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Les femmes musulmanes de Gabriel Nadeau-Dubois

Quand Gabriel Nadeau-Dubois assiste à un souper-bénéfice d'un organisme communautaire pour s'exprimer sur l'importance de l'éducation, on le pousse à se justifier sur une soi-disant DPJ musulmane ou sur une photo avec des femmes engagées. On occulte le travail de cet organisme.
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«Le futur n'est pas une simple prolongation du présent. Il doit se rêver d'abord et puis se construire. Parfois dans la rupture.» Philippe Godard

Nous en sommes au point où l'on pourrait douter de son intelligence, et se demander si le bon sens est encore de ce monde. Pour celles et ceux d'entre nous qui prient encore, la prière du soir pourrait dorénavant se résumer à souhaiter qu'au lendemain, nous ne perdions pas la raison.

Il est fascinant de constater que l'on a réussi à développer des habiletés exceptionnelles à recycler un mot, une expression ou une image en une tempête sociale et médiatique en un temps record. Que ces tempêtes ne durent que quelques jours pour faire place aux suivantes, elles n'en demeurent pas moins toxiques et non sans conséquence. Cette forme d'«économie» et d'«écologie» discriminatoires du verbe est cultivée par une classe de pseudo-intellectuels qui ont délaissé les règles de l'éthique et franchi les limites morales et logiques, pour se livrer à une extermination sans merci de la pensée différente.

S'attaquer systématiquement avec autant d'agressivité et de démesure à la moindre manifestation de la pensée de «l'Autre» ne pourrait se traduire que par une volonté de lui ôter ce droit fondamental qu'est la liberté de pensée. Nous n'en sommes donc plus à contester la liberté d'expression, dès lors que tout le monde peut dire et écrire ce qu'il veut. On défend magistralement le droit à la liberté d'expression avec l'arme de la liberté d'expression.

Je me questionne sérieusement sur le sens de la liberté de pensée dans le contexte actuel. Pouvons-nous prétendre que nous jouissons, aujourd'hui dans nos sociétés modernes et civilisées, de cette liberté qui est à la base de beaucoup d'autres libertés? Il me parait de plus en plus évident que celles et ceux qui monopolisent et façonnent le discours s'attaquent soigneusement à notre liberté de pensée. Une cure de «prêt-à-penser» quasi quotidienne nous est servie par celles et ceux qui savourent le «droit» de pouvoir s'attaquer aux minorités visibles.

La liberté d'expression et la liberté de pensée sont inextricablement liées. Alors, lorsque le moindre geste et la moindre parole sont scrutés, analysés, déformés, déguisés, comment la liberté de pensée pourrait-elle s'épanouir et devenir meilleure? Comment pourrait-elle s'exprimer si l'on privilégie le lynchage (socio)médiatique au dialogue et à l'échange intellectuel raffiné? Pourquoi notre intelligence devrait-elle se rabaisser au niveau du débat actuel, alors que tout débat sérieux se doit de s'élever à la hauteur de notre intelligence? Probablement parce que notre liberté de pensée est compromise par le déchaînement de cette liberté d'expression si chère à nos cœurs.

La confrontation n'est pas négative en soi. Elle est même nécessaire et très louable lorsque son objectif est de (se) construire avec et à travers l'Autre. Une société libre ou qui aspire à la liberté ne pourrait se passer de débats. Il en va de sa survie et de celle des valeurs qu'elle prétend défendre. La liberté d'expression ne se résume donc pas à parler et à s'entendre parler. Elle ne va pas sans le courage de mettre ses propres idées sur la table du débat juste et loyal. Un débat où il n'y a ni gagnant ni perdant.

On fait un procès à Gabriel Nadeau-Dubois sur ce qui ne devrait être que des détails et l'on fait profil bas devant les vraies questions de l'éducation et des projets de société.

Nous assistons jour après jour à un spectacle hallucinant. Ce n'est plus celui qui n'a jamais pêché qui lance la première pierre, mais plutôt celui qui a trouvé la première pierre à lancer. L'Histoire nous a appris que les premiers sont ceux qui dictent les règles du jeu, celles qui nous imposent le contenu et l'orientation des discours et des faux débats, qu'ils soient nouveaux ou recyclés. Ainsi, quand Gabriel Nadeau-Dubois assiste au souper-bénéfice d'un organisme communautaire pour s'exprimer sur l'importance de l'éducation, on le pousse à se justifier sur une soi-disant DPJ musulmane ou sur une photo avec des femmes engagées. On occulte le travail de cet organisme. On ignore volontairement que ce sont des femmes musulmanes qui le dirigent et qui y œuvrent. On minimise le soutien inestimable qu'il apporte aux jeunes filles en difficulté, à leurs familles et à la Direction de la protection de la jeunesse elle-même. On s'aveugle devant un grand projet citoyen. On fait un procès à Gabriel Nadeau-Dubois sur ce qui ne devrait être que des détails et l'on fait profil bas devant les vraies questions de l'éducation et des projets de société. On n'hésite pas à lui expliquer, à la limite de la subtilité, qu'il fait désormais partie des «naïfs». Quelle insulte à l'intelligence et à l'engagement de cet homme!

Au nom de la liberté d'expression, on continue de prendre pour cible notre liberté de pensée. Il n'est plus question des musulmanes et des musulmans seulement. Ce sont certes les cibles visibles qu'on veut obliger à mâcher leurs mots, à calculer leurs faits et gestes et à filtrer leurs rêves et leurs pensées.

Toutefois, il est tout aussi question de tous les membres de la société. En effet, il n'y a pas de spectateurs pour ce spectacle, sauf peut-être les metteurs en scène qui, sous prétexte d'informer ou de soulever des questions à priori légitimes, s'attaquent à la liberté de pensée des musulmanes et des musulmans, et bafouent aussi bien celle de tous ceux qui bâtissent leurs opinions sur le discours ambiant, ceux-là qui continuent d'apprécier le spectacle du confort de leurs salons, ignorant qu'ils en font partie.

Et si le scénario était différent? Un Gabriel Nadeau-Dubois qui assiste à un évènement de collecte de fonds pour un organisme géré par des hommes musulmans et qui offre des services aux garçons seulement. Une photo de Gabriel Nadeau-Dubois entouré uniquement d'hommes musulmans. La suite, nous la connaissons. Du moins, celles et ceux d'entre nous qui ont encore un minimum de liberté de pensée!

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