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La Coupe Grey, Dave Cutler et mon frère

La Coupe Grey, Dave Cutler et mon frère

Automne 1981. Sous-sol de la maison familiale à Sainte-Marie Salomé, petit village dans Lanaudière. J'ai 12 ans, mon frère Marc, 16. La télé est ouverte à la Coupe Grey. À la demie, les Rough Riders d'Ottawa mènent par 19 points sur les Eskimos d'Edmonton, pourtant grands favoris pour remporter le trophée.

Un texte de François Foisy

Marc jubile. Je fulmine.

C'est Marc qui m'avait initié au football quelques années plus tôt. Chaque vendredi soir, j'attendais avec fébrilité qu'il revienne du pensionnat, le Collège Champagneur de Rawdon. Durant les cinq jours précédant, mon grand frère m'avait douloureusement manqué. Ces vendredis soirs étaient donc devenus des moments réjouissance même si, à cet âge, deux frères séparés par quatre années ne sont pas toujours les meilleurs amis du monde.

Un de ces soirs, en descendant de l'autobus, il m'avait tendu un objet que je n'avais jusqu'alors jamais pris dans mes mains. Une chose ovale en cuir brun usé sur laquelle était gravé le mot Spalding. Marc l'avait miraculeusement « trouvée » sur le terrain de son école.

Notre premier ballon de football.

Durant les années qui ont suivi, nous allions, Marc et moi, passer des heures et des heures, d'avril à décembre, à nous lancer l'objet, à pratiquer nos tracés, à s'entraîner à botter, à simuler des fins de matchs enlevantes et des victoires in extremis.

Jamais je n'aurais osé le lui avouer, mais Marc m'impressionnait par son bras puissant. Comment diable arrivait-il à me lancer cette bombe par-dessus la tête même si j'étais rendu si loin, derrière le deuxième érable, tandis que lui avait le dos collé au potager?

Jamais dans ma vie je ne pourrais lancer aussi loin!

Puis il a quitté le pensionnat pour la polyvalente, où il est allé compléter son secondaire. Et comme pour tous les autres jeunes de 16 ans, jouer au ballon avec son jeune frère n'était plus, pour lui, une priorité.

Dans mon rang de campagne isolé, je me suis donc mis à jouer seul dans le champ d'à côté. À me lancer le ballon à moi-même. À réaliser des plaqués imaginaires.

Mais pour me croire moi-même, il fallait bien que je ressemble un peu aux vrais joueurs que je voyais à la télé.

Pour une raison que j'ignore, je m'étais pris d'affection pour les Eskimos. Plus que tout, j'aimais le look rétro de deux de leurs joueurs qui n'arboraient qu'une simple barre protectrice à l'avant de leur casque : le quart Tom Wilkinson et le botteur Dave Cutler.

Un petit tour dans le hangar, un coup de pince ici et là dans un rouleau de fil à clôture et hop!, mon vieux casque de hockey arborait la même simple broche, quoique maigrichonne, à l'avant.

J'avais aussi remarqué que Cutler portait, dans son pied droit, un curieux soulier au bout carré, question de botter le ballon bien droit.Une visite au sous-sol et l'affaire était ketchup. Une botte de ski de fond ferait parfaitement l'affaire.

Cet automne-là, j'ai passé des heures à botter mon vieux Spalding avec ma bottine de ski. Et plus je ratais mes bottés, plus je vénérais Dave Cutler de parvenir, semaine après semaine, à réussir ne serait-ce que des convertis.

Ce soir du 22 novembre 1981, donc, j'ai 12 ans, Marc en a 16 et les Rough Riders mènent 20-1 à la demie. Marc danse littéralement sous mes yeux, question de jouer son rôle de grand frère en me narguant de manière exemplaire. Et la tactique fonctionne. Je rage.

Mais ce qui devait arriver arriva.

Les Eskimos dominent la deuxième portion du match et égalisent la marque dans les dernières minutes.

Puis, Warren Moon amène les Eskimos jusqu'à la ligne de 20 des Riders. Il ne reste que 3 secondes au tableau.

Qui s'amène alors sur le terrain pour tenter de donner la victoire aux Albertains?

Tom Wilkinson, responsable de tenir le ballon lors des bottés de placement, et le bon vieux Dave Cutler et son soulier à bout carré.

Je me revois comme si c'était hier, devant la télé du sous-sol, la vie qui tourne soudainement au ralenti.

Zéro doute. Cutler envoie le ballon entre les poteaux. Le banc des Eskimos explose. Il s'agit, pour eux, d'une quatrième Coupe Grey de suite.

Ma première.

Il y a quelques années, Marc et moi sommes retournés voir la maison de Sainte-Marie. Abandonnée depuis des mois, dans un état désolant après avoir été habitée par des trafiquants de drogue qui y avaient fait pousser du pot.

Tandis qu'il était occupé ailleurs, j'ai marché seul jusque sur le côté de la maison pour jeter un oeil à notre terrain où nous avions marqué tant de touchés, avions réussi tant d'attrapés spectaculaires, avions remporté tant de victoires dramatiques.

Il n'y a pas si loin, finalement, du potager au deuxième érable. Bien moins loin que dans mes souvenirs.

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