Macao et des mousses qui viennent d'Europe.

Des solutions?

Selon Mathieu Lapointe de la Chambre de commerce de l'Est de Montréal, le problème de l'entreprise Matelas Sélection en est un de positionnement. « M. Lévis est face à un choix, dit-il. Ou bien il continue de jouer dans la talle des grandes entreprises, ou bien il se positionne sans ambages comme un manufacturier local. » Mathieu Lapointe suggère les éléments suivants :

  • éclairer mieux sa salle de montre;
  • faire des réclames telles que « achetez directement du manufacturier »;
  • s'approvisionner davantage auprès de fournisseurs locaux « ce que M. Lévis a commencé à faire en achetant des tissus d'ici », approuve Mathieu Lapointe;
  • intégrer des programmes d'insertion au travail;
  • tirer profit au maximum du réseautage, en participant aux activités de la CCEM.

Fait du hasard, Mathieu Lapointe a travaillé dans l'industrie manufacturière du matelas, chez Sommex à Trois-Rivières. De plus, il est originaire de Gatineau, où il cite l'exemple de l'entreprise familiale plus que centenaire des Matelas Lapensée « qui remporte beaucoup de succès localement », en s'étant imposée dans la région comme l'endroit où on peut se procurer un matelas « directement du manufacturier ».

Quelques informations intéressantes sur les matelas

Les Nord-Américains, habitués au matelas à ressorts, se familiarisent de plus en plus avec les matelas de mousse, explique en substance Stéphane Lévis. En Europe, c'est le contraire. Les fabricants européens ont mis au point des mousses profilées, destinées à épouser la silhouette.

Les courants de la mode déferlent aussi sur les matelas : alors que dans les années 1980, monsieur et madame achetaient sans frémir un matelas beige, ils optent de nos jours pour des couleurs « plus tendance ». Et ce, même si la majorité des clients oublient la couleur de leur matelas sitôt la housse posée! Autre effet de mode dans le monde du matelas : des formes plus « féminines ».

« Si le matelas ne plaît pas à madame, il ne se vendra pas », affirme Stéphane Lévis. Pour mieux prendre le pouls de la clientèle, Stéphane Lévis recourt à des femmes, deux designers et son épouse, qui prend une part grandissante dans le fonctionnement de l'entreprise.

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