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Ici Chez Soi: l'approche Housing First, récit du fondateur Sam Tsemberis

L’approche Housing First: récit du fondateur Sam Tsemberis
ONF

Créée par Sam Tsemberis à New York au début des années 90, l'approche Housing First - ou Priorité au logement, en français - est au coeur du projet Chez Soi. Immigré de la Grèce à Montréal avec sa famille à l'âge de huit ans, Tsemberis poursuit ses études universitaires à New York à la fin des années 70.

En plus de ses nombreuses responsabilités au sein de l'organisme Pathways to Housing, reconnu pour avoir implanter l'approche Housing First à New York, Tsemberis agit aujourd'hui à titre de consultant pour le projet Chez Soi. Charismatique et emballé, il a accepté de discuter avec nous des débuts de l'approche Housing First; voici quelques extraits de ce témoignage.

Ronald Reagan et moi

«J'ai déménagé de Montréal à New York pour poursuivre une formation de psychologue clinique à la fin des années 70. Quelques années plus tard, Ronald Reagan devient président et plusieurs le désignent comme le premier dirigeant américain à avoir introduit l'itinérance au pays! Adepte de la théorie du ruissellement (« trickle-down economics »), je compare sa politique économique à un cheval (les riches) qui se nourrirait de moulée et ne laisserait que des miettes aux oiseaux (les pauvres). Cette approche ne fonctionne pas; ni à l'époque, ni aujourd'hui. Le cheval reste bien nourri alors que les oiseaux ne mangent pas à leur faim.»

«J'étais stagiaire clinique à l'hôpital Bellevue à New York quand l'administration Reagan a décidé de couper les fonds pour le logement social. Soudainement, les choses se sont aggravées pour les individus vivant avec des pensions pour handicapés. S'ils devaient quitter leur appartement pour entrer à l'hôpital pour une raison ou l'autre, ils arrivaient difficilement à trouver un logement abordable à leur sortie. Parallèlement aux coupures, une bulle immobilière importante est venue toucher les grandes villes. Les individus à revenu fixe, jusque là capables de se payer un petit appartement, ne pouvait plus trouver où se loger. Socialement, ces personnes se sont mises à survivre chez des membres de leur famille ou des voisins. Éventuellement, ils se sont retrouvés dans la rue.»

«Je marchais vers mon travail à l'hôpital Bellevue et je constatais à chaque jour à quel point la situation devenait dramatique. Je voyais de plus en plus de gens dormir avec leurs possessions dans des cages d'escaliers et quémander pour de la nourriture sur le trottoir. Puis, je me suis mis à remarquer des patients de Bellevue dans la rue, portant leur tenue d'hôpital.»

Une situation intolérable

«J'ai appliqué pour un emploi avec des personnes itinérantes car c'était quelque chose d'intolérable pour moi et je me disais que je pouvais probablement faire ma part. J'ai soumis ma candidature pour me joindre une unité mobile qui oeuvrait partout à New York auprès d'individus itinérants atteints de maladie mentale. Le projet s'appelait « Project Help » et sa mission était d'empêcher les sans-abri souffrant de maladie mentale de mourir sur la rue.»

«La plupart des gens avec qui nous transigions négligeaient dramatiquement leur santé. Par exemple, ils pouvaient souffrir d'une infection cutanée au pied qui se répande hors de leurs souliers, ou d'une blessure qui tourne en gangrène et oblige les médecins à amputer leur jambe. Nous les emmenions à l'hôpital afin qu'ils soient traités, puis relocalisés dans un logement relativement abordable. C'est peut-être arrivé à quelques reprises, mais il arrivait plus souvent qu'autrement qu'on revoie les mêmes personnes dans la rue. C'est devenu un cycle.»

Un système brisé

«C'est à ce moment que j'ai commencé à réaliser que le système ne fonctionnait pas bien du tout. Les mêmes individus étaient soignés, puis relâchés dans la rue. Des collègues et moi avons écrit une demande de subvention au National Institute for Mental Health pour trouver une approche alternative appelée « psych-rehab » (réhabilitation psychiatrique). Essentiellement, l'idée était de confier au client le pouvoir de choisir l'option qu'il préférait, plutôt qu'à un médecin ou un travailleur de la santé.»

«Ce changement fondamental nous a permis d'envisager de nouvelles possibilités de traitement; selon l'approche traditionnelle, un patient doit normalement suivre le plan d'action défini par un professionnel. Cette nouvelle approche, où le client est au centre, change dramatiquement l'équation. On lui confie la responsabilité de son rétablissement et les experts ne sont là que pour accompagner le client et lui permettre d'atteindre ses buts.»

«En apprenant comment implanter l'approche de réhabilitation psychiatrique, on m'a dit que même si les clients refusaient d'être logés, nous devions respecter leur volonté. J'ai été surpris de découvrir qu'il était plus important de respecter le choix du client et j'ai accepté d'emprunter cette direction.»

Une nouvelle mission

«Nous avons donc changé la mission du programme: au lieu d'aider des personnes itinérantes souffrant de troubles psychiatriques à être logées, nous aidions ces individus à vivre dans l'environnement de leur choix. C'est une nuance importante puisqu'au lieu de promettre quoi que ce soit aux participants, j'étais là pour en apprendre plus sur ce que ces individus désiraient vraiment.»

«C'est un changement relationnel, politique et motivationnel très important, et considérant que l'approche précédente ne fonctionnait pas, nous étions prêts à essayer quelque chose de nouveau. C'est cette nouvelle approche qui nous a permis d'atteindre des résultats inespérés - c'est ainsi que nous avons découvert que les participants souhaitent avoir accès à un logement d'abord, puis à des traitements. Nous avons réalisés que les gens avec un problème de santé mentale peuvent prendre leurs propres décisions, de manière beaucoup plus efficace que nous ne le croyons au départ.»

«Je n'ai pas pu convaincre la direction du système hospitalier pour lequel je travaillais à ce moment de démarrer un programme de logement qui suive cette logique. Alors, en 1992, j'ai quitté l'hôpital et j'ai démarré Pathways to Housing, une organisation sans but lucratif qui propose un logement aux itinérants souffrant d'un problème de santé mentale.»

Donner le choix aux clients

«La plupart des programmes choisissaient de loger des participants ne consommant pas de drogues - elles ne voulaient pas de locataires fumant de crack, par exemple. Seuls les candidats qui feraient des occupants exemplaires étaient sélectionnés pour être logés. Nous avons décidé d'employer la stratégie opposée: choisir les individus qui ne se qualifiaient pas pour les autres programmes.»

«Lorsque nous avons commencé à interviewer nos clients et à leur demander ce qu'ils désiraient profondément, ils se sont mis à nous dire: "Regardez, je ne veux pas vivre dans un refuge ou un foyer pour plusieurs personnes souffrant de maladie mentale. J'ai seulement besoin d'avoir un endroit à moi." Nous avons donc accepté de les loger dans leur propre appartement, souvent situés dans des édifices et des quartiers abordables. Nos clients passaient, du jour au lendemain, de statut d'itinérant à celui de locataire et de membre d'une communauté. Ce processus a aidé de nombreux individus à mener une vie plus normale. Ils aimaient avoir un endroit à eux - un chez soi bien à eux, pas une place dans un programme de logement. On pourrait dire, d'une certaine façon, que nous avions accès à un focus group, comme dans un sondage. Nous avons demandé aux participants ce qu'ils voulaient et nous avons bâti le programme qu'ils désiraient.»

«Avant que nous ne tentions cette approche, tous les autres programmes exigeaient que les participants soient sobres avant d'être logés. L'hypothèse des autres groupes était que le logement servirait d'élément de motivation pour améliorer leur vie. Cela ne fonctionne pas comme ça; nous avons découvert qu'en fait, c'est l'inverse qui fonctionne. Si on offre aux gens ce qu'ils veulent - d'abord, un logement - ils deviennent vraiment motivés à améliorer leur vie afin de conserver leur appartement.»

L'importance de l'inclusion

«Ceci nous ramène aux éléments fondamentaux de la nature humaine: les individus veulent se sentir bien dans leur peau, prendre du mieux, quitter la rue, prendre leurs dépendances en main, reprendre contact avec leur famille et trouver un emploi. Ce n'est pas comme s'il fallait créer des raisons de prendre sa vie en main - la motivation est là. Ce que nous devons faire, c'est mettre en place les moyens de soutenir les buts des clients.»

«Il y a quelques années, ma mère est retournée en Grèce dans le village où je suis né. L'homme qui habite en face de chez elle est, je dirais, atteint d'un trouble bipolaire. Il a des épisodes maniaques, il boit beaucoup d'ouzo et fait parfois des choses étranges. Un été, alors que je visitais le village, il brulait une gouttière de plastique installée par un oncle parce qu'il n'aimait cet oncle. Il vit de façon marginale, occupe des emplois saisonniers et souvent disparates. Quand il fait quelque chose d'étrange, les autres villageois savent qu'il se calmera probablement d'ici quelques jours en allant les retrouver au café. Il fait parti du tissu social. Les valeurs culturelles qui rendent cela possible, l'importance de l'inclusion par exemple, ont eu une influence sur moi et mon travail.»

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