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Redécoupage des circonscriptions fédérales: l'opposition craint la politisation du processus

Redécoupées en forme de poire, au profit du PCC
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Les partis d'opposition à Ottawa sonnent l'alarme. Le Parti conservateur pourrait influencer la refonte de la carte électorale pour se créer des « châteaux forts », à moins que le public n'intervienne activement dans le processus.

Comme le rapporte le Huffington Post Canada, 10 commissions de délimitation sont à l'œuvre afin de subdiviser certaines circonscriptions qui apparaissent surpeuplées à la lumière du dernier recensement. Ce travail est normalement effectué tous les 10 ans. Or, cette fois-ci, l'opération est particulièrement délicate. 30 nouvelles circonscriptions vont être ajoutées à l'échelle du pays, et elles seront en jeu à la prochaine élection générale prévue pour 2015.

Le tracé des circonscriptions peut influencer profondément l'issue du scrutin. Les commissions de délimitation doivent donc être les plus neutres possible, et agir de manière transparente.

La Saskatchewan est citée en exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Le découpage des circonscriptions de cette province a créé une distorsion évidente des résultats électoraux. En mai 2011, le NPD a obtenu 32,3 % des votes mais n'a fait élire aucun candidat. En contrepartie, les Conservateurs ont obtenu 56,3 % des suffrages et ont récolté 13 sièges sur un total de 14.

Pourquoi un tel écart?

La députée néo-démocrate Irene Mathyssen croit que la forme des circonscriptions englobant Regina et Saskatoon y est pour quelque chose. Le vote des zones urbaines s'en trouve profondément divisé. « Toutes ces circonscriptions sont en forme de poire. Les résidents du centre de Regina sont laissés pour compte, car les votes des régions rurales sont plus nombreux. »

Le politologue Denis Pilon, de l'Université York, a étudié de près les résultats électoraux de la Saskatchewan. Il abonde dans le même sens. « Le Parti conservateur fédéral est surreprésenté », a-t-il dit. « En faisant un amalgame des régions rurales et urbaines, ils se sont assurés que les habitants des régions rurales auraient le dernier mot. »

Dans chaque province canadienne, la commission de délimitation est composée de trois membres. Le président de la Chambre des communes nomme deux commissaires indépendants. Le juge en chef de chaque province doit nommer l'un de ses pairs à titre de président.

John Courtney est l'un de ces commissaires. Le professeur de science politique à l'Université de la Saskatchewan affirme que ses collègues vont respecter la législation à la lettre. La densité de population des circonscriptions sera le seul critère pris en compte.

« Nous étudions attentivement les données démographiques, et la forme de chaque circonscription évoluera en fonction de ces données uniquement », a-t-il affirmé. « La partisanerie n'a pas sa place dans le processus. Nous n'examinons pas les résultats électoraux. Il est hors de question de tenir compte de la victoire ou de la défaite des partis politiques. »

Une question d'influence

Le professeur Pilon croit que des gens de bonne foi peuvent être manipulés. « Les Conservateurs ont certainement remarqué que la forme des circonscriptions de Saskatchewan jouait en leur faveur. Alors dans le cadre de la refonte actuelle, des commissaires bien intentionnés pourraient être influencés par des conseillers moins neutres qu'ils ne le paraissent. »

Le député libéral Ralph Goodale, réélu dans Wascana, détient le seul siège de la province qui ne soit pas conservateur. Selon lui, les circonscriptions en forme de poire sont le fruit du hasard plutôt que d'une conspiration.

« Je crois que l'idée a émané d'une université ou d'un professeur quelconque. Les commissaires l'ont adoptée sans qu'elle ne soit contestée, car il y avait peu de citoyens impliqués dans les consultations. » M. Goodale reconnaît toutefois que les résultats électoraux disproportionnés ont causé une certaine controverse. Il soutient que la commission de délimitation devra corriger son erreur.

Le Huffington Post Canada a contacté David Smith, un professeur de l'Université de Saskatchewan qui siégeait sur la commission de délimitation en 2002. Celui-ci affirme que la forme des circonscriptions a fait l'objet d'un examen sérieux. Les commissaires ont écouté attentivement les commentaires en provenance d'un public restreint.

« Le message que nous avons entendu le plus souvent était que des circonscriptions entièrement urbaines ne serviraient pas l'intérêt de la Saskatchewan. Nous nous sommes fait dire qu'il n'y a pas vraiment de “vote urbain” ou d'intérêts particuliers aux villes dans cette province. »

« Nous avons tenu compte des commentaires du public, mais jamais il n'a été question des conséquences partisanes de ce découpage », a-t-il conclu.

Le professeur Paul Thomas, qui siège présentement à la commission de délimitation du Manitoba, porte un tout autre regard: « Les partis politiques remplissent souvent les salles avec leurs membres afin de passer leur message de manière subtile. »

« Les élus n'aiment pas s'exprimer ouvertement et de manière trop intéressée dans les séances de consultation. Ils préfèrent être représentés indirectement. Selon M. Thomas, les commissaires sont des gens « futés » et capables de détecter les manœuvres partisanes.

Sous un angle plus statistique, les partis possédant de bons systèmes d'analyse peuvent prédire avec justesse les résultats d'un redécoupage. Cela inquiète la sénatrice libérale Maria Chaput, qui y voit une lutte à armes inégales. « Nous sommes en train de rebâtir notre parti », a-t-elle dit. « Il est évident qu'avec moins de votes et une organisation plus fragile, il nous est plus difficile de mettre la main sur des listes et des rapports pertinents. »

Le porte-parole du Parti conservateur Fred DeLorey a nié que son parti dispose de ce type d'avantage. « Notre force vient du travail de terrain de nos membres », a-t-il écrit par courriel.

Kate Davis, porte-parole du Ministre d’État à la Réforme démocratique Tim Uppal, est du même avis. Selon elle, les commissions de délimitation sont totalement exemptes d'influence politique.

Peu rassurant

« La loi est on ne peut plus claire. Les frontières sont tracées par des comités indépendants et non partisans. Les commissaires eux-mêmes sont nommés par le juge en chef de chaque province ainsi que le par le président de la Chambre des communes. Le ministre Uppal est convaincu que les commissaires font leur travail avec professionnalisme et intégrité. »

Ce beau discours ne rassure guère le député néo-démocrate Yvon Godin.

« Les nominations des commissaires sont faites par les juges en chef. Mais qui nomme ces juges ? Ce n'est pas la première fois qu'on entend parler d'influence politique à ce niveau », s'est exclamé l'élu originaire du Nouveau-Brunswick.

M. Godin soutient qu'un commissaire de sa province a tenté de créer un « château fort » pour le député libéral Dominic LeBlanc lors du redécoupage de 2002. M. LeBlanc fréquentait alors Jolène Richard, la fille du commissaire en chef Guy Richard (M. LeBlanc et Mme Richard se sont mariés en 2003).

« Le président du comité de délimitation était le futur beau-père de Dominic LeBlanc. Ça éveille pas mal de soupçons. A-t-il essayé de créer une circonscription favorable à la réélection de son beau-fils ? Même si Jolène Richard n'était pas encore mariée au moment des faits, sa relation avec M. LeBlanc était sérieuse. »

M. Godin soutient qu'il a demandé la démission de Guy Richard pour cause de conflit d'intérêt, mais que ce dernier a refusé.

Pour sa part, Dominic LeBlanc croit que les allégations d'Yvon Godin n'ont aucun fondement. Ce député libéral, élu pour la première fois en 2000, précise que son beau-père était un juge expérimenté et très respecté. Sa nomination à la commission de délimitation a été faite par le juge en chef de la province, et n'a aucunement été influencée par le Parti libéral fédéral.

M. Richard lui-même n'était pas disponible pour une entrevue, tandis que le maire de Moncton George LeBlanc (aucun lien de parenté), qui siégeait à ses côtés, n'a pas retourné nos appels.

Petits arrangements

Yvon Godin se dit particulièrement outré des effets du redécoupage électoral sur sa circonscription. Le comté d'Albert, soit la partie la plus conservatrice de la circonscription de Beauséjour - représentée par M. LeBlanc -, a été rattaché à la circonscription de Fundy-Royal, traditionnellement acquise aux Conservateurs. En contrepartie, Beauséjour s'est vu attribuer le comté de Kent, qui votait déjà pour le Parti libéral, au détriment de la circonscription de Miramichi. Enfin, la circonscription d'Acadie-Bathurst - représentée par M. Godin - a été amputée pour repeupler Miramichi.

Les Acadiens de Bathurst ont grandement souffert de cette opération. La population francophone a été séparée en deux, et les électeurs transférés à Miramichi sont passés sous la juridiction d'un député unilingue anglophone.

« La contestation a été féroce », se rappelle M. Godin. « La population s'est adressée aux tribunaux et a gagné sa cause pour la première fois dans l'histoire du pays. » Le jugement a été rendu en 2004, juste avant l'élection générale. Le Parti libéral a donc choisi de ne pas le porter en appel.

« Il est ironique que les changements qui ont tant choqué M. Godin aient eu pour but de réunir des communautés linguistiques et historiques, exactement ce pourquoi il se battait dans Acadie-Bathurst », a affirmé M. LeBlanc.

« Le comté d'Albert (conservateur) avait peu de liens avec la circonscription de Beauséjour à laquelle il avait été greffé dans les années 1990. La forme de ma circonscription n'était même pas contiguë. Pour me rendre dans le comté d'Albert, je devais traverser Moncton. De plus, l'ajout d'une région anglophone a grandement dilué la majorité francophone de Beauséjour, qui est passée de 65 % à un peu plus de 50 %. »

« Le redécoupage survenu il y a 20 ans était certainement arbitraire. Mais cette fois-ci, il n'y aura pas de folies. Je craignais que les nominations soient partisanes, mais je suis maintenant rassuré », a conclu M. LeBlanc. « En ce qui concerne le Nouveau-Brunswick, les gens qui siègent à la commission me paraissent neutres, crédibles et irréprochables. »

Le critique libéral Stéphane Dion se dit également satisfait du choix des commissaires. Cependant, il se méfie de la capacité des Conservateurs à manipuler les résultats électoraux : « Ils ont une grande facilité à inventer des trucs qui ne sont pas casher. »

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