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Les mesures d'austérité en éducation: une bombe à retardement

Les études de Heckman démontrent qu'il est préférable et plus rentable d'investir en amont sur le plan de l'éducation, plutôt qu'en aval pour contrer les conséquences économiques désastreuses.
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Notre gouvernement prône des mesures d'austérité et exige des compressions massives dans tout le système d'éducation. À son avis, cela s'explique par une saine gestion pour ne pas laisser aux générations futures le fardeau d'une dette financière, donnant ainsi l'impression de vouloir protéger la jeunesse en «bon père de famille».

Nul ne peut s'opposer à la vertu de vouloir protéger la jeunesse. Ce que je remets en cause, ce sont les mesures d'austérité prises comme moyen pour prévenir cet endettement futur. En réalité, les mesures d'austérité en éducation n'égalent-elles pas, à coup sûr, un fardeau économique pour les générations futures, sans compter l'ostracisme social qu'elles engendreront?

1- Les apprenants actuels dans le système d'éducation

Si l'on trace brièvement l'évolution des effectifs scolaires depuis l'aube des années 2000, on remarque que le pourcentage d'élèves dits handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA) connaît une importante croissance [1]. Entre les années 2000 et 2010, la population des EHDAA augmente de 23%. Au postsecondaire, le nombre d'étudiants présentant des besoins particuliers explose: au collégial, entre 1995 et 2007, on note une augmentation de 330% et, à l'université, entre 2005 et 2012, on note une hausse de 193%. La proportion des personnes qui présentent des difficultés d'apprentissage n'a cessé d'augmenter au Québec dans les 15 dernières années. Toutefois, lorsque ces apprenants sont concrètement soutenus, ils se rendent aux études postsecondaires.

Compte tenu d'une politique axée sur l'austérité, le contexte éducatif souffrira d'une diminution des ressources et des moyens mis à la disposition des apprenants. On peut penser que les difficultés risquent non seulement de perdurer, mais de s'accentuer en produisant l'échec scolaire, en générant l'exclusion scolaire et sociale.

Dès lors, qu'adviendra-t-il de ces jeunes et de leur diplomation? Qu'en coûtera-t-il ultérieurement au gouvernement de ne pas avoir investi lors de leur scolarisation lorsqu'ils arriveront à l'âge d'intégrer le marché du travail? Les sommes soi-disant sauvées ponctuellement ne deviendront-elles pas des dépenses récurrentes pour le gouvernement?

2- Le coût des compressions budgétaires en éducation

Selon Amartya Sen, le «capital humain» est favorisé par l'éducation en permettant l'émancipation de la personne et de ses actions (dans Un nouveau modèle économique. Développement, Justice, Liberté, Éditions Odile Jacob, Paris).

Dans cette optique, les besoins scolaires des apprenants justifient, en soi, les dépenses liées aux modalités de soutien à mettre en place pour leur permettre cette émancipation, elle-même comprise comme un moteur du développement économique. Ainsi, loin de moi l'idée de vouloir soutenir la logique du gouvernement actuel qui réduit l'éducation à un simple exercice comptable. Mais je veux bien me prêter à ce jeu afin de vérifier si l'on en ressort effectivement gagnant financièrement.

En 2003, l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes révèle que 49% des Québécois présentent des difficultés menant à un analphabétisme fonctionnel. Or, il semble qu'une diminution de 1% de l'analphabétisme entraînerait une augmentation de 32 milliards de dollars du PIB canadien.

L'OCDE (2008) propose dix mesures à entreprendre afin de contrer cet analphabétisme, dont trois semblent particulièrement prometteuses, mais menacées par l'austérité: repérer et soutenir rapidement les enfants qui prennent du retard à l'école; renforcer les liens entre l'école et la famille pour aider les parents à soutenir la scolarisation de leur enfant; et offrir les ressources nécessaires aux contextes éducatifs dès la petite enfance. Cela rejoint les études longitudinales dirigées par l'économiste James Heckman mesurant l'impact de l'intervention éducative sur les indices économiques ultérieurs .

Non seulement ces trois mesures coûtent-elles beaucoup moins cher à l'État une fois l'âge adulte atteint, mais encore contribuent-elles à rendre les citoyens plus actifs dans le roulement économique ultérieur en y contribuant pleinement.

Les études de Heckman démontrent qu'il est préférable et plus rentable d'investir en amont sur le plan de l'éducation, plutôt qu'en aval pour contrer les conséquences économiques désastreuses de l'analphabétisme.

Lorsqu'on intervient en aval, les conséquences économiques sont relayées à la prochaine génération au moment de son insertion au travail. Sans diplomation, il y a difficulté à intégrer le marché du travail. Sans intégration au marché du travail, cela implique non seulement des impôts non perçus pour renflouer les coffres de l'État, mais encore des dépenses liées à l'assistance aux personnes sans emploi.

Autrement dit, une économie saine et prospère repose obligatoirement sur un investissement de l'État en éducation dès le jeune âge de l'enfant et tout au long de sa scolarisation. Les mesures actuelles d'austérité doivent ainsi être comprises comme une réelle bombe à retardement qui contribuera à effriter l'économie de demain!

Il s'agit donc de penser où l'on veut investir les milliards: en aval pour contrer les conséquences économiques de l'analphabétisme, ou en amont pour permettre une diminution de l'analphabétisme et récupérer, sinon dépasser avec gain, les sommes investies au préalable dans le système éducatif?

On ne peut que dénoncer vivement les effets pervers des mesures d'austérité entreprises par notre gouvernement qui ne tiennent même plus la route sur le chemin de sa propre logique comptable.

Messieurs les ministres Blais et Couillard, votre logique est un Titanic faisant naufrage! Arrêtez les moteurs de votre austérité et redressez les voiles de l'éducation afin de mener notre jeunesse à bon port!

[1] Les données sont extraites des documents suivants: a- MELS (2009) À la même école. Les élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage, évolution des effectifs et cheminement scolaire à l'école publique, 33 pages; et b-MELS (2010) Rencontre des partenaires en éducation. Document d'appui à la réflexion. Rencontre sur l'intégration des élèves handicapés ou en difficulté, 64 pages.

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