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Réforme de l'assurance-emploi : première journée d'audiences

Réforme de l'assurance-emploi : première journée d'audiences
AP

Un texte de Joane Bérubé

Les audiences de la Commission nationale sur la réforme de l'assurance-emploi débutent lundi, à Gaspé. Pour sa tournée des régions, la Commission a invité des travailleurs à s'exprimer sur leurs réalités et des employeurs à témoigner de l'impact de la réforme sur le recrutement, l'embauche et la rétention.

Il s'agit d'une nouvelle étape pour les coprésidents, Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais, qui ont, depuis la création de la Commission en avril, rencontré des experts et divers intervenants. Les coprésidents ont aussi discuté avec des représentants des provinces Atlantique, où une commission similaire a été mise sur pied.

La Commission a reçu jusqu'à maintenant plus d'une soixantaine de mémoires,dont 17 en provenance des trois régions de l'Est du Québec, tous défavorables à la réforme.

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Une réforme en six points

La réforme du gouvernement Harper se résume en six grandes modifications, la plus importante étant la création de trois catégories de chômeurs selon leur recours au programme. Ainsi, les chômeurs fréquents, principalement des travailleurs saisonniers, reçoivent moins d'argent.

Ottawa introduit maintenant une notion de distance dans sa définition d'emploi « convenable ». Un chômeur pourra se voir offrir un travail à 100 kilomètres de son lieu de résidence dans un domaine qui n'est pas le sien et avec un salaire de 30 % inférieur au dernier emploi occupé.

Il n'y a plus de projets pilotes qui, dans des régions comme la Gaspésie, permettaient aux travailleurs saisonniers de prolonger leur période de prestations jusqu'au retour à l'emploi.

Depuis janvier, le gouvernement récupère 50 % de tous les gains d'un chômeur qui travaille à temps partiel. Auparavant, un chômeur pouvait gagner jusqu'au quart de ses prestations sans être pénalisé.

Enfin, les contrôles auprès des prestataires ont été accrus et si une cause est portée en appel, elle sera dorénavant évaluée par une seule personne.

Une autre réalité : la saisonnalité

Une coalition qui regroupe élus, employeurs et travailleurs de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine a été formée pour lutter contre la réforme, au début de l'année. De nombreuses manifestations ont eu lieu dans l'Est du Québec au cours des derniers mois pour dénoncer la réforme.

Une des principales revendications de cette coalition est l'imposition d'un moratoire sur la réforme, le temps d'en mesurer les répercussions sur les régions ressources. Plusieurs acteurs socioéconomiques de l'Est du Québec dénoncent le manque de concertation du gouvernement fédéral dans ce dossier.

Des régions comme le Bas-Saint-Laurent, où le travail saisonnier représente 10 % du marché de l'emploi, ou les Îles-de-la-Madeleine, où il représente 30 % des emplois, sont fortement touchées par la réforme.

En Gaspésie, un emploi sur trois se trouve dans un secteur essentiellement saisonnier, comme la pêche ou le tourisme. Avec 16,4 % de chômeurs au second trimestre de 2013, la région affiche le plus haut taux de chômage au Québec.

À première vue, la situation semble moins critique sur la Côte-Nord, où le taux de chômage se maintient autour de 10 %, mais selon Action-Chômage Haute-Côte-Nord, ce taux ne tient pas compte des disparités régionales.

Dans l'ouest du territoire, l'organisme avance que le chômage oscille entre 17 % et 28 % dans la plupart des municipalités du secteur. L'organisme réclame depuis des années un redécoupage administratif pour que cette réalité soit considérée.

De nombreux élus accusent le gouvernement de faire fi des structures économiques régionales et de pénaliser les gens qui ont choisi de s'installer en région.

La saisonnalité est au cur de bien des préoccupations de bien des intervenants de la Commission. Un regroupement de représentants du secteur des pêches, de l'agriculture, de la forêt, du tourisme et de l'horticulture s'est d'ailleurs formé pour défendre le principe.

Le Chantier de la saisonnalité a déposé un mémoire qui recommande la reconnaissance de la valeur économique du travail saisonnier et revendique un statut particulier pour les emplois saisonniers.

Ces principes sont défendus notamment par la Conférence régionale des élus (CRE) de la Gaspésie qui fait valoir, dans son mémoire, que la saisonnalité des emplois est une réalité intrinsèque de son économie. De même, la CRE de la Côte-Nord réclamera pour les travailleurs saisonniers un statut particulier comme il en existe un pour les travailleurs autonomes.

Fracture entre le monde rural et le monde urbain

Au Bas-Saint-Laurent, où un prestataire de l'assurance-emploi sur deux est un travailleur saisonnier, la Conférence régionale des élus rappelle que le programme joue un rôle de stabilisation important pour l'économie régionale, tant sur le plan du revenu des travailleurs que sur celui de la rétention de la main-d'uvre saisonnière qualifiée.

La CRE du Bas-Saint-Laurent craint que le resserrement du programme accentue la fracture entre les milieux ruraux et les milieux urbains. Les élus croient que les travailleurs saisonniers des villages seront incités à occuper des emplois situés dans les secteurs urbains de la région, souvent plus dynamiques.

Il est fort probable, poursuit la CRE, que ces travailleurs s'installeront définitivement en ville, ce qui fragilisera encore plus le milieu rural.

« La réponse à des pénuries de main-d'uvre ne peut passer par la création d'autres pénuries ailleurs », font valoir les élus du Bas-Saint-Laurent, qui souhaitent que l'équilibre rural/urbain soit une préoccupation nationale, et non pas seulement régionale.

Aux Iles-de-la-Madeleine, la Table de concertation sur l'assurance-emploi des Îles voit d'ailleurs la réforme comme une entrave au développement de l'économie de l'archipel et le début d'un processus de dévitalisation en raison de l'exode des jeunes. Par exemple, les pêcheurs madelinots craignent de perdre leur expertise, faute de pouvoir recruter et retenir les aides-pêcheurs.

Plusieurs mémoires déplorent la lenteur administrative dans le traitement des demandes de prestations, ce qui s'ajoute au fameux « trou noir de l'assurance-emploi », soit ces semaines sans aucun revenu entre la fin des prestations et le retour à l'emploi.

La Table de concertation des femmes de la Gaspésie-et-des-Îles estime que les femmes, surreprésentées dans les catégories d'emplois précaires et saisonniers, augmenteront leur niveau d'endettement. La Table des aînés de la Gaspésie et des Îles souligne pour sa part qu'il est bien difficile, pour un travailleur occupant un emploi précaire ou saisonnier, d'épargner en vue de la retraite.

La Conférence régionale des élus du Bas-Saint-Laurent résume bien l'ensemble de ces idées en dénonçant ce qu'elle considère comme une spirale vers la pauvreté pour bien des catégories de travailleurs.

Des solutions et des actions

Le tourisme, la forêt, l'agriculture ou les pêches contribuent de manière importante à l'économie malgré les périodes de ralentissement ou d'arrêt, souligne la Chambre de commerce de Rivière-du-Loup.

La Chambre parle ainsi d'emplois saisonniers permanents pour souligner le caractère récurrent de bon nombre de ces emplois. Les employeurs appréhendent, par ailleurs, une augmentation des coûts de formation et une perte de qualité de la production ou de la prestation des services, à cause de l'augmentation du taux de roulement de la main-d'uvre.

L'organisme suggère notamment de profiter des arrêts de travail pour former la main-d'uvre ou de jumeler des entreprises complémentaires. Une expérience de jumelage d'entreprises et de partage de main-d'oeuvre a été mise en place avec succès en Gaspésie dans le secteur bioalimentaire, rapportent les élus de la Gaspésie dans leur mémoire.

Dans la même veine, la Chambre de commerce de Rocher-Percé propose la mise sur pied d'entreprises de formation pour améliorer la polyvalence des travailleurs. Ces entreprises, fait valoir l'organisme, contribuent de plus à l'activité économique de la région.

« Discrimination par omission »

Le chômage est souvent endémique dans les réserves et les Autochtones se présenteront aussi devant la Commission. L'Association des Premières Nations du Québec et du Labrador juge que le gouvernement a manqué à ses responsabilités envers les Premières Nations en n'analysant pas les impacts de la réforme dans les communautés autochtones. L'Association parle d'ailleurs de « discrimination par omission ».

De leur côté, les Autochtones d'Essipit, près des Escoumins sur la Côte-Nord, ont déposé un mémoire qui recommande de contester la légalité de Loi C-38 et de déposer des plaintes auprès du vérificateur général et du protecteur du citoyen.

Au cours des audiences, d'autres préoccupations se feront aussi entendre, notamment celle de l'Institut économique de Montréal ou celle du Conseil du patronat qui, tout en critiquant certaines mesures, se prononce contre un éventuel rapatriement du programme d'assurance-emploi au Québec.

Après l'Est du Québec, c'est au Saguenay-Lac-Saint-Jean que se rendra la Commission. Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais termineront leur tournée du Québec le 10 octobre.

Les coprésidents doivent remettre le résultat de leurs travaux en novembre.

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