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Snowden, l'homme qui dit la vérité, Clapper, l'homme qui ment

Snowden, l'homme qui dit la vérité, Clapper, l'homme qui ment

On parle beaucoup de lui aux États-Unis, depuis ses révélations-chocs aux quotidiens The Guardian et Washington Post, et depuis une entrevue à visage découvert, lundi dernier, de sa chambre d'hôtel à Hong Kong, où il s'est réfugié depuis le 20 mai.

Un texte de Joyce Napier

Héros, crapule, Edward Snowden, 29 ans, reste un mystère. Ses motivations sont mises en doute par ceux qui veulent le voir muselé, emprisonné, puni pour avoir révélé au monde entier que la très secrète agence nationale de sécurité, la NSA, a mis en place un programme de surveillance sans précédent. Le gouvernement américain, c'est officiel, espionne ses propres citoyens. Un vrai « grand frère » à la George Orwell.

On parle beaucoup d'Edward Snowden parce qu'il a eu l'audace, le courage, le culot de dire la vérité.

Mais on parle aussi beaucoup du tsar des services de renseignement, James Clapper, directeur du National Intelligence, qui, lui, a eu l'audace, le courage et le culot de mentir.

Lors d'un témoignage au Congrès, le 12 mars dernier, le sénateur républicain de l'Oregon, Ron Wyden, demandait à M. Clapper si les agences américaines du renseignement « collectaient des informations, n'importe quelles informations sur des millions d'Américains? »

« Non, Monsieur », a répondu James Clapper, les yeux baissés, en se grattant la tête. « Sauf dans de rares cas et par inadvertance », a-t-il ajouté.

Écoutez l'échange à 6 min 9 s de cette vidéo :

Inadvertance? Pas vraiment, puisqu'on sait maintenant que cette surveillance est plutôt systématique.

James Clapper n'a pas dit la vérité aux Américains. Il le savait lors de son témoignage. Tout le monde le sait maintenant. Il a menti, et ce n'est pas par inadvertance. Et puis, il en a rajouté, en accusant le dénonciateur, la taupe, Edward Snowden d'avoir « violé la confiance sacrée du public ». Il s'est même dit « profondément vexé » par l'auteur de cette fuite.

Donc, si on suit la logique du chef de la National Intelligence, celui qui dit la vérité viole une confiance sacrée. Et celui qui ment, comme lui, le fait pour sauvegarder cette confiance sacrée? Il ment pour le bien des autres? Et M. Snowden dit la vérité au détriment de ses concitoyens?

On sait maintenant que toutes les communications aux États-Unis - téléphone, Internet, messages électroniques, photos, recherches ainsi qu'une grande part des messages entrant et sortant du pays - sont interceptés, scrutés, collectés et rangés dans une immense banque de données.

Vous appelez votre maman? Hop, le coup de fil est archivé par la NSA. Vous commandez une pizza, attention, c'est répertorié et rangé dans un dossier virtuel top secret, sait-on jamais, l'information pourrait servir un jour.

Edward Snowden était au courant de ce programme ultra-secret parce qu'il y travaillait comme analyste de données pour Booz-Allen-Hamilton, un sous-traitant de la NSA, une firme privée à but très lucratif qui a accès à toutes sortes d'informations très confidentielles sur les Américains. Pratique douteuse, mais passons.

Un secret trop lourd pour un seul homme. Edward Snowden dit qu'il a révélé l'existence de ce programme parce qu'il ne pouvait pas « permettre au gouvernement américain de détruire la vie privée, la liberté d'Internet et les libertés fondamentales des personnes avec ce système gigantesque de surveillance qu'ils sont en train de bâtir secrètement ».

Une affaire de plus en plus bizarre, que Barack Obama justifie au nom de la sécurité : « On ne peut pas avoir une sécurité garantie à 100 % sans que cela n'affecte notre vie privée. Il faut faire des choix. »

Et il faut croire que l'administration Obama, et celle de son prédécesseur, George W. Bush, ont fait leur choix. Ces programmes, estiment-elles, sont indispensables dans cette lutte constante contre le terrorisme.

La sénatrice démocrate Dianne Feinstein, présidente de la puissante commission du renseignement, accuse Edward Snowden d'avoir commis « un acte de trahison » et réclame son extradition de Hong Kong afin qu'il soit jugé aux États-Unis. Son collègue, le sénateur Bill Nelson, et bien d'autres sont d'accord avec elle.

D'ailleurs, selon un sondage du Washington Post et de l'Institut Pew, 56 % des Américains interrogés estiment que ce programme de surveillance est un moyen « acceptable » d'enquêter sur la menace terroriste, et oui, même si leurs droits sont empiétés.

Ces mêmes Américains ne veulent pas qu'on touche à leur droit de posséder des armes à feu, mais cèdent volontiers leur droit à leur « privacy », le droit de ne pas avoir toutes leurs communications répertoriées et stockées.

« Je ne suis ni un traître, ni un héros. Je suis un Américain », a dit Edward Snowden dans un entretien au South China Morning Post, un quotidien de Hong Kong.

Mais pour un grand nombre d'Américains, il est aujourd'hui un traître. Et le directeur du National Intelligence, lui, est un menteur. Entre un menteur et un traître, qui faut-il croire?