Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Diviser l’Amérique est exactement ce que souhaite faire Donald Trump

Il est convaincu que c’est ce qui le sauvera - et c’est pourquoi il s’est montré aussi offensif sur Charlottesville.
Donald Trump à la Maison Blanche.
Jonathan Ernst / Reuters
Donald Trump à la Maison Blanche.

WASHINGTON - Cherchons à comprendre ce qui s'est vraiment passé lors de cette conférence de presse donnée mardi à la Trump Tower, ainsi que la stratégie du président pour survivre, voire prospérer au moins quatre ans de plus à la Maison blanche.

Au lendemain des violences de Charlottesville (Virginie), Donald Trump ne s'est pas exprimé publiquement dans sa forteresse familiale dans le but de débattre des faits. Ceux-ci sont indiscutables pour quiconque a pu visionner, par exemple, le terrible reportage de Vice News où néonazis, membres du Ku Klux Klan, suprémacistes blancs de toutes sortes et militants antisémites de bas étage défilaient torche à la main en scandant "les Juifs ne nous remplaceront pas".

Non, le but du chef d'État était tout autre: pousser à bout les médias, provoquer délibérément les journalistes rassemblés dans son vaste hall de marbre. Il s'est délecté de leur pressante indignation, de leur détermination à l'interroger sur Charlottesville. Son scénario était bien étudié: se présenter comme un vrai Daniel de la droite alternative, jeté dans la fosse aux lions des "fake news".

A-t-il été contrarié par les unes enflammées qui ont suivi, par les dénonciations comme celles des Bush père et fils? On peut en douter, car c'était exactement l'effet qu'il recherchait. On nous disait même mercredi que le président avait semblé tout à fait satisfait, voire d'humeur festive, après cette confrontation mise en scène par ses soins. Il s'était lâché, peut-être pour de bon. Il était monté au combat — ce combat qui représente tout pour lui.

Donald Trump semble tout à fait prêt à détruire les États-Unis pour préserver son pouvoir.

Et sa politique globale ne peut que suivre le même schéma. Après une ascension consistant à diviser la nation américaine, son parti et même parfois sa propre équipe de campagne, Donald Trump vise à présent à fracturer ou à discréditer toute institution, tradition ou groupe osant se mettre en travers de son chemin.

Il semble tout à fait prêt à détruire les États-Unis pour dire de préserver son pouvoir. Le président joue contre la montre: il lui faut saper le système fédéral, voire l'ensemble de la vie publique américaine, avant d'être lui-même déstabilisé par les contre-pouvoirs encore présents (soit les tribunaux fédéraux, la presse et le Congrès).

Son objectif ne varie pas: s'imposer par le chaos, éliminer tous ses adversaires. Cet espoir même se limite de plus en plus à un seul enjeu, dont la simplicité brutale lui va si bien: survivre en étant le plus fort. Entre des taux d'approbation d'une faiblesse inédite, des crises internationales qui s'accumulent et un procureur spécial, Robert Mueller, enquêtant sur son cas, la seule victoire qu'il puisse espérer consiste à s'accrocher à son poste.

En agissant ainsi, Donald Trump ne se laisse pas seulement guider par ses impulsions. Il suit en réalité une stratégie bien précise et qui, jusqu'à présent, a porté ses fruits.

Selon des avocats bien au fait des méthodes de Robert Mueller et de celles généralement employées dans ce type d'enquêtes, il est presque certain que le procureur spécial a depuis longtemps obtenu l'accès aux déclarations d'impôts du président. Même si ce dernier n'en est pas tout à fait certain, il doit au moins le supposer... et en être fou furieux. M. Mueller a également rassemblé autour de lui une impressionnante équipe d'experts spécialisés dans le blanchiment d'argent à l'échelle internationale, la fraude fiscale et la juricomptabilité.

Tout cela ne peut que renforcer l'instinct de survie de Donald Trump.

Quelles sont ses tactiques? Énumérons les principaux angles d'attaque:

Encourager les manifestations d'extrême droite

On ne peut pas dire que Donald Trump organise de tels rassemblements (sauf si on compte ses propres meetings...), mais peut-être ne le dérangent-ils en rien. En tout cas, il n'a rien fait pour dissuader ces groupes. La prochaine mobilisation est prévue à San Francisco, menée par l'association d'extrême droite Patriot Prayer. Les citoyens qui s'en inquiètent ont fait remarquer qu'elle doit se dérouler dans un lieu géré par le National Park Service, agence fédérale en charge des parcs nationaux.

Focaliser l'attention sur ses opposants les plus virulents

C'est peut-être parce que Donald Trump a évité d'aller servir au Vietnam pour raisons médicales qu'il aime autant se donner l'image du leader assiégé aujourd'hui. Des procureurs fédéraux ont participé à cet effet en prenant pour cible nombre de participants présumés à une manifestation organisée le jour de son investiture, dont ils ont cherché à faire saisir des données personnelles.

Dénoncer la "fraude électorale"

Cela n'a rien d'un problème d'importance... Mais c'est bel et bien l'occasion rêvée pour Trump de chercher à éloigner des urnes les sympathisants démocrates, tout en forçant ses opposants à concentrer leur message sur la défense des minorités. L'image de l'adversaire qu'il veut nourrir chez sa base est celle d'un clivage entre "nous" et "eux" — et que nul ne doute de ce qu'il entend par "eux"!

Provoquer la presse

Le premier tweet posté mercredi par Donald Trump visait Amazon, dont le dirigeant Jeff Bezos est aussi propriétaire du Washington Post. Le président américain a accusé le site de causer "de graves dommages" aux petits commerçants. En plus de ses menaces de jouer sur l'impôt et la réglementation pour exercer des pressions, il semble décidé à s'attaquer à tous les canaux de communication du journal et des autres grands médias, sachant très bien que leurs réactions indignées ne feront que les discréditer davantage aux yeux de ses plus fidèles partisans.

Intimider les témoins éventuels

Son ancien directeur de campagne, Paul Manafort, a publié un document dans lequel il niait toute "collaboration" avec les équipes chargées par le Congrès d'enquêter sur d'éventuelles collusions avec la Russie. Le message était clairement destiné à Donald Trump: M. Manafort, compromis par ses nombreux liens avec des alliés ukrainiens de Vladimir Poutine, ne souhaitait pas que son ex-patron si vindicatif ne croie qu'il était "passé de l'autre côté". Mais au cas où, le cercle rapproché de celui-ci lui a répondu à sa manière. Le National Enquirer, un journal people proche du président, a récemment publié un long article évoquant sa "liaison répugnante" avec une femme plus jeune et allant jusqu'à l'accuser d'avoir "trahi son pays".

Placer ses hommes dans l'appareil judiciaire

Cet élément ne fait pas les gros titres, mais il est essentiel: il s'agit de la neutralité des tribunaux censés se prononcer sur les tentatives de l'administration Trump pour démanteler l'État régulateur, les droits civiques et le droit de vote. C'est aussi à ces organismes que devra s'adresser le procureur Robert Mueller pour demander des poursuites contre les proches du président. Et la sélection des juges n'a pas été gérée à l'image du reste de l'appareil d'État, désorganisé et en sous-effectif; elle a été confiée en grande partie à la Société fédéraliste, une association professionnelle d'avocats et de magistrats dont le conservatisme n'a d'égal que l'efficacité. Les juges nommés par le pouvoir démocrate sont actuellement encore majoritaires, mais dans un an ou deux, Donald Trump pourrait bien s'être bâti une large et solide protection.

Laisser dépérir l'Obamacare

Même les républicains sont nombreux à souhaiter injecter des capitaux pour soutenir les secteurs du système de santé où le déficit est le plus criant — ce qui reviendrait concrètement à tenir l'Obamacare à flot jusqu'à son éventuelle abrogation. Mais Donald Trump, lui, préférera l'attentisme — et pas seulement par désir de voir "échouer" cette réforme emblématique. Les difficultés de celle-ci présentent un autre avantage politique de taille: celui de diviser les démocrates sur une question essentielle. Le sénateur Bernie Sanders et ses partisans défendent actuellement l'idée d'une assurance maladie publique et universelle, et semblent vouloir en faire la condition sine qua non de leur soutien à de futurs candidats aux primaires. Mais d'autres démocrates à tendance progressiste jugent ce projet irréaliste et trop clivant. Donald Trump n'a qu'à savourer le spectacle.

Garder ses trente-quatre alliés

C'est le nombre de sénateurs républicains dont le président doit à tout prix conserver l'allégeance pour contrer toute éventuelle procédure de destitution. Une chose est sûre: il n'oubliera pas cet élément, autour duquel doit tourner une large partie de sa stratégie. Donald Trump préfère conserver un petit groupe de partisans ardents et dévoués, plutôt que de s'appuyer sur des modérés plus nombreux mais moins acquis à sa cause — l'équivalent repensé de sa stratégie pour s'imposer devant le collège électoral. Il semble évident qu'il juge le chef de sa majorité sénatoriale, Mitch McConnell, comme trop faible pour pouvoir se reposer sur lui. Mais s'efforcer de le faire remplacer pourrait être une décision peu judicieuse. Ce sénateur du Kentucky, originaire de Louisville, est proche d'un autre homme politique né de l'autre côté de la rivière Ohio: le vice-président Mike Pence.

Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares.

À voir également sur Le HuffPost:

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.