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Comment réussir sa dinde de Noël... et de bonnes résolutions

La dinde sera bientôt sur la table, et la réunion d'une famille nombreuse impose de choisir une volaille très grosse qui devra cuire très longtemps, au risque de rendre leur chair très sèche. Comment l'éviter? La réponse est simple : il faut réfléchir.
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La dinde sera bientôt sur la table, et la réunion d'une famille nombreuse impose de choisir une très grosse volaille. Cela a pour conséquence que, selon les recettes classiques, la cuisson doit être très longue, car il faut du temps pour que la chaleur se propage jusqu'à l'intérieur de l'animal, afin que ce dernier soit cuit jusqu'au centre. La chaîne des conséquences se poursuit : puisque la cuisson est longue, les parties externes sont chauffées pendant très longtemps, et c'est ainsi que nous avons tous enduré des dindes de Noël dont la chair était abominablement sèche. Comment l'éviter? La réponse est simple : il faut réfléchir.

Réfléchir, en disposant de quelques informations données par les sciences et technologies de l'aliment, et, notamment, de la discipline scientifique nommée gastronomie moléculaire.

La première des observations est qu'il n'est pas nécessaire de chauffer à plus de 225 degrés pour obtenir la coagulation des protéines de la chair. En effet, la viande, que ce soit celle de bœuf, de porc ou de volaille, est faite de fibres musculaires, c'est-à-dire de tuyaux extrêmement fins, qui renferment de l'eau et des protéines. Ces tuyaux sont eux-mêmes faits d'une variété de protéines particulières que l'on nomme du collagène. C'est lui qui, quand il est abondant, rend les viandes dures... mais il y en a peu dans les volailles, de sorte que ce sont plutôt les protéines de l'intérieur des fibres qui nous intéressent.

Une autre information importante est la suivante : plus les protéines sont nombreuses à coaguler, plus la viande est dure. Pour le voir mieux, considérons un blanc d'œuf : c'est un ensemble de très nombreuses molécules d'eau (comme des boules de billard, qui bougent dans tous les sens), avec, dedans, des «protéines», molécules qui, en l'occurrence, sont comme des colliers de perles repliés sur eux-mêmes. Quand on chauffe un peu, certaines des protéines «coagulent» : elles se débobinent, et se lient, formant un grand «filet», que l'on nomme le réseau d'un gel. Le système, en effet, devient un solide mou, parce que le réseau bloque l'écoulement. Puis, quand on chauffe plus, d'autres protéines coagulent, et le gel devient plus ferme (deux filets tiennent mieux qu'un seul). Et ainsi de suite, à mesure que la température augmente. C'est ce même phénomène qui fait le blanc des œufs durs caoutchouteux quand on les cuit trop longtemps : avec le temps de cuisson, la chaleur augmente dans tout l'oeuf, de sorte que de plus en plus de protéines coagulent.

Et l'on dispose ainsi de la solution au problème des viandes sèches : il suffit que toutes les parties de la viande soient portées à une température suffisante pour une légère coagulation, mais il faut éviter les températures trop élevées, où trop de protéines coaguleraient, rendant la viande dure et «sèche». On note en passant qu'il ne s'agit pas d'une évaporation de l'eau de la viande (il y en a, bien sûr), mais d'une coagulation de trop de protéines. Ainsi, cuire la dinde à haute température (classiquement, vers 350 degrès) est une mauvaise solution, car cela conduit nécessairement les parties externes à être excessivement chauffées. D'où l'intérêt des cuissons «à basse température», ce qui signifie, en pratique, de mettre la dinde dans un four à moins de 225 degrés, par exemple 175.

Une troisième information est également importante : il faut absolument éviter que la température soit inférieure à 150 degrés, sans quoi on risquerait de provoquer la prolifération des micro-organismes qui sont omniprésents à la surface de la viande. Et il est bon de tuer ceux qui sont présents en enfournant à four très chaud, pendant quelques minutes, avant de réduire la température. Puis la cuisson se fera pendant un temps très long, plusieurs heures, mais cela n'est pas grave, car les fours électriques sont très bien thermostatés, et la chaleur produite chauffera la maison.

Combien de temps de cuisson? C'est un avantage de la cuisson à basse température que l'on n'a pas besoin d'avoir l'oeil sur la montre : du moment que la température voulue est atteinte, peu importe que l'on cuise une heure de plus ou de moins. Le mieux : enfourner la volaille le matin et l'y laisser pendant qu'on fait les courses, qu'on prépare la bûche, etc.

La basse température s'impose pour la tendreté des viandes, mais elle a bien d'autres intérêts, notamment celui de servir une masse de viande environ égale à celle qu'on a achetée, au lieu qu'une cuisson à haute température nous fasse perdre jusqu'à 25 % de la masse enfournée. Mieux encore, la longue cuisson permet une «hydrolyse» du collagène, soit la dissociation de ce dernier en petits fragments souvent savoureux.

Le croustillant? Le bon goût de la peau brunie de la surface? Si on a enfourné à four initialement chaud, alors la surface aura brunie, et le goût de bien cuit sera apparu. Puis, si en fin de cuisson nous avons donné un autre coup de grand chaud, soit avec le four, soit plus rapidement avec un pistolet décapeur, alors la surface sera telle que nous l'aimons.

Nous avons donc toutes les bonnes raisons de changer notre cuisson de dinde pour cette nouvelle manière... mais pourquoi beaucoup d'entre nous ne le font-ils pas? Parce que nous sommes humains, et que nous sommes «équipés» de ce comportement terrible et merveilleux des primates que l'on nomme la néophobie alimentaire : nous ne mangeons que ce que nous connaissons. C'est un atout, car cela nous empêche de consommer des végétaux au hasard, ce qui ne manquerait pas de nous empoisonner (on n'a pas assez dit que les végétaux se protègent par des "pesticides naturels", mais cela nous empêche d'aller à l'aventure, notamment à l'aventure culinaire. Tout aliment nouveau est regardé avec méfiance, même quand il s'impose rationnellement.

Pourtant, la raison nous conduit à observer notre alimentation avec étonnement : alors que nous voulons mincir, nous mangeons du chocolat, qui, il faut le dire avec honnêteté, est composé à moitié de graisse et à moitié de sucre; alors que nous voulons manger sainement, nous cuisons la viande au barbecue, ce qui la charge le plus souvent de benzopyrènes cancérogènes...

Bref, nous perpétuons des pratiques culinaires aberrantes, mais, surtout, non questionnées! Je propose de profiter de la nouvelle année pour prendre des résolutions, la première étant de nous interroger à propos de notre alimentation, de nos pratiques culinaires; nous demander si, vraiment, il est bien raisonnable de cuisiner, au XXIe siècle, avec ces mêmes casseroles, fouets, passoires que ceux des siècles passés. Que je sache, nous n'écrivons plus avec une plume d'oiseau trempée dans de l'encre, nous ne roulons pas en char à bœufs dans nos villes, nous ne nous lavons plus à la cendre de bois...

Pourquoi cuisinons-nous et mangeons-nous alors comme par le passé? L'objectif de mon questionnement n'est pas hygiéniste! Dans une entreprise de «réforme», s'il faut choisir entre Luther et Calvin, je passe dans le camp de l'auteur des «Propos de table», parce que, alsacien, il savait qu'il faut que le corps soit à l'aise pour que l'âme s'y plaise. Et pour que le corps soit à l'aise, une dinde merveilleusement cuite, c'est quand même mieux que la sèche punition qu'on nous a parfois infligée. Mais je vois que des questionnements analogues devront se répéter pour que nous disposions sur nos tables de mets merveilleux à la hauteur de notre gourmandise.

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