Lundi matin, en route à l'école, j'explique à ma fille de huit ans ce qui s'est passé la veille à Sainte-Foy. La nuit, j'avais lu quelques conseils sur le web, comment parler d'un acte terroriste à un enfant. Je me suis préparé. Puis ce matin, j'ai tout oublié. Je lui ai juste dit : « il y a eu une tragédie hier soir à Québec, un fou qui déteste les musulmans est entré dans une mosquée et a tué six personnes qui priaient, et il en a blessé d'autres ». Silence... Elle réfléchit. « Nous sommes musulmans, Papa ? ». « Oui ». Silence... « J'ai peur ».
Je passe les quelques minutes qui nous restent avant d'arriver à l'école à la rassurer, autant que je peux, ce n'est pas arrivé à Montréal, il ne t'arrivera rien, t'inquiète pas... Je ne suis pas sûr d'y croire vraiment, papa aussi a peur, papa est bouleversé, choqué, indigné, en colère. Mais ça, je ne le lui dis pas. Je la serre fortement dans mes bras avant de la regarder monter les escaliers de l'école.
J'ai travaillé de la maison aujourd'hui : pas la force de faire face aux inévitables discussions de bureau. Je ne me sentais pas bien. Des témoignages bouleversants sur la ligne ouverte du 98.5 FM, le choc est immense, des marques de soutien, des expériences humaines, de l'humanité, de l'amour. Ça me fait un peu de bien, même si je sais au fond de moi que le Québec ne sera plus jamais le même.
Pourtant, on la sentait venir la tragédie, depuis quelques années, on la voyait puis on la classait dans le tiroir des « actes isolés », on passait. Certains refusaient d'admettre qu'il y ait racisme, haine et xénophobie. Mais c'était bien là, les signes ne trompaient pas. C'est peut-être le drame de trop, peut-être que nous arrêterons de nous haïr et que nous affronterons enfin notre laideur, ensemble ?
Je publie ceci sur mon compte Facebook : « Chers amis, ne tombons pas dans le piège facile de l'accusation et de la culpabilisation. Ne montrons pas du doigt médias, journalistes, essayistes, chroniqueurs, ou politiciens. Aujourd'hui, tendons plutôt la main, ouvrons nos cœurs, et faisons collectivement qu'une telle horreur ne se reproduise plus ».
Je veux encore croire en l'humain. C'est difficile, mais quelle est mon autre option ?
Je vais chercher ma fille à l'école. « Vous a-t-on parlé de ce qui s'est passé hier ? ». « Non ». Étonnement ! « T'en as parlé avec tes amies ? ». « Seulement avec Jade ». « Pourquoi Jade ? ». « Parce qu'elle est musulmane »... Au moins elle a pu en parler à quelqu'un.
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