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Pereira tient tête au crime organisé

Pereira tient tête au crime organisé

Ken Pereira affirme que l'ex-directeur général de la FTQ-Construction Jocelyn Dupuis entretenait des liens avec les Hells Angels et la mafia, une réalité à laquelle il a été confrontée après qu'il eut volé ses comptes de dépenses dans les locaux du syndicat. Il a longuement expliqué les interventions successives du syndicaliste Eddy Brandone, du présumé mafieux Raynald Desjardins et de Louis-Pierre Lafortune auprès de lui pour qu'il cesse de nuire à Jocelyn Dupuis.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

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L'ancien directeur du local des mécaniciens industriels (1981) affirme que c'est Eddy Brandone, alors secrétaire-trésorier de la FTQ-Construction, qui a d'abord tenté d'acheter son silence en lui offrant sa propre Mercedes.

Jocelyn Dupuis était alors toujours à la FTQ-Construction et M. Pereira cherchait à ce moment, avec l'aval du président de la FTQ, Michel Arsenault, à obtenir l'appui de M. Brandone et de directeurs de locaux pour le pousser à la démission. Lorsqu'il le rencontre, ce dernier promet de faire ce qu'il peut.

M. Pereira lui fait notamment valoir que les factures de M. Dupuis pourraient lui causer des problèmes avec le fisc et les policiers puisqu'il les avait approuvées en tant que secrétaire-trésorier.

M. Brandone, après lui avoir aussi souligné l'influence de M. Dupuis dans le syndicat, lui a tout simplement lancé les clés de sa Mercedes et dit : « Elle est à toi ».

Mais Ken Pereira refuse de se laisser acheter...

Minuit, boulevard Langelier...

Il est par la suite invité à une rencontre à minuit dans un café italien, boulevard Langelier, où il retrouve Eddy Brandone et son agent d'affaires Guy Martin, en compagnie de Bernard Girard, alors vice-président exécutif de la FTQ-Construction.

Ce dernier collaborait avec Ken Pereira dans sa tournée des directeurs de locaux de la FTQ-Construction afin de leur présenter les comptes de dépenses de Jocelyn Dupuis.

Arrivé sur place, Ken Pereira aperçoit dans un coin Giuseppe Colapelle, qu'il décrit comme « un mafioso » qu'il connaissait pour l'avoir notamment croisé dans des bars.

« Il semble très intéressé par notre rencontre », souligne-t-il.

Eddy Brandone brandit alors une facture de Jocelyn Dupuis provenant du restaurant Bull's Eye, au Mont-Tremblant. Sur cette facture, du 26 décembre 2007, se trouvaient les noms de Raynald Desjardins et Giuseppe Bertolo, considérés tout deux comme étant liés à la mafia.

Il fait ainsi comprendre aux trois autres hommes la proximité entre la mafia et Jocelyn Dupuis, et les risques qu'il y a de s'attaquer à lui.

« Moi, je suis capable de me débarrasser des Italiens, mais t'es mieux de nous organiser pour nous donner les factures », lui aurait lancé M. Brandone. « C'est assez clair et net », le sens des propos d'Eddy Brandone, poursuit M. Pereira : « Donne-moi les factures, parce que moi, la mafia [...] je vais être capable de les contrôler. Mais si tu ne me donnes pas les factures, je ne sais pas ce qu'ils vont être capables de faire ».

M. Pereira affirme avoir servi cette anecdote à l'exécutif de la FTQ-Construction, en vain, pour souligner l'importance de sa lutte contre M. Dupuis.

Dupuis ne faisait pas cachette de ses amis criminalisés

« Jocelyn Dupuis, c'est un homme qui ne se cachait de rien », soutient M. Pereira. Tout le monde qui avait une certaine influence à la FTQ, soutient-il, savait qu'il était proche du crime organisé, les Hells Angels et la mafia. Jocelyn Dupuis disait « que sa famille, c'était la FTQ, mais il en avait une autre. Et peut-être c'est la raison pour laquelle ils n'ont pas dénoncé Jocelyn Dupuis ».

Question du procureur Tremblay : « Qui est son autre famille, c'est laquelle? »

R. « La famille des Hells ou la famille de la mafia. »

Q. « Les deux, ou un ou l'autre? »

R. « Je pense qu'il les avait les deux amis. »

« Casper Ouimet, c'est un ami de Jocelyn Dupuis », soutient aussi M. Pereira, en mentionnant ce Hells Angels connu, présentement accusé dans Diligence. Il dit avoir vu à « au moins deux reprises » ce dernier venir rencontrer Jocelyn Dupuis directement à ses bureaux à la FTQ.

Il affirme même que M. Dupuis avait tenté d'obtenir de la FTQ-Construction qu'elle paie pour les funérailles du mafieux et représentant syndical Johnny Bertolo, le frère de Giuseppe, après son assassinat en 2005.

Une troublante rencontre avec le mafieux Desjardins

Vers la fin 2008, sinon le début 2009, Ken Pereira se rend au Hilton de Laval en compagnie de Bernard Girard, un homme de confiance, pour rencontrer Raynald Desjardins.

La rencontre avait été organisée par Éric Boisjoli, alors directeur de la section locale 791 G des grutiers, à la demande, croit-il, de Louis-Pierre Lafortune des grues Guay. Le but de la rencontre est d'atténuer les tensions entre M. Pereira et la FTQ-Construction, où ils sont nombreux à le prendre pour un délateur.

À cette époque, M. Pereira ne s'était pas encore confié à l'émission Enquête.

Jocelyn Dupuis avait alors quitté ses fonctions à la FTQ-Construction et était en affaires avec Domenico Arcuri et Raynald Desjardins, deux proches de la mafia, au sein de Carboneutre, comme l'a révélé Enquête.

M. Pereira souligne qu'à cette époque, il ne savait pas encore qui était vraiment M. Desjardins.

Lors de la rencontre, celui-ci commence par lui rappeler qu'il a fait 11 ans de prison et qu'il a toujours su fermer « sa gueule » et que c'est « de même que ça devrait être ». Il lui dit alors qu'il veut l'aider à régler ses problèmes avec Jocelyn Dupuis.

« Qu'est-ce que je peux faire pour améliorer ton sort avec la FTQ et Jocelyn Dupuis? », lui lance M. Desjardins, et Pereira répond : « Je ne pense pas que tu peux m'aider ».

M. Desjardins lui lance alors qu'il n'aura plus Jocelyn Dupuis « dans les pattes », qu'il sera trop occupé avec sa nouvelle compagnie.

Mais M. Pereira insiste auprès de Raynald Desjardins qu'il se voit mal faire la paix avec Jocelyn Dupuis, notamment après ses manuvres contre le président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée.

C'est alors que M. Desjardins tient des propos surprenants : « C'est pas la décision à Jocelyn, c'est la mienne. C'est assez que Tony et Johnny gèrent le Fonds, c'est à peu près temps qu'ils laissent une partie du gâteau à nous autres, à moi pis à Jocelyn ». Il s'agit de Tony Accurso, précise M. Pereira.

Ces propos sur le Fonds de solidarité l'éclairent sur « la guerre entre Jocelyn et Johnny pour la tête de la FTQ », qui s'est notamment jouée par acteurs interposés aux élections de novembre 2008, « pour avoir accès à la chaise au Fonds de solidarité ».

Raynald Desjardins lui donne à la fin de la rencontre son cellulaire personnel et lui dit de l'appeler s'il a un problème avec des gens à la FTQ-Construction.

Au sortir de la réunion, Bernard Girard lui conseille de faire comme le veut Raynald Desjardins.

Un entrepreneur qui a le bras long

Ce n'est cependant pas la première fois que Ken Pereira rencontrait Louis-Pierre Lafortune. Ce dernier l'avait invité quelques jours plus tôt à le rencontrer dans le locaux de Grues Guay, pour lui faire entendre raison.

M. Lafortune avait alors tenté de lui montrer son influence en brandissant sous son nez un CD contenant les factures de Jocelyn Dupuis que Ken Pereira avait remis à Richard Goyette après son élection comme directeur général de la FTQ-Construction, en novembre 2008.

« Écris-moi ce que tu veux, et peut-être on peut t'accommoder » lui lance alors l'entrepreneur qui lui tend un papier. Mais Pereira ne le prend pas vraiment au sérieux, doute de son influence et crâneur, écrit : « directeur général de la FTQ-Construction ». M. Lafortune lui réplique alors que la chose serait difficile et lui parle plutôt d'un poste d'adjoint.

Lorsqu'il rapporte cette discussion à Bernard Girard et à Éric Boisjoli, directeur de la section locale 791, les deux hommes lui disent : « Tu le sais que t'as les mains liées si tu acceptes ». Ken Pereira note qu'il se serait plutôt attendu à ce qu'on lui dise que Lafortune n'avait pas ce pouvoir.

Lavallée et Desjardins voulaient que Pereira espionne Radio-Canada

Ken Pereira dit avoir rencontré Raynald Desjardins une seconde fois, vraisemblablement au printemps 2009, à la demande de Jean Lavallée, après que Radio-Canada eut fait état de liens entre MM. Desjardins et Dupuis.

Ken Pereira craignait que Raynald Desjardins l'accuse d'être à l'origine de ces histoires. « J'ai senti que ma vie était en danger », a-t-il dit.

« Jean Lavallée, son idée, simple, claire, est de dire : « Va voir Raynald Desjardins. Montez un scénario d'aller voir Radio-Canada avec quelqu'un de ton entourage. [...] Fais passer comme si c'était le Fonds de solidarité, parce c'est ce qu'ils veulent. Découvre qu'est-ce qui parlent [sic] du Fonds de solidarité en même temps. Checke le war room pour voir qui qu'ils ont. »

Ken Pereira dit avoir trouvé ce scénario « un peu farfelu », mais croit néanmoins que l'affaire pourrait le disculper aux yeux de M. Desjardins et va en parler à ce dernier.

Desjardins, poursuit-il, « a trouvé Lavallée complètement fou, sauf qu'il a demandé à Joe Bertolo, qui était dans le bureau, de se présenter avec moi, et d'aller voir Marie-Maude Denis », journaliste de l'émission Enquête. « Je suis presque dans un scénario de film », commente-t-il.

« Ils m'ont dit ça va être de même, on va y aller avec ça », relate Pereira, qui précise n'avoir jamais cru que Marie-Maude Denis ou Alain Gravel se laisserait berner.

L'affaire ne s'est finalement jamais concrétisée.

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