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Jeux vidéo: le Québec, l'Eldorado numérique ?

Jeux vidéo: le Québec, l'Eldorado numérique ?
David Nathan

Avec un taux de croissance prévisionnel de 15% pour 2012, le secteur du jeu vidéo au Québec a de quoi garder le sourire. La récente étude publiée par la firme TechnoCompétences à la fin du mois de mars 2012 confirme en effet ce à quoi tout le monde s'attendait : les indicateurs sont à la hausse et la Belle Province confirme son statut de pôle de création majeur de jeux vidéo. Mais si ce succès est en grande partie attribuable à quelques gros studios, qu'en est-il des entreprises plus petites ?

Les raisons de succès

Plusieurs paramètres peuvent expliquer pourquoi le Québec a réussi à se distinguer et comment, depuis 2002, il affiche un taux de croissance annuel moyen de la main-d’œuvre de 23,4 %. Pour Jason Della Rocca, ancien PDG de l'International Game Developers Association et consultant, la réussite de Montréal, qui attire a elle seule 79% des entreprises installées au Québec, tient à une dynamique à trois têtes. « Il faut trois facteurs pour qu'une ville puisse s'épanouir dans ce secteur: il faut les talents, qu'il y ait des liens forts avec les universités et que le gouvernement apporte son soutien. Contrairement à ce qui se passe dans plusieurs autres provinces canadiennes, le Québec remplit ces trois conditions: la main-d’œuvre est qualifiée, il y a un véritable savoir-faire et un bassin de talents très important à Montréal qui a historiquement toujours été très en avance en matière d'ingénierie, de simulation et de conception d'outils 3D; il y a d'autre part un vrai écosystème économique composé de plusieurs grands studios dont certains nourrissent une relation étroite avec le monde universitaire, comme Ubisoft par exemple qui a créé une chaire de recherche à l'Université de Montréal en intelligence artificielle. (NDLR : Ubisoft Montréal investit annuellement dans ce partenariat 200 000 $ sur une période de cinq ans) et enfin le gouvernement aide les studios grâce au crédit d'impôt».

Depuis 1996, un crédit d’impôt remboursable relatif à la production de titres multimédias a en effet été créé. Cet avantage fiscal dont bénéficient les sociétés qui produisent en totalité ou presque (90 % ou plus) des titres multimédias, leur permet de bénéficier d'un crédit d’impôt à la production de titres multimédia de allant de 30% à 37.5%. Ubisoft fut l'une des premières sociétés à en bénéficier, dès 1997.

Ubisoft : l'effet boule de neige

Depuis son arrivée à Montréal il y a 15 ans, Ubisoft a développé plus de 70 jeux dont Splinter Cell et Assassin’s Creed, des franchises qui se vendent à plusieurs millions de copies chacune. En employant 2 500 personnes sur les 8 000 que compte le secteur, Ubisoft est aujourd'hui le plus gros employeur du secteur au Québec. « Évidemment, les avantages fiscaux ont pesé dans la balance quand il s'est agi de choisir dans quelle ville nous allions nous établir, mais ce n'était pas l'unique facteur, dit Yannis Mallat, président-directeur général d’Ubisoft Montréal et Toronto. Quand nous sommes arrivés ici, il n'y avait pas vraiment d'industrie du jeu vidéo, il y avait uniquement quelques entreprises qui oeuvraient dans des domaines connexes, mais le talent était bien là ; je le comparerais à un diamant mal taillé, la qualité de l'enseignement universitaire à également été un paramètre qui a joué un rôle dans notre prise de décision».

La réussite d'Ubisoft a fait des émules, quelques années plus tard la plupart des gros joueurs du secteur ont imité le studio français : Electronic Arts (2003), Eidos (2007), Funcom et THQ (2009), Warner Bros (2010) et tout récemment Square Enix (2012).

Et les studios québécois ?

Si l'industrie du jeu video au Québec va bien, qu'en est-il de l'industrie québécoise du jeu vidéo ? Force est de constater qu'un grand nombre d’entreprises de propriété québécoise ont vu le jour dont plusieurs de renommée mondiale comme Frima Studio, un studio de jeux vidéo et de divertissement numérique fondée en 2003 et qui emploie aujourd'hui 350 personnes et développe des productions originales entre autres pour le Web, les consoles et la téléphonie mobile. Mais si le succès québécois de Frima est incontestable, il demeure cependant assez isolé. Pour Steve Couture, président-directeur général et co-fondateur de Frima, l'explication est à chercher du côté de l'entrepreneuriat. «Au Québec on sait produire des jeux vidéo mais on ne sait pas les mettre en marché, dit le chef d'entreprise. Il faut arrêter de croire que l'industrie du jeu vidéo est une industrie différente des autres, c'est faux. Cela prend des gens qui soient créatifs bien sûr mais cela requiert également de bons gestionnaires. Le problème de certains studios est qu'ils sont plus doués dans le côté créatif que dans celui des affaires ».

Selon lui, c'est grâce à un effort gouvernemental que l'esprit d'entrepreneuriat pourra se développer. « Le gouvernement du Québec a tout à gagner en misant sur des incitatifs compétitifs qui permettront, à des sièges sociaux comme Frima, de poursuivre leur essor et de contribuer, encore davantage, à la prospérité économique du Québec », déclarait récemment Steve Couture dans un communiqué de presse.

La dure réalité des petits studios

Mira Lupa est un jeune studio spécialisé dans la conception de jeux intégrant la réalité augmentée. C'est aussi un exemple très révélateur des difficultés auxquelles doivent faire face ces petites structures. Quand les trois associés ont lancé leur entreprise en janvier 2011, ils ont dû compter sur leur fonds propres et sur le porte-monnaie de leurs parents et amis à hauteur de 50%, faute d'autres solutions. « On nous a frappé à plusieurs portes au Québec notamment à celles du Concours québécois en entrepreneuriat et de la La Fondation du maire de Montréal mais dans les deux cas, nous ne sommes plus considérés comme des jeunes », dit Serge Landry. Effectivement, il suffit d'aller faire un tour sur le site internet pour constater que « La Fondation du maire de Montréal pour la jeunesse aide les Montréalais âgés de 18 à 35 ans à démarrer leur entreprise ».

Et Elie Charest d'ajouter : « Le Fonds des médias du Canada (FMC) nous a donné un bon feedback mais ils n'ont pas pu nous aider puisque nous n'avions pas de passif ni de partenaire financier, ce qui est souvent le cas quand une entreprise démarre, c'est le serpent qui se mord la queue. C'est l'épreuve du feu, si tu survis et que tu réussis à sortir un produit dans les premiers mois, ça va sinon... ».

Faute d'aide financière, Mira Lupa a créé Mira Lupa Studios, un consortium de plusieurs autres studios indépendants, illustrant le bon vieil adage selon lequel l'union fait la force. Les trois associés tournent désormais leur regard ailleurs en ce qui concerne le financement « Il n'y a pas de culture de prise de risque au Québec, on est assez frileux en la matière, dit Serge Landry. On veut bien en prendre mais il faut qu'ils soient très calculés. On nous a d'ailleurs conseillé de nous tourner vers des venture capital dans la région de San Francisco, ce que nous allons faire ».

Même son de cloche pour le patron de Frima : « Les crédits d’impôt aident à la croissance des entreprises, ils jouent un rôle de levier essentiel et permettent d'investir, mais ils sont insuffisants pour les petites structures. Il faut des capitaux de risque plus forts et que des investisseurs privés se mobilisent, c'est le moment de prendre le virage».

Pierre Proulx, le directeur général de l'Alliance numérique, reconnaît que beaucoup de petites sociétés sont dans ce cas. « Les petites sociétés ont besoin d'un coup de pouce au démarrage, c'est plus difficile pour elles, il leur faut de l'argent rapidement. Elles doivent souvent compter sur leur fonds propre qui représente environ 2/3 du financement de leur projet. C'est pourquoi nous essayons de développer un fonds qui financerait la propriété intellectuelle québécoise et favoriserait les studios d'ici ».

Pour Stéphanie Bouchard, Game designer, la situation résulte d'une méconnaissance du métier. « Il n'y a presque pas d'aide pour les petits studios, et cela vient notamment du fait que les banques ne comprennent pas vraiment comment ils fonctionnent. Un studio n'est pas comme un magasin de chaussures, on ne peut pas vendre un produit dès le premier jour, fabriquer un jeu prend beaucoup de temps, de la pré-production. Même chose avec le gouvernement qui ne nous aide pas assez tout simplement parce qu'il ne nous comprend pas ».

La mobilité changera-t-elle la donne?

Depuis les cinq dernières années, la multiplication des téléphones intelligents et des tablettes numériques bouleverse l'industrie du jeu en créant de nouvelles plateformes qui sont investies par une clientèle beaucoup plus large, composée d’hommes et de femmes de tous âges. Les jeux qui sont développés pour ces plateformes mobiles nécessitent souvent des coûts de production moins élevés. Selon le rapport de technoCompétences « cette transformation aura inévitablement des impacts sur le développement des emplois ainsi que sur les compétences requises et même sur la structure des organisations ». Même si les entreprises de plus de 100 employés représentent aujourd'hui 90 % de la main-d’œuvre, les studios de plus petite envergure qui comptent néanmoins pour 55 % des entreprises (moins de 50 employés) du secteur, des entreprises qui auront certainement dans les prochaines années une belle carte à jouer.

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