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Uber Uber über alles: qu’ils soient pour ou contre

Nous habitons tous les deux à Montréal où nous travaillons ensemble et, hormis Uber, nous sommes de bons amis.
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Les compagnies de taxi établies doivent évidemment se réveiller – et vite.
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Les compagnies de taxi établies doivent évidemment se réveiller – et vite.

Ce blogue a été rédigé en collaboration avec Leslie Breitner, directrice du programme de maîtrise internationale en leadership en santé de l'Université McGill (www.imhl.org).

Jusqu'en 1945, les Allemands entonnaient leur hymne national en commençant par la phrase « Deutschland Deutschland über alles » (« L'Allemagne, l'Allemagne, par-dessus tout »)*. Aujourd'hui, bien des gens chantent « Uber Uber über alles », qu'ils soient pour ou contre.

De nous deux, l'un chante ses mérites, l'autre s'y oppose. Nous habitons tous les deux à Montréal où nous travaillons ensemble et, hormis Uber, nous sommes de bons amis. Leslie a vécu aux États-Unis, et brièvement en France, jusqu'à ce qu'elle déménage à Montréal en 2010. Henry est né et a été élevé à Montréal. Il a aussi vécu quelques années en Angleterre, en France et même aux États-Unis. Voilà peut-être ce qui explique notre point de vue différent à propos d'Uber.

Leslie à propos d'Uber : la concurrence par-dessus tout

J'adore la technologie, l'innovation, la commodité, la nouveauté, quand c'est judicieux. Uber est entré en scène avec des prix attrayants, mais c'était plus une question de commodité et de facilité d'utilisation. Pas d'appel téléphonique, pas de cafouillage sur le lieu de rendez-vous, et surtout, pas d'échange d'argent dans le véhicule. À l'arrivée, il suffit d'un simple « merci » et le tour est joué.

Ce qui compte, c'est qu'Uber et les autres entreprises de covoiturage bouleversent l'industrie du taxi pour offrir un meilleur service, partout à travers le monde, et ce, depuis près d'une décennie.

Est-ce qu'Uber est une « innovation de rupture »? Est-ce important? (« Why Clayton Christensen is Wrong About Uber and Disruptive Innovation », par Alex Moazed et Nicholas L. Johnson, Techcrunch.com (27 février 2016)) Ce qui compte, c'est qu'Uber et les autres entreprises de covoiturage bouleversent l'industrie du taxi pour offrir un meilleur service, partout à travers le monde, et ce, depuis près d'une décennie. Il est assez évident que depuis ce temps, les compagnies de taxi ont eu le temps de se brancher!

J'ai foi en la société de droit. Je paie des impôts dans deux pays. Je comprends cependant la longue tradition qui veut que nous cherchions à éviter les taxes par tous les moyens légaux possibles. Outre cela, nous faisons régulièrement fi des lois quand elles sont manifestement déraisonnables ou qu'elles visent à soutenir des pratiques monopolistiques. Cette forme de désobéissance civile attire l'attention sur le besoin de changement. Comme Uber en transport, Airbnb fait concurrence aux hôtels traditionnels et Turo, aux entreprises traditionnelles de location de voitures. Avant l'arrivée des téléphones cellulaires et d'Airbnb, les hôtels escroquaient les gens avec les frais liés aux appels téléphoniques personnels, puis avec ceux liés à Internet. Turo évite les taxes aéroportuaires abusives en permettant aux gens de louer des voitures à l'extérieur du site de l'aéroport ou auprès de propriétaires privés qui viennent les chercher à l'aéroport.

Les gouvernements doivent mettre en place des lois qui nous protègent, mais qui sont aussi à notre avantage.

Les gouvernements doivent mettre en place des lois qui nous protègent, mais qui sont aussi à notre avantage. Des conditions équitables et la réalisation sont importantes, mais comme nous le voyons peut-être maintenant avec Uber, il est possible d'atteindre un équilibre grâce à la coopération, la négociation et la collaboration en permettant le genre de choix auxquels nous sommes en droit de nous attendre au sein d'une démocratie.

Henry à propos d'Uber : les travailleurs, les règlements et les gouvernements par-dessus tout

Aujourd'hui, l'idée de mondialisation est largement répandue : « les investisseurs, les investisseurs par-dessus tout » – par-dessus les travailleurs, par-dessus les lois et règlements, par-dessus la souveraineté nationale. Il ne faut pas se leurrer : Uber n'est que la plus récente version des pratiques anti-travailleurs qui, depuis plusieurs années, tendent à ramener le salaire de la classe moyenne vers le salaire minimum, au grand plaisir des actionnaires et des clients. Les syndicats ont d'abord éclaté, puis la sécurité d'emploi a disparu en compagnie des avantages sociaux. Ainsi, la baisse des salaires qui s'est ensuivie a fait éclater le tissu social des sociétés. Pas étonnant que tant de gens en aient marre de la mondialisation économique qui fait peu de cas de la décence et de la démocratie.

Les gens qui exploitent les taxis traditionnels doivent acheter ce droit auprès des autorités municipales et se conformer à différents règlements destinés à protéger le public. Puis Uber est arrivé avec ses gros sabots et a ignoré les règlements alors que les administrations municipales fermaient les yeux. Il vaut mieux ne pas toucher à la mondialisation. Il est par contre permis de toucher aux travailleurs locaux. Pourquoi ne devraient-ils pas gagner le salaire minimum pour que nous, les bien payés, y compris nos dirigeants gouvernementaux, puissions tirer profit de la commodité? Puis, quand les chauffeurs de taxi se défendent, ils se font traiter de méchants et d'impolis, et se font accuser de conduire des voitures sales. (Si c'est maintenant plus fréquent, c'est peut-être parce qu'ils en ont marre de se faire avoir.)

C'est drôle, car Uber fait monter des gens dans un véhicule et les emmène partout en ville en échange d'un prix pour la course. Ça ressemble pas mal à un service de taxi... si vous voulez mon avis.

Uber affirme ne pas être un service de taxi. (Tout comme j'affirme que ceci n'est pas un blogue parce que j'appelle ça un « TWOG » [un « TWeet 2 blOG », c'est-à-dire un gazouillis sur Twitter transformé en blogue].) C'est drôle, car Uber fait monter des gens dans un véhicule et les emmène partout en ville en échange d'un prix pour la course. Ça ressemble pas mal à un service de taxi... si vous voulez mon avis. Non, affirment-ils, il s'agit d'un service de covoiturage. Ah bon, quand, pour la dernière fois, avez-vous partagé un véhicule Uber avec un étranger? D'accord, mais les chauffeurs d'Uber sont des travailleurs autonomes. Eh bien, que sont les chauffeurs de taxi qui sont propriétaires d'un permis et qui ont formé une coopérative? En plus de la contre-information (fake news), nous vivons aussi dans un monde de contre-mots (fake words).

Apple a connu le succès en rivalisant avec de meilleurs produits; Uber a du succès en trichant avec un meilleur service. C'est le pitbull suprême dans un monde où les entreprises pitbulls abondent, et il semble aussi l'être dans sa gestion et dans sa culture d'entreprise. L'expression suivante est tirée d'un article récent du New York Times à propos des efforts de Londres pour se débarrasser d'Uber : « Le sentiment qui règne en ce moment veut que les organismes de règlementation doivent tenir tête aux entreprises qui ignorent tout simplement les règlements qui ne font pas leur affaire.» Ça alors! Tenir tête aux multinationales et les forcer à respecter la primauté du droit. Quelle idée novatrice! Ce n'est pas un sentiment qui circule, c'est un véritable coup de massue.

Leslie et Henry : la synergie par-dessus tout?

Peut-être avons-nous tous les deux raison? Nos points de vue divergents ne sont peut-être après tout qu'une question de contexte. Leslie cite la corruption dans l'industrie du taxi, qui a particulièrement sévi à New York avec ses taxis jaunes. Ces taxis sont dorénavant moins nombreux qu'en 1937, quand ils ont été introduits pour la première fois au coût de 10 $ chacun. Certaines personnes ont fait fortune grâce aux taxis jaunes (le prix ayant dépassé le million de dollars avant qu'Uber ne s'installe), alors que certains chauffeurs qui louaient leur voiture éprouvaient des difficultés financières. Autrement dit, à New York du moins, cette baisse des revenus a précédé l'entrée en scène d'Uber, bien que cela ne se soit pas calmé depuis. Alors, pourquoi la majorité écrasante de chauffeurs new-yorkais qui ne conduisent pas un taxi jaune ne devraient-ils pas passer à Uber?

La ville établit des restrictions sévères quant au nombre de permis en circulation et ceux-ci sont liés à la propriété individuelle des véhicules.

Henry souligne qu'à Montréal, les taxis sont nombreux et que plusieurs d'entre eux sont conduits par des propriétaires polis qui gagnaient de meilleurs revenus, du moins avant l'arrivée d'Uber. La ville établit des restrictions sévères quant au nombre de permis en circulation et ceux-ci sont liés à la propriété individuelle des véhicules. Autrement dit, les contextes sont différents. Montréal se rapproche peut-être plus que New York des autres villes qui ont défié Uber.

Par conséquent, appliquons-nous une solution à un problème de corruption typiquement new-yorkais dans des villes où ce problème n'existe pas? Autrement dit, est-ce un cas d'exceptionnalisme américain, délaissé par Donald Trump dans sa politique étrangère, mais repris par les sociétés américaines dans le marché international? C'est du moins la façon dont de nombreux Canadiens voient le monde aujourd'hui, tout comme de nombreux Européens. Les Américains adorent la nouveauté, et la concurrence qu'elle apporte, alors que les Canadiens tendent à se méfier davantage des multinationales agressives et à se préoccuper des négligés et de la bonne foi.

Nos positions semblent pouvoir se réconcilier, synergiquement, si vous le voulez. Gardez les avantages d'Uber, tout en forçant l'entreprise à respecter les règles, du moins les règles raisonnables. Voilà peut-être ce qui se passe à Montréal en ce moment. Quand le gouvernement du Québec a récemment cherché à imposer des restrictions à Uber, l'entreprise a indiqué qu'elle entendait quitter le Québec à une certaine date. Le gouvernement n'a pas plié, et Uber n'est pas partie. La proposition à l'examen est qu'Uber achète un certain nombre de permis, exige et paie les taxes de même que des frais par course. Uber devrait aussi s'assurer que ses chauffeurs aient les assurances et les permis adéquats et que les véhicules soient régulièrement inspectés. Autrement dit, Uber devrait se comporter comme la compagnie de taxi qu'elle est. L'entreprise ne semble pas ravie par la proposition, mais il pourrait s'agir d'une manière de conserver les innovations tout en mettant fin à l'indécence. Est-ce que ça veut dire jeter le bébé Uber avec l'eau du bain du taxi? Qui sait?

Aux États-Unis, les gouvernements cherchent à établir un équilibre entre le besoin grandissant pour un transport urbain souple et la protection des intérêts des chauffeurs de taxi.

Les compagnies de taxi établies doivent évidemment se réveiller – et vite. Elles peuvent reproduire plusieurs des innovations d'Uber. (Le prépaiement par carte de crédit est loin d'être sous brevet.) Pendant ce temps, d'autres variantes surgissent un peu partout dans le monde. À Londres, avec Gett, certains des légendaires taxis noirs offrent un service via une application mobile. L'usager peut choisir de payer un tarif fixe à l'avance ou d'utiliser le compteur. Aux États-Unis, les gouvernements cherchent à établir un équilibre entre le besoin grandissant pour un transport urbain souple et la protection des intérêts des chauffeurs de taxi.

Même Leslie a adopté un système hybride : elle a rencontré un chauffeur titulaire d'un permis qui préfère conduire ses propres clients. Ainsi, pour certains de ses besoins, elle communique directement avec lui, selon les tarifs d'un taxi. Oui, elle paie plus cher qu'avec Uber, mais en retour, elle est assurée que le véhicule sera toujours propre et bien entretenu et surtout, qu'elle a un chauffeur sûr à qui elle peut faire confiance. En fait, il est presque devenu un ami. Leslie a ainsi fait sa part pour la décence.

*Il semble que cette phrase ait d'abord fait référence à une Allemagne réunifiée plutôt qu'à ses différentes parties, mais les Nazis avaient possiblement autre chose en tête. Cette phrase n'est plus chantée officiellement.

Ce blogue a été traduit de l'anglais.

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