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Le présent me rattrape à Paris

Sur mon téléphone, La Presse Mobile m'annonce du Québec qu'il y a un attentat à Paris, trois morts. J'informe Mimi qui entend peu, la France gagne. Le mot attentat devient-il trop banal?
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J'arrive à Paris le matin du vendredi 13 après neuf années d'absence. Le bus d'Air France passe 44 avenue des Ternes où j'ai habité un appartement magnifique avec terrasse sur le toit.

J'ai vécu dans le 6e, le 8e, le 12e. Et dans le 11e. Quartier dont on parlera encore demain. J'ai été parisienne et européenne. J'ai vécu, en Allemagne, en Italie, en France, en Angleterre et ces six mois inoubliables en Turquie. J'ai visité les familles des pays de l'Europe, d'est en ouest et du nord au sud. J'avance dans la vie mais aujourd'hui j'expérimente le retour sur les lieux du passé. J'observe tout. Même le bruit des freins du métro me fait sourire. Je reconnais son et odeurs.

Une amie me rencontre à l'Étoile. Avec ses politiques d'architecture, Paris est la même et j'aime. Une première différence, le nombre de gens dans les rues. Du monde partout. Le doublement de la population, des appartements de plus en plus petits et les touristes qui représentent la population de la France toute entière chaque année. Une population en vacances dans la rue. Puis, «c'est aussi tous les fumeurs qui sont obligés de fumer dans la rue».

Avec le décalage horaire, j'ai hâte, ce premier soir, de retrouver un lit. Je laisse Mimi devant le match France-Allemagne au stade de France. Sur mon téléphone, La Presse Mobile m'annonce du Québec qu'il y a un attentat à Paris, trois morts. J'informe Mimi qui entend peu, la France gagne. Le mot attentat devient-il trop banal? Je vais dormir. J'ai un déjeuner avec d'autres amis à St-Germain. Il faudra me lever. Pendant que je dors, en Amérique on suit tout ce qui se passe à Paris.

Au réveil, c'est 120 morts. Comme pouvais-je dormir alors qu'il fallait être si réveillée? Puis, que sera Paris quand je sortirai? Puis-je sortir? Ben oui, la peur n'a jamais été invitée dans mes voyages. Je ne vois aucun soldat et passe sans difficultés du 7e au 6e. Je sonne rue de Bucci. Je connais la porte depuis quatre décennies. Un bon déjeuner nous attend. Chacun a téléphoné à ses proches et ils sont sains et saufs. On respire, on parle des événements, on ne comprend pas ce qui peut amener un individu à faire une telle chose mais chacun garde son angoisse. On en saura plus ce soir, se dit-on. La vie continue, on a une décennie à rattraper. On est heureux de se revoir.

J'ai de la difficulté à être ainsi dans la normalité. Dimanche, je vais en Picardie avec Françoise. Je prends un brin de vert comme on prend un verre de vin. La maison est de 1622. Je cherche la date sur l'ordi pour avoir une idée de ce qui se passait cette année-là. Je lis: «le roi affirme donner priorité à la guerre contre les huguenots. Le point culminant de cette campagne est la bataille de l'île de Ré où le roi commande personnellement son armée et écrase les protestants.»

Je suis fatiguée. Le décalage horaire a toujours été difficile pour moi. Nuits blanches, le cerveau est lourd comme le coeur devant l'histoire des guerres.

Je déjeune, je dîne avec des amis. J'ai l'impression d'avoir vécu plus intensément les tueries de Charlie Hebdo. Je suis touchée par les messages de l'extérieur, de ceux qui savent où je suis et qui s'inquiètent pour moi. De l'extérieur on englobe tout Paris, ici c'est dans le 11e. Comme quand je me suis retrouvée dans des pays en guerre où on continue de vivre parce que la guerre est à l'ouest, au nord ou au sud.

Les nouvelles se répandent comme une tache d'encre, tache de sang, tout au long de la semaine. «Charlie Hebdo c'était la presse, c'était politique, mais là c'est nous.» Tous ceux rencontrés connaissent quelqu'un qui connaît quelqu'un. Même moi. Les enfants d'une amie qui vont au Bataclan plusieurs fois par année, qui vont régulièrement manger au Petit Cambodge. L'amie d'une amie qui a perdu son fils. Elle l'a su le samedi après-midi. J'apprends que le stress pour plusieurs a duré de longues heures.

On me dit: «votre génération a vécu la liberté, nous on nous l'enlève.» Ou est-ce une innocence? de l'insouciance? On cherche un mot pour décrire la perte. Un changement profond vient d'arriver. «Non, nous n'aurons pas peur, nous ne plierons pas face à la haine, nous ne perdrons pas nos petits bonheur de liberté et de fraternité.» Oui mais une cicatrice est ouverte et elle aura peut-être du mal à guérir. Le mal est comme une une grande peine d'amour. La vie continue, on sort, on rigole, on mange bien et avec plaisir mais en nous une douleur. Et après plusieurs peines d'amour, parfois il devient plus difficile d'aimer.

Les endroits fréquentés sont calmes mais pas ce mardi matin. Je reviens de la proche campagne et suis à la gare du nord le matin. En voyant la foule, je me demande si les banlieusards se sentent en sécurité. Si la peur n'est pas vraiment présente, le cerveau nous rappelle que c'est peut-être pas vrai. «Moi, j'ai changé de siège en me demandant si changer de siège pouvait me sauver la vie.» «Moi, je me suis demandé si prendre le prochain métro ou celui qui est devant moi, pourrait faire une différence.» Ces anecdotes me transportent dans les rues au Liban, à Hébron, au Congo et avec tous ceux qui, tous les jours se demandent, si aller chercher du pain peut signifier la vie ou la mort. La paix dans mon coeur est liée à la paix dans tous les coeurs.

Les rues se sont vidées. Certains touristes ont changé d'idées. Les fumeurs fument un peu plus. Paris est trop belle pour lui tourner le dos. Je quitte heureuse de savoir que j'y repasserai début mai.

On m'annonce que le 6 décembre, en Inde, j'irai à une rencontre avec le Dalai Lama. J'y rêverai d'un monde sans religions et d'une nouvelle spiritualité.

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