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Mon corps n'est pas une automobile. Ce n'est pas moi qui ai choisi le viol.
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«Sais-tu qu'elle a des daddy issues. C'est pas mal red flag

Ces deux termes ont traversé à mon adolescence. Lorsqu'une fille s'entichait trop vite, trop fort d'un gars, c'était ses daddy issues. Elle avait besoin d'attention, elle manquait de quelque chose, elle devenait une intouchable. On la repoussait. Quelle idée aussi d'avoir eu une enfance malheureuse. D'avoir eu un parent absent. Elle devenait vite un élément trouble, une chose à tenir à distance. Moi aussi je l'utilisais, le terme. Sans réaliser toute l'ampleur de deux mots collés.

C'est récemment que je les aie reconnues, mes daddy issues. Que j'ai réussi à les nommer pour ce qu'elles étaient.

Mon enfance, je l'ai passée dans la colère. Souvent je me retrouvais au milieu d'une frustration dont moi-même je n'arrivais à saisir l'origine. Quelque chose physique. Un dégoût de moi-même. Quand est venu le secondaire, en pleine crise identitaire, j'ai explosé, quelques fois. Je n'arrivai pas à composer une relation saine, je n'arrivai pas à aller vers l'autre. Toujours mes réactions ont été ponctuées d'une certaine colère amère, enfouie - je la sentais au creux de mes poumons, juste en haut de mon ventre. Aujourd'hui ce point mort, j'en ai appris le terme : anxiété. Et chaque minute de ma journée, je la passe à combattre ce nœud. Un certain inconfort je ne savais pas encore nommer.

Lorsque je découvris la sexualité, la vraie, je me traitais moi-même comme un objet. Je me pliais au oui du premier venu, ne me considérais pas assez belle pour charmer, j'usais de pratiques toutes sauf saines. Je croyais que les coups de bassin se devaient de me faire mal. Qu'une main à la gorge était naturelle. Que mon consentement n'était pas si nécessaire que ça. Que l'épanouissement m'était une chose hors de portée. Pas faite pour moi.

Mon corps n'est pas une automobile. Ce n'est pas moi qui ai choisi le viol.

Ce n'est qu'à l'Université que j'ai compris. Que j'ai réussi à identifier, à nommer, que j'ai saisi l'importance de ce que je refoulais. Lorsque je me suis intéressée au féminisme, que je rejetais jusqu'à lors, croyant à tort qu'une femme se devait d'être résiliente et muette. Lorsqu'on m'apprit le terme culture du viol, la notion de consentement, qu'on me parla d'une sexualité saine. Lorsqu'on m'a appris la communication, le partage, l'amour. J'ai compris que je n'étais pas seule. Mais encore, je l'ai refoulé, gardé pour moi, ce nœud, cet aveu, pensant que ça n'intéressait personne, que ça n'allait que créer un malaise. Je ne voulais pas tomber dans la pitié des autres. Ce regard des autres. Ce moment où tout change dans les yeux de celui qui t'observe. Les commentaires, les questions, les silences. Je croyais que ce n'était pas si grave que ça. Que le dénoncer n'apporterait que plus de problèmes. Je l'ai laissé longtemps au fond de mon crâne.

Aujourd'hui, dès que j'ouvre mon cellulaire, le nœud se resserre. Il ne faut qu'un mot, qu'un article. Le témoignage d'une survivante, un billet d'opinion, des statistiques, un procès, des propos tenus par un candidat à la présidence américaine.

Mon agresseur, lui aussi, m'a «grab by the pussy». Deux fois. J'avais neuf ans.

Je n'ai pas choisi mes daddy issues. Ce n'est pas moi qui ai choisi de découvrir, à neuf ans, ce qu'était le sexe, contre mon gré. Je ne savais pas même encore l'évoquer sans pouffer de rire.

Mon corps n'est pas une automobile.

Ce n'est pas moi qui ai choisi le viol.

Personne ne sort dans la rue en minijupe espérant subir une violence verbale. Personne ne désire secrètement se faire reluquer dans la rue par des hommes au double de leur âge. Personne ne veut se faire crier des choses de l'autre côté de la rue. Personne ne choisit le viol. Sauf l'agresseur.

Que le terme culture du viol plaise ou non, je continuerai à me battre pour la reconnaissance de son existence. Que l'on nomme les maux pour ce qu'ils sont. Que l'on divulgue en masse cette souffrance muette qui paralyse les femmes - et affecte les hommes. Qu'on éduque nos enfants, les aider à définir ce qui est un manque de consentement, ou non.

Aujourd'hui, il est trop tard pour dénoncer mon agression - délai de prescription. Je sais qu'il faudra que je redouble d'efforts pour aimer. Pour aimer la vie. Pour pardonner. Pour continuer.

Moi, je choisis l'amour. Je nous crois. On vous croit. Pis fuck les daddy issues.

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