Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Comment la Fed a évité la faillite des États-Unis en déversant des dollars

Comment la Fed a évité la faillite des États-Unis en déversant des dollars
AFP

Ce devrait être la décision la plus importante depuis les sauvetages financiers de 2008. La Réserve fédérale (Fed) s'apprête à appuyer sur la pédale de frein, en annonçant le début du repli de sa politique monétaire ultra accommodante. Au lieu des 85 milliards de dollars déboursés chaque mois pour fluidifier l’économie depuis un an, la Fed devrait réduire ses achats de 10 à 15 milliards. La promesse d’une baisse continue dans les prochains mois. La fin d'une politique. La fin de la crise peut-être aussi.

Depuis 2008, l'institution financière pratique l'achat massif de bons du Trésor et de titres hypothécaires. La Réserve fédérale souhaite désormais diminuer ces achats car ils alourdissent considérablement son bilan. Sur les trois plans qui se sont succédés, le passif a atteint un total de 3500 milliards de dollars. C'est presque cinq fois plus qu'en 2007, selon Charles Evans, président de l'antenne locale de Chicago et membre votant du “conclave” de la Fed.

Pourquoi avoir déversé autant de dollars?

Rappelez-vous, nous sommes au début de l’automne 2008, la banque Lehman Brothers vient de faire faillite. L’économie américaine est alors tétanisée, les institutions financières cessent de se prêter entre elles, de peur de récupérer des créances toxiques. Il faut donc injecter de l’argent frais, sans quoi ce serait la faillite totale.

Premier acte (2008-2010): la Fed rachète les créances toxiques

Ben Bernanke, déjà président de la Réserve fédérale, avalise alors le plan Paulson de 700 milliards de dollars. Les organismes de refinancement hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae sont sauvés, tandis que le reste du pactole inonde les marchés. En fournissant durablement de la liquidité par ses achats de titres “pourris”, la Fed redresse ainsi la valeur des actifs financiers autant que la valeur des biens immobiliers. Les Bourses sont sauvées, un grand nombre de ménages aussi.

On se souvient des images de familles américaines expulsées, mais le scénario aurait pu être bien pire. Avec ses mesures d’urgence, la Fed a revalorisé le patrimoine immobilier des Américains, pourtant en chute libre.

Un effondrement patrimonial aurait été au moins aussi dangereux pour la croissance que l’effondrement du système de crédit. L'impact d'une baisse drastique de la valeur des patrimoines aurait engendré une dépression longue de la consommation. Voilà pour ce qu’on appelle le QE1, du nom de la première phase “d’assouplissement quantitatif”.

Deuxième acte (2010-2011): autofinancer la dette américaine

Il débute en novembre 2010. Malgré les efforts conjugués de la Fed et du Trésor, la crise économique et financière est à peine enrayée. Confrontée à une croissance molle, l’économie américaine déçoit les espérances d’une reprise rapide. Du coup, les investisseurs perdent confiance dans les capacités des États-Unis pour se financer sur les marchés. Ses taux d’emprunt à long terme se mettent à grimper, on commence même à évoquer la faillite de l’État.

La Fed décide alors de se détourner de l’immobilier, pour se lancer dans un programme de rachat de bons du Trésor. En clair: les Etats-Unis vont eux-même financer leur dette, afin de calmer les spéculateurs.

Mais où trouver l’argent pour financer ses propres prêts? Si l’on a vulgairement utilisé le terme de “planche à billets”, la Fed n’a pas choisi de passer par la création monétaire. En effet, malgré ses achats massifs, le volume de monnaie centrale en circulation est resté quasi-stable… Pour preuve, le taux d'inflation n'a pas connu de grosse variation, ce qui est le symptôme classique d'une banque centrale qui "imprime" des billets. Comment expliquer cette prouesse?

La Fed a capitalisé sur les intérêts procurés par les actifs sauvés au début de la crise. Elle a réinvesti les amortissements des titres financiers immobiliers qu'elle détenait, au fur et à mesure qu'ils arrivaient à échéance, afin d'assurer que le concours financier qu'elle apporte à l'économie reste stable. Du coup, 600 milliards ont été investis entre novembre 2011 et juin 2012, sans que l’inflation n’explose.

Les sauvetages de Freddie Mac, Fannie Mae ou même l'assureur AIG n'ont pas été une si mauvaise affaire. Les organismes de refinancement remboursent chaque mois l'Etat, et avec des intérêts records. Pour AIG, le retour sur investissement a été chiffré à 23 milliards de dollars, après avoir mobilisé 182 milliards en 2008.

Troisième acte (2012-?): l'artillerie lourde

Depuis son QE3, débuté en septembre 2012, la Fed dépense 85 milliards de dollars chaque mois en bons du Trésor et titres hypothécaires. Le but est toujours le même: faire pression sur la baisse sur les taux et favoriser l'activité économique. Sauf que ce dernier programme est une sorte de fusion du QE1 et du QE2: on joue sur les actifs immobiliers et aussi sur les bons du Trésor.

Pour se financer, Ben Bernanke a incité les banques à "rendre" l'argent émise par la Fed. Dans tout système monétaire, les banques commerciales (Bank of America...) sont tenues de fournir des réserves obligatoires à leur banque centrale. Une façon d'éviter tout dérapage. Dans ce cas, la Fed a mis une place une rémunération sur ces réserves: résultat, les banques ont eu intérêt à augmenter leurs dépôts auprès de la Réserve. C'est ce qui explique le fait que la planche à billets n'ait pas été utilisée, selon Michel Feldstein, professeur d'économie à Harvard. Ce qui explique la stabilité du taux d'inflation.

Les marchés battent des records, mais l'économie réelle souffre

Bien que Wall Street applaudisse cet apport d’argent frais (le S&P 500 a franchi le seuil historique des 1700 points le 1er août), la transmission de cette santé financière ne se retrouve pas tout à fait dans l’économie réelle. Il existe encore un cordon sanitaire entre les deux.

Si le taux de chômage a chuté à 7,3% en août, au plus bas depuis décembre 2008, c'est surtout à cause d’une réduction de la population active. Le nombre de créations d’emplois reste décevant, révisé à la baisse pour les deux mois précédents. Au deuxième trimestre, la croissance du PIB américain a affiché 1,7%, un taux jugé encore modeste pour tout cet argent mobilisé.

La Réserve fédérale a toujours déclaré que ses injections de liquidité seront liées à la baisse du chômage. Voilà pourquoi la Fed devrait y aller avec des pincettes, surtout que les économies émergentes ont critiqué les conséquences collatérales au récent G20. Avant les futures mesures de la Fed, des milliards de dollars se sont envolés des Bourses brésiliennes, indiennes, russes et sud-africaines. En annonçant un frein de sa politique, Ben Bernanke possède donc un peu plus que le destin de l’économie américaine entre ses mains.

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.

INOLTRE SU HUFFPOST

Découvrez les 12 rescapés du "triple A"

Les 10 pays encore notés AAA

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.