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Surprenant reconnaît avoir joué un rôle clé dans un système de collusion

Surprenant reconnaît avoir joué un rôle clé dans un système de collusion

Un texte de François Messier

L'ex-ingénieur de la Ville de Montréal Gilles Surprenant a reconnu lundi après-midi avoir joué un rôle clé dans le système de collusion mis en place à partir de l'an 2000 par un cartel de 10 entrepreneurs oeuvrant dans le domaine des canalisations.

M. Surprenant a expliqué qu'il gonflait les estimations pour divers projets au bénéfice d'un groupe constitué des compagnies ATA, ATG, Bentech, Super Excavations, Mirabeau Construction, Garnier Construction, Frank Catania Constructions, Catcan, Conex et Infrabec.

L'ex-ingénieur a expliqué que son rôle constituait à modifier l'évaluation primaire du coût des contrats qui était faite par le logiciel Gespro. Environ une semaine avant que les soumissions pour un contrat donné ne soient ouvertes, a-t-il dit, l'entrepreneur sélectionné par le cartel l'appelait pour lui donner le prix qu'il souhaitait obtenir.

M. Surprenant rédigeait alors une note explicative pour justifier la hausse du prix que lui demandait l'entrepreneur « pour s'assurer que cela [allait] se rendre au comité exécutif » de la Ville.

L'ex-ingénieur affirme que ses deux supérieurs, Yves Themens et Robert Marcil, étaient aussi au courant du système. Selon lui, le premier devait faire approuver par le second les rapports d'octroi de contrats et de vote de crédits que rédigeaient les ingénieurs chargés de plans et devis.

Cela valait autant pour M. Surprenant, qui avait cette responsabilité pour les contrats dans le domaine des canalisations, que pour ses collègues ingénieurs responsables des travaux de construction dans le domaine du pavage et des trottoirs.

M. Themens, a raconté le témoin, l'a d'ailleurs déjà invité dans son bureau pour lui montrer une liasse de billets de 100 $ qui provenaient d'un dénommé « Tony ». M. Surprenant a dit avoir déduit qu'il s'agissait de Tony Conte, de la firme Conex Construction.

M. Surprenant a aussi raconté qu'aux alentours de 2005, son ami Luc Leclerc, un ingénieur chargé de la surveillance des chantiers à la Ville de Montréal, avait directement mis en cause Robert Marcil dans une conversation privée.

M. Leclerc lui aurait affirmé que Robert Marcil était lui-même allé voir Nicolo Milioto pour lui dire que c'était « à son tour de collecter » une ristourne. M. Milioto dirigeait à l'époque Mivela Construction, une entreprise spécialisée dans les trottoirs. Un enquêteur de la commission l'a identifié comme un intermédiaire entre la mafia et les entrepreneurs en construction.

L'ex-propriétaire d'Infrabec Lino Zambito a aussi affirmé devant la commission que c'est à M. Milioto qu'il remettait le pot-de-vin destiné à Union Montréal, qui équivalait selon lui à 3 % de la valeur des contrats truqués par le cartel (Gilles Surprenant a pour sa part dit que le 3 % allait au comité exécutif de la Ville de Montréal).

La fille de M. Milioto, Caterina, a longtemps travaillé sous les ordres de Robert Marcil à la Ville de Montréal. Ils travaillent maintenant tous deux pour le groupe SM.

M. Marcil a remis sa démission à la Ville en juin 2009 après avoir été interrogé par des enquêteurs de la Ville au sujet d'un voyage qu'il a effectué en Italie en compagnie de l'entrepreneur Joe Borsellino, de Garnier Construction.

M. Surprenant a aussi confirmé qu'au moins trois ingénieurs chargés de la surveillance des travaux, soit Luc Leclerc, Michel Paquette et François Thériault, recevaient aussi des pots-de-vin. Ces informations, a-t-il dit, lui venaient de M. Leclerc.

Un système en place de 2000 à 2006

Plus tôt dans la journée, M. Surprenant avait indiqué que le système de collusion avait pu être mis en place après que la Ville de Montréal se soit mise à publier la liste des soumissionnaires intéressés à des projets en 2000. Grâce à cette liste, avait-il dit, les collusionnaires pouvaient s'organiser.

Dans les années 1995 à 2000, a-t-il dit, des contrats pouvaient être truqués, mais seulement au rythme d'un par année, a expliqué M. Surprenant. Le témoin affirme qu'il recevait environ 5000 $ le cas échéant.

Selon l'ex-ingénieur de la Ville de Montréal, la liste était devenue publique après qu'un sous-traitant eut poursuivi la Ville et obtenu gain de cause.

Selon lui, il est d'ailleurs rapidement devenu évident qu'un système de collusion était en place, puisque les coûts des contrats avaient explosé. Certains mettaient cette augmentation sur le compte de la hausse du prix de l'essence, mais cela n'expliquait pas tout.

Des études comparant la situation de Montréal avec celle d'autres villes menées dans son département vers 2003 ou 2004 avaient même confirmé que le coût des contrats avait gonflé de 20 % à 25 % en 2000, puis de 30 % ou 35 % l'année suivante.

Malgré ces études, M. Surprenant dit que la Ville n'a posé « aucun geste concret » pour comprendre la nature de cette hausse.

Le système de gonflement des coûts, dit-il, a ainsi pu fonctionner jusqu'en 2006 environ, soit jusqu'au moment où trois contrats sur lesquels il était intervenu ont été annulés. Cette décision a été prise après qu'une firme de génie privée embauchée par la Ville eut trouvé que le coût des projets avait été surévalué.

Quelques semaines après l'annulation de ces contrats, Gilles Surprenant soutient que Joe Borsellino, de Garnier Construction, lui a dit : « Tu n'es plus utile, tu ne nous sers plus à grand-chose, donc on va oublier ça ».

Selon lui, Tony Conte de la firme Conex, lui avait pour sa part expliqué que les entrepreneurs pouvaient continuer de lui donner des montants forfaitaires. Cela s'est produit à quelques reprises, a dit l'ex-ingénieur, mais les montants ont diminué.

Gilles Surprenant a cependant démenti qu'il recevait lui-même 1 % de la valeur des contrats truqués par les membres du cartel. Il affirme qu'il recevait plutôt une somme forfaitaire qui était toujours inférieure à ce pourcentage, généralement de l'ordre de quelques milliers de dollars.

Sur des contrats de 5, 6 ou 7 millions, par exemple, il était « impensable » qu'un entrepreneur lui donne 50 000 $ ou plus, a-t-il dit.

Gilles Surprenant a ajouté : « De toute façon, je n'avais pas un mot à dire; je ne pouvais pas aller me plaindre à la police pour me dire qu'il manquait un peu d'argent ».

M. Surprenant a admis que le surnom de « Monsieur TPS » que lui a accolé Lino Zambito « était venu à ses oreilles » lorsqu'il était à l'emploi de la Ville. Il croit que le sobriquet est venu du groupe d'entrepreneurs. « Ce n'est pas moi qui a inventé ce terme-là, je n'ai pas le sens de l'humour assez développé pour ça », a-t-il dit.

Selon lui, le seul entrepreneur qui s'est approché de la ristourne de 1 % évoquée par Lino Zambito était... Lino Zambito.

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