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Commission Charbonneau: témoignage de Jean Roberge

Collusion à Laval : « J'y ai moi-même participé », dit Roberge
PC

Le directeur général adjoint de la Ville de Laval, Jean Roberge, admet avoir pris part à un système de collusion mis en place par l'administration municipale pour les contrats de services professionnels alors qu'il était à la tête de la firme d'ingénieurs Équation Groupe Conseil, de 2002 à 2007.

Un texte de François Messier et Bernard Leduc

« J'y ai moi-même participé » a confirmé l'homme, qui a été suspendu de ses fonctions à Ville de Laval le 6 mai dernier en vue de son témoignage devant la commission Charbonneau.

Jean Roberge a expliqué qu'il a compris comment fonctionnait le système lorsque Claude Deguise, alors directeur du service de l'ingénierie, l'a appelé après que sa firme de génie eut été invitée par la Ville à présenter une soumission pour un contrat de plans et devis, comme les municipalités peuvent le faire pour les contrats d'une valeur de 25 000 $ à 100 000 $.

Selon M. Roberge, avant même qu'Équation Groupe Conseil ne dépose sa soumission, Claude Deguise l'a appelé et lui a dit : « le projet est à toi ». Le directeur de l'ingénierie le convoque ensuite dans son bureau, et lui dit à cette occasion : « voici l'autre firme qui a été invitée, tu as juste à les appeler et à t'arranger avec ». Il suffisait alors d'appeler la firme perdante et de lui donner le prix auquel Équation Groupe Conseil allait soumissionner, afin qu'elle dépose un prix supérieur, a-t-il alors expliqué.

Jean Roberge dit avoir trempé dans ce ménage à une vingtaine de reprises entre 2002 et 2007, toujours pour des contrats sur invitation. À une quinzaine d'occasion, Claude Deguise l'a appelé, ce qui signifiait immanquablement qu'Équation Groupe Conseil allait obtenir le contrat. La firme savait que ses services n'allaient pas être retenus lorsque l'appel venait plutôt de l'autre firme invitée à soumissionner.

François Perreault, de Genivar, qui a déjà témoigné à la commission, était un de ses interlocuteurs. Jean Roberge a d'ailleurs dit qu'il n'avait nullement l'air surpris lorsqu'il l'a appelé la première fois pour organiser un appel d'offres.

Selon l'ex-président d'Équation Groupe Conseil, la Ville de Laval invitait « systématiquement » deux firmes de génie pour les appels d'offres sur invitation. Ces invitations n'étaient attribuables qu'à du démarchage politique, puisque la Ville n'a jamais utilisé à cette époque le fichier des fournisseurs qui était pourtant à sa disposition.

10 000 $ comptant pour le PRO de Vaillancourt

Après avoir reçu quelques contrats de la sorte, Jean Roberge dit avoir pris l'initiative d'aller porter 10 000 $ en argent comptant au notaire Jean Gauthier, un proche du maire Vaillancourt. « Ça nous semblait une somme correcte », a dit le témoin, qui précisera que cela devait équivaloir à 1 %, 2 % ou 3% des contrats obtenus.

Jean Roberge assure cependant que personne ne lui avait demandé de verser une somme précise au Parti du ralliement officiel (PRO) du maire Gilles Vaillancourt, et que personne ne lui a même demandé d'aller voir Jean Gauthier. « Je suis allé à la pêche un peu », a-t-il expliqué au procureur Paul Crépeau et aux commissaires, en précisant s'être fié à des « bruits de corridors » pour identifier le notaire.

Jean Roberge avait cependant expliqué au procureur Crépeau qu'il a été introduit à ce système vers 2002 ou 2003 par Jean-Marc Mélançon, qui était alors responsable des achats et de l'approvisionnement à la Ville. Il avait rencontré ce dernier dans l'espoir d'augmenter les contrats qu'obtenait de la Ville Equation Groupe Conseil - qui s'appelait auparavant Plante et associés.

« Si tu es bon pour le politique, le politique va être bon pour toi », dit-il avoir compris de sa rencontre avec M. Mélançon, un ancien chef de cabinet du maire qui avait la réputation d'en « mener large » à l'hôtel de ville. Jean Roberge dit avoir compris qu'il devait faire du financement politique auprès du Parti du ralliement officiel (PRO), la formation politique du maire Vaillancourt.

Ce sont ces propos, dit-il, qui l'ont éventuellement incité à aller faire un premier versement au notaire Gauthier. Il dit lui avoir fait un deuxième paiement ultérieurement, mais sans donner de précisions.

Jean Roberge dit qu'il a rencontré Gilles Vaillancourt peu de temps après sa rencontre avec M. Mélançon. Ce dernier lui avait suggéré de faire une visite de courtoisie au maire. Il soutient qu'il n'a pas discuté de contrats avec le maire, mais que ce dernier avait pris la peine de noter le nom de ses associés sur la carte d'affaires qu'il lui avait remis.

Jean Roberge n'a que brièvement parlé de son embauche à la Ville de Laval, à titre d'assistant du directeur du service de l'ingénierie. Il a souligné qu'à son arrivée, en 2008, le service « sortait d'un régime de terreur de 10 ans ». Toutes les décisions, a-t-il dit, étaient prises par un seul homme : le directeur Claude Deguise.

Claude Deguise, Jean Gauthier et François Perreault ont tous été arrêtés par l'UPAC la semaine dernière dans le cadre de l'opération Honorer.

Un nouveau chapitre des travaux de la commission

Lors d'une brève allocution d'ouverture, le procureur Crépeau a annoncé qu'avec le témoignage de M. Roberge, la commission ouvre un nouveau chapitre en se penchant sur l'administration de la Ville de Laval depuis 1996.

Des entrepreneurs, des hommes d'affaires, des professionnels et des élus viendront témoigner de leur expérience afin de dresser un portrait des stratagèmes de collusion et de corruption à Laval, a-t-il souligné.

Le procureur Crépeau a précisé qu'il sera notamment question d'un « système de ristourne en argent comptant chez les entrepreneurs en construction et dans les firmes de génie-conseil ».

« La structure de cette organisation, souligne-t-il, apparaîtra fort différente de celle vue lors des auditions relatives à Montréal ».

La commission Charbonneau a appelé M. Roberge à la barre pour remplacer au pied levé son patron, le directeur général Gaétan Turbide, dont le témoignage a été annulé à la dernière minute.

Le témoignage du directeur général adjoint de Laval est public, comme il avait été convenu pour Gaétan Turbide. Jean Roberge est interrogé par le procureur Paul Crépeau.

Au terme d'un bref échange en ouverture d'audience entre le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et les avocats des médias, la commissaire Charbonneau a convenu d'appliquer au témoignage de Jean Roberge la même décision qui avait été arrêtée pour Gaétan Turbide.

Son témoignage ne fait donc pas l'objet d'une ordonnance de non-publication préventive. Les médias peuvent donc rapporter son témoignage dans son entièreté.

Par contre, afin de protéger l'équité des procès futurs des personnes arrêtées lors de l'opération Honorer à Laval, les médias auront l'obligation, à partir d'une date à convenir entre les parties, « de ne plus fait référence à la couverture médiatique antérieure portant directement sur ce témoignage, notamment par le biais d'hyperliens ».

Ce dernier aspect rejoint la demande faite par Radio-Canada qui, plaidant la grande difficulté de retirer toutes ses archives de ses plates-formes, avait plutôt demandé l'autorisation de simplement ne plus les mettre à l'avant plan, ou y faire référence, avant les procès.

Roberge et Trubide épargnés par l'UPAC

Jean Roberge, qui a été suspendu de ses fonctions le 6 mai, à l'instar de Gaétan Turbide, connaît sans contredit les rouages du système criminel que l'UPAC dit avoir démantelé lors de l'opération Honorer la semaine dernière. Le mandat d'arrestation souligne d'ailleurs que les deux hommes ont conspiré avec certains des accusés pour commettre des actes de corruption et de fraude.

Issu du secteur privé, Jean Roberge est entré à la Ville de Laval en avril 2008 en tant qu'assistant au directeur du service de l'ingénierie de la Ville. Dix mois plus tard, il est devenu l'adjoint de Gaétan Turbide pour les questions liées à la gestion du territoire. En avril 2011, il s'est vu confier la responsabilité du service à la clientèle, poste qu'il a occupé jusqu'à sa suspension.

Avant d'être embauché par la municipalité, Jean Roberge travaillait pour Équation Groupe Conseil, une firme de génie-conseil oeuvrant dans les secteurs commercial, industriel, municipal et institutionnel. L'entreprise, dont le siège social se trouve sur le boulevard Saint-Martin, à Laval, a réalisé plusieurs travaux pour la Ville de Laval.

Selon l'UPAC, l'ex-maire Gilles Vaillancourt dirigeait une organisation criminelle, avec la collaboration de l'ex-directeur général Claude Asselin et l'ex-directeur du service de l'ingénierie Claude Deguise. Des entrepreneurs et des ingénieurs auraient pour leur part versé des redevances afin de mettre la main sur des contrats municipaux. Des facilitateurs, dont des avocats et un notaire, auraient agi comme complices.

Le témoignage de Gaétan Turbide a été annulé à la dernière minute ce matin. La procureure en chef Sonia Lebel a expliqué que cette décision a été prise après que la commission a reçu à 9 h 15 des informations qui remettent « sérieusement » en doute sa crédibilité. Le porte-parole de la commission, Richard Bourdon, soutient que cette information est provenue d'une « source en autorité », sans donner davantage de détails.

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