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Collusion à Laval : « Qui est-ce qui dirigeait ce régime-là? ‘'C'était là!'' »

Collusion à Laval : « Qui est-ce qui dirigeait ce régime-là? ‘'C'était là!'' »
Radio-Canada

Le témoignage que Ronnie « René » Mergl a fait à la commission Charbonneau a corroboré sur une multitude de points ceux livrés par les autres témoins venus parler du « système de Laval ». Le vice-président de Nepcon, arrêté avec ses frères Anthony et Mike par l'UPAC le 9 mai dernier, n'a pas tardé à reconnaître sa complicité dans le système, dont il a décrit les rouages.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

Il s'est cependant refusé, pour l'instant, à impliquer ouvertement l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt. C'est le directeur du service de l'ingénierie Claude Deguise qui dirigeait le système, avec l'aval présumé du directeur général de la Ville, Claude Asselin, a-t-il affirmé, après s'être limité à un sibyllin « c'était là! » qui a irrité la commissaire Charbonneau.

Ronnie Mergl a raconté à la commission que le système de partage des contrats a été mis en place progressivement par Claude Deguise, dès son arrivée en poste en 1997. M. Deguise lui aurait alors fait valoir qu'à l'instar d'autres maires l'ayant précédé, Gilles Vaillancourt voulait favoriser les entrepreneurs locaux, qui paient des taxes à la Ville de Laval.

M. Mergl dit avoir rapidement bénéficié de contrats truqués, dont la distribution était assurée par M. Deguise. Le directeur du service d'ingénierie, a-t-il dit, désignait le gagnant avant même que les soumissions ne soient déposées, en fonction des capacités de chacun. M. Deguise fournissait alors au gagnant la liste des soumissionnaires, mais aussi le coût estimé du projet établi pour le compte de la Ville par une firme de génie. Cette dernière mesure permettait au gagnant d'établir une offre qui lui permette de soutirer le maximum de la Ville de Laval.

M. Mergl insiste sur le fait que M. Deguise s'arrangeait pour qu'il y ait des contrats pour la quinzaine d'entrepreneurs qui étaient de mèche avec l'administration municipale, afin de faire régner entre eux « l'harmonie ».

L'entrepreneur ainsi désigné n'avait plus qu'à contacter les autres entrepreneurs pour les prévenir et obtenir des soumissions de complaisance. Selon Ronnie Mergl, l'entreprise choisie par Deguise ne donnait jamais le prix de sa soumission aux concurrents, « pour ne pas qu'il y ait de mélange ». Elle indiquait plutôt à quel prix ils devraient présenter leur soumission de complaisance.

« C'est sûr que pour pouvoir avoir de l'harmonie, il faut qu'il sorte plusieurs contrats. [...] Si on en sort deux ou trois sur quinze, c'est le désastre. » — Ronnie Mergl.

Selon des données fournies à la commission par la Ville de Laval, Nepcon a obtenu 95 millions de dollars en contrats publics de la municipalité entre 1996 et 2012. René Mergl soutient cependant ne pas avoir obtenu tous ces contrats en collusion. Il estime que sa marge de profit sur les contrats en collusion était entre 15 % et 18 %, contre 10 % pour ceux obtenus en libre concurrence.

Selon le témoin, les entreprises qui faisaient partie du système de collusion à Laval étaient : Desjardins Asphalte (Guy Desjardins et Mario Desrochers), DJL (Roger Trudel), Jocelyn Dufresne Inc (Jocelyn Dufresne) J. Dufresne Asphalte (Luc Lemay), Simard-Beaudry (ça changeait), Demix (ça changeait), Giuliano Giuliani (M. Giuliani), Louisbourg (Joe Molluso), Mergad (Mike Mergl), Poly-Excavation (Marc Lefrançois), Timberstone (Léo Moscato), Valmont-Nadon (Gilles Théberge), ABC Rive-Nord (Claude Chagnon), Salvex (Joe Salvo), Carl Ladouceur (Carl Ladouceur).

Mergl confirme le système du 2 %

Ronnie Mergl confirme qu'en échange des contrats, il versait une ristourne de 2 % sur la valeur finale des contrats - avant taxes et sans tenir compte des contigences, a-t-il précisé - à Marc Gendron, puis à Roger Desbois de la firme de génie Tecsult, ce que les deux hommes avaient déjà reconnu devant la commission.

Il croit que Nepcon leur a versé un total de 200 000 $, mais admet ne pas avoir tenu de comptabilité précise. Cette estimation a surpris le procureur Paul Crépeau, puisque ce montant est bien loin de correspondre à ce qu'aurait constitué une ristourne de 2 % appliquée à 95 millions $ en contrats.

Le témoin a répondu que la ristourne était parfois inférieure à 2 %, et aussi qu'il avait cessé de payer Roger Desbois avant que le système de collusion ne prenne fin, aux alentours du printemps 2009. Il soutient qu'il a néanmoins continué d'obtenir des contrats de la Ville par la suite, notamment en libre concurrence.

Selon M. Mergl, les paiements s'effectuaient par ailleurs beaucoup plus fréquemment lors des années électorales.

« Vous avez une élection, supposons en 2007. Durant 2007, il y a beaucoup d'activités, plus de projets. Mais avant, le marché est ouvert. Il n'est pas collusionné. » — Ronnie Mergl.

Il a soutenu que Marc Gendron agissait comme « un bon père de famille » auprès des entrepreneurs, allant même jusqu'à réduire la ristourne à 1 %, voire à l'annuler en de rares occasions, afin de ne pas « étouffer » les entrepreneurs.

Roger Desbois, dit-il, se montrait totalement inflexible sur la ristourne de 2 %, et exigeait en outre d'être payé au fur et à mesure que l'entrepreneur recevait des paiements de la Ville, ce qui était beaucoup plus compliqué.

Mergl met la main à la pâte

Ronnie Mergl a aussi confirmé que vers 2007, il avait servi de messager pour Claude Deguise auprès de quatre entreprises, dont Mergad, propriété de son frère Mike, ainsi que Jocelyn Dufresne Inc et J. Dufresne Asphalte. Son rôle consistait à remettre à ces entrepreneurs les enveloppes préparées par Deguise à leur intention. Il assure qu'il ne savait même pas quels contrats obtenaient les entrepreneurs qu'il contactait.

L'entrepreneur a expliqué qu'il avait effectué ce travail après avoir fait remarquer à Claude Deguise que beaucoup trop de gens défilaient à son bureau dans le cadre du stratagème d'octroi de contrats. Gilles Théberge avait également souligné que plusieurs entrepreneurs se retrouvaient en même temps au bureau du directeur de l'ingénierie, et qu'ils ne profitaient pour se faire « une petite réunion ».

M. Mergl n'a agi comme messager que pendant un an ou deux. Il a soutenu que sa fonction de messager soulevait des jalousies auprès d'autres entrepreneurs, ce qui le rendait inconfortable. Il a dit ne pas croire que d'autres entrepreneurs avaient effectué le même travail pour le compte de Claude Deguise.

Il a ajouté qu'après le départ de M. Deguise en 2007, c'est Roger Desbois qui a pris sa relève dans le système de collusion et choisissait alors à qui allait les contrats, tout en continuant à récolter le 2 %.

Ronnie Mergl est du nombre des 37 personnes arrêtées par l'UPAC le 9 mai dernier dans le cadre du projet Honorer et le premier d'entre eux à être appelé à la barre. Tout comme ses frères Mike et Anthony Mergl, il fait face à plusieurs chefs d'accusation, dont complot pour corruption, complot pour fraude, fraude, acte de corruption dans les affaires municipales, fraude envers le gouvernement et abus de confiance.

Dons politiques de Ronnie Mergl:

13 000 $ au PLQ de 1996 à 2009

3250 $ au PQ de 1996 à 2009

11 500 $ au PRO des Lavallois de 1998 à 2010

Des dons pour Lucie Papineau et Nathalie Normandeau

En fin d'après-midi, Ronnie Mergl a confirmé qu'il avait participé à une activité de financement organisée en 1999 au profit de la députée péquiste de Papineau, Lucie Papineau. Il dit avoir assisté à l'évènement à la demande de l'ex-vice-président au développement des affaires de la firme Roche, Gilles Cloutier, et avoir remis un chèque de 1000 $ à cette occasion.

La commission a prouvé que le paiement avait été fait en présentant un document compilant tous les dons de 200 $ ou plus effectués dans Prévost en 1999. Ce document, qui n'avait pas encore été présenté dans le cadre des audiences publiques de la commission, montre que Gilles Cloutier, Jacques Desjardins, Raymond Faubert et Joseph Carola ont également fait des dons à Lucie Papineau en 1999.

Ronnie Mergl a par ailleurs confirmé que Guy Chevrette y avait fait acte de présence lors de cette soirée de financement. L'ex-ministre péquiste Guy Chevrette a déclaré à l'émission 24/60 que cette allégation était fausse.

Au début du mois, Gilles Cloutier avait été pris à partie par l'avocate du Parti québécois après avoir dit qu'il avait organisé cette activité, qu'il avait située en 2001 ou 2002. Me Estelle Tremblay avait soutenu qu'aucune activité de financement de la sorte n'avait été organisée en 2001 et que les affirmations du témoin étaient une « invention ».

L'entrepreneur a aussi confirmé qu'il avait participé à une activité de financement organisée au profit de la ministre libérale Nathalie Normandeau le 31 janvier 2008, au restaurant l'Unique de Laval. Il a soutenu avoir fait un don de 1000 $, puisque c'était le maximum permis à l'époque [c'était plutôt 3000 $, NDLR], et non 5000 $, comme l'avait affirmé Lino Zambito cet automne.

Le propriétaire d'Infrabec avait soutenu qu'il était parfaitement conscient qu'il était illégal de vendre des billets 5000 $ pour cette activité, mais qu'il avait prévenu ses invités en leur demandant de recourir à des prête-noms pour qu'aucun chèque ne dépasse la contribution annuelle maximale de 3000 $ autorisée à l'époque.

Nepcon en faillite

L'entreprise, fondée en 1959, a oeuvré dans le domaine des égouts, des aqueducs et du pavage, avant de s'intéresser au transport des déchets dans les années 1990.

Nepcon, détenue à 75 % par Anthony Mergl et 20 % par Ronnie Mergl, a un temps eu jusqu'à 100 employés avant de faire faillite en 2010. Anthony se chargeait avant tout du développement des affaires auprès notamment des villes et des élus, René des opérations quotidiennes. Elle a été active à Laval et sur la Rive-Sud (St-Hubert, Greenfield Park, Longueuil). M. René Mergl estime que, dans les années 1990, les contrats de Laval représentaient environ 25 % à 30% du chiffre d'affaires de Nepcon.

L'entreprise, qui a depuis été libérée de sa faillite après avoir fait face à ses obligations financières et fiscales, n'existe plus que pour terminer les contrats toujours en cours de déneigement, sous le nom de Nepcon Transports.

Au moment de la faillite en 2010, le transport des déchets représentait environ 55 % à 60 % du chiffre d'affaires de Nepcon, le reste étant constitué de contrats municipaux.

Tableau des 37 personnes accusées dans la foulée de l'opération Honorer, ainsi que les chefs d'accusation retenus contre elles:

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