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Mort de Johnny Cash : 10 ans après, la country n'est pas ce que vous croyez

10 ans après la mort de Johnny Cash, la country n'est pas ce que vous croyez
DR

On l’appelait "l’Homme en noir". Johnny Cash est décédé il y a tous justes dix ans, à 71 printemps, après cinquante années passées à faire résonner sa voix grave. Il est de ces chanteurs complexes dont la multiplicité des faces amène à le détester autant qu’à l’idolâtrer.

"Johnny Cash réunit beaucoup d’éléments, explique Jacques Brémond, rédacteur en chef du Cri du Coyote", principal fanzine consacré à la country en France.

"C’était un gars de la campagne, un type simple, comme ses textes. Mais il est un panorama des USA. Un self-made-man, qui cassait les chambres d’hôtels bien avant les punks, très religieux, conservateur, puis opposé à la guerre du Vietnam… Tout le monde peut y retrouver son Amérique en lui."

Ses concerts débutaient toujours par la même phrase: "Hello, I’m Johnny Cash". Et ses tubes suivaient. Walk The Line, Folsom Prison Blues, Jackson ou Ring Of Fire sont inscrits dans la mémoire collective américaine.

"Beaucoup de gens disent aimer Johnny Cash, mais demandez-leur de citer cinq titres de lui. Peu en sont capables", lance Florent Dufour, président de la French Association of Country Music et conférencier sur la country.

C’est un paradoxe :On connaît surtout Cash pour trois choses: ses lives dans les prisons américaines (Folsom et Saint-Quentin, notamment), ses derniers albums (les American Recordings, produits par Rick Rubin) et le biopic Walk The Line (2005) avec Joaquin Phoenix en acteur principal. Mais que connaît-on de son style de prédilection, la country?

Johnny Cash - Folsom Prison Blues:

La France n’aime pas la country

Jacques Brémond voit pourtant le même phénomène se répéter depuis 40 ans: "En France, la country est méprisée. Garth Brooks, qui est une star aux USA (plus de 130 millions d’albums vendus aux États-Unis, ndlr), n'a vendu que 800 exemplaires de son dernier album chez nous."

Pourtant ça n'empêche pas les clubs de danse country de se multiplier en France. "Mais cette image du cow-boy est complètement fausse, tonne Florent Dufour. Les pas exécutés dans ces clubs n’existent pas dans la culture américaine." La France reste de marbre face à la country que les Américains mettent en tête de leurs charts.

Garth Brooks - Friends In Low Places (1991)

"Les gens n'y comprennent rien, résume Jacques Brémond. C'est un style doté d'un langage particulier, référencé. Même les médias français spécialisés dans la musique ne la cernent pas."

Lorsque Johnny Cash chante I Walk The Line, il parle de traverser le Jourdain. Ce substrat religieux est très important dans ses textes, mais n'a pas le même écho en France.

Une autre explication, historique, est aussi recevable. Dans les années 1970, la musique américaine exportée outre-Altlantique se résume au rockabilly et au rock'n'roll. La place est déjà prise. La country est trop rurale, trop terrienne. Elle apparaît comme un symbole nationaliste, un genre étiqueté américain qui passe mal en France où l'opposition à la guerre du Vietnam bat son plein. Comme les artistes ne s'y vendent pas, le pays ne parvient pas à attirer les organisateurs de concerts country.

Les clichés sont solides. Pourtant, Ray Charles a commencé en jouant de la country, tout comme le bluesman Jimmy Rodgers. "On oppose souvent le blues, comme la musique triste des noirs, à la country, comme la musique gaie des blancs, lance Jacques Brémond. C'est une erreur. Les deux sont très liés et, en fonction de leurs nombreux sous-genres, prennent plusieurs formes."

D’immenses stars aux USA

Mais les choses ont changé. Aux USA, la country s'est progressivement débarrassée de son image blanche, conservatrice et campagnarde. Les citadins, nostalgiques d'une certaine ruralité, s'y sont mis peu à peu.

"Une nouvelle vague est apparue à la fin des années 1980, raconte Florent Dufour. De jeunes artistes ont succédé à Johnny Cash, Willie Nelson et le reste de ceux qui composaient le mouvement Outlaw (dans les années 1970, en opposition au moderne Nashville sound, ils prônaient un certain retour aux sources, au Honky Tonk, ndlr). Ils font une musique différente de leurs aînés, plus moderne, et remplissent les stades."

Pour illustrer ce passage entre deux générations, visionner le film Crazy Heart (2009) avec Jeff Bridges et Colin Farrell en vedettes, est un bon début.

Bande-annonce de Crazy Heart:

Mais malgré ces films à succès (on peut aussi citer Honkytonk Man (1982) de Clint Eastwood), et les ventes de leurs bandes originales, la France reste hermétique à la country. Les chiffres aux USA sont pourtant colossaux, cette nouvelle vague squatte les charts.

Rien que cette semaine, au Billboard 200, les albums country occupent les 17e, 12e, 8e et 2e places. Aussi bien classés que les albums de rap. En 2012, Taylor Swift et son album Red terminaient l’année en tête du classement. Cette même année, Jason Aldean, Mumford & Sons, Zac Brown Band, Carrie Underwood la précédaient tour à tour. Mais rien à voir avec l’époque des Outlaws.

"Ça n'est plus une musique dans la tradition, explique Jacques Brémond. Je ne juge pas de la qualité des compositions. Taylor Swift, par exemple, qui est une des rares à vendre des albums en France, est une artiste très complète. Mais les jeunes qui l'écoutent n'ont plus cette perspective historique, si importante dans la musique country."

"C'est les USA, tout est question de commerce. Il faut capter les auditeurs dès leur plus jeune âge." D'ailleurs, le style country et les accessoires qui vont avec (bottes, chapeaux…) sont devenus un énorme business. Et qu'on aille à New York ou au Texas, c'est la même country qui passe à la radio.

Il n'y a qu'à regarder certains clips de Carrie Underwood à l'esthétique proche des vidéos de rap. Et dire que les artistes country sont tous conservateurs et républicains est une autre erreur. Ralph Stanley, Brad Paisley et d'autres stars du genre ont appelé à voter Obama.

Ce style est à l'image des USA : un grand brassage de cultures, parfois mal compris. En France, les clichés persistent. Ce que résume Jacques Brémond avec humour: "Quelqu'un qui ne connaît que le poisson pané ne connaît pas le goût de la truite." Et la truite, c'est la bonne country. Alors en voici un morceau (du bluegrass, plus précisément) pour se faire une idée:

Ralph Stanley - Oh, Death:

Jacques Brémond:

Le Guide de la Country et du Folk, avec Gérard Herzhaft (Ed. Fayard)

Le Cri du Coyote, Revue de Musiques Américaines. Fanzine, 26e année

Découvrez différents duo du couple Johnny Cash-June Carter Cash:

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