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Immigration en Libye: le fléau post-Kadhafi

Tant que les milices règneront en Libye, les trafics humains perdureront.
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Quelle a été la politique d'immigration de Kadhafi ?

Il y a eu différentes phases. Tout d'abord il y a eu une immigration venant principalement d'Égypte, du Maroc, du Soudan, du Tchad, du Niger et de Tunisie, voire même de la corne de l'Afrique. La Libye manquait de main-d'œuvre, d'enseignants, de médecins... Dans son optique de modernisation, Kadhafi n'a pas hésité à ouvrir ses frontières. Puis durant les années 1990, alors que la Libye était sous embargo, Kadhafi a lancé un appel aux populations africaines et arabes pour venir travailler en Libye. Il supprime alors les visas aux populations sub-saharienne et arabe pour faciliter son projet d'intégration régionale. L'immigration n'est alors pas encore massive et elle est tout de même contrôlée aux frontières.

Les immigrés restaient travailler en Libye ou tentaient leur chance vers l'Europe. Les trafics, les embarcations d'immigrations de Libye vers l'Europe ont alors commencé, au point où l'Italie a demandé l'aide de la Libye. La Libye étant sous embargo et traversant les pires moments de son histoire, Kadhafi n'a alors manifesté aucune volonté de l'assister. «Je ne serai pas le gendarme des frontières européennes», avait-il alors déclaré. Il a ainsi fait pression sur l'Europe pour qu'elle mette fin à l'embargo qui étouffait la Libye.

À partir de 2002, alors que la Libye est entrée dans le processus de la levée de l'embargo, Kadhafi s'est activé. Il a réimposé des visas aux Africains mais pas aux populations des pays arabes. Il a réclamé alors des moyens logistiques, surtout pour le sud, ce qui est resté sans écho auprès de la communauté internationale.

Malgré cela, il procède tout de même à des contrôles au niveau des frontières, tout comme sur les embarcations qui partent à partir des côtes libyennes.

L'Union européenne, l'Italie et l'Allemagne en tête, lui proposent de mettre en place des centres de détention afin de freiner l'immigration, ce que Kadhafi a refusé. L'incompréhension est totale: on le réintégrait sur la scène internationale sans pour autant lui donner les moyens logistiques nécessaires (!). Il ne comprenait pas. L'Italie lui a même versé des fonds pour obtenir sa coopération. Mais sans logistique, cela n'a servi à rien. Kadhafi persiste à dire qu'il ne sera pas «le gendarme des frontières européennes». Il a fallu attendre 2008 pour qu'une réelle coopération se définisse. Un accord a été conclu avec l'Italie, qui lui a enfin fourni des Zodiacs et des vedettes. Avec ces moyens, l'immigration vers l'Europe a pu être réduite à près de 60%.

En 2012, des visas ont été instaurés pour la population arabe, mais sans réelle efficacité. Les frontières non contrôlées ont permis l'arrivée massive d'immigrés. D'autant que les routes classiques de l'immigration ont été modifiées. Les routes des Balkans et de l'Afrique de l'Ouest étant mieux contrôlées, l'immigration s'est rabattue sur la Libye devenue chaotique, sans contrôle.

Quelle est la situation aujourd'hui concernant l'immigration?

Elle est réellement catastrophique. De très nombreux centres de détention ont été ouverts dans de très nombreuses villes de Libye. Mais contrairement à ce que l'on croit, ces centres ne servent pas à canaliser et à maintenir l'immigration, ils servent de transit vers des points de départ vers l'Europe. En cela, des milices, comme celles de Misurata, islamistes, de Zentan ou de Zouara et des tribus du sud (les Toubous et Touarègues) sont complètement impliquées dans ce trafic. Elles se sont organisées en véritable filières. On n'est donc pas confronté à de simples passeurs. Un réel circuit s'est établi. Ce qui est même surprenant, c'est que des milices qui se combattent sur le terrain, s'accordent aujourd'hui parfaitement pour ce trafic.

Comment peut-on résoudre ce problème?

Tant que les milices règneront en Libye, les trafics humains perdureront. Le problème est donc trop complexe pour être réglé par des bombardements, comme certains l'ont proposé, sur des infrastructures, même vides, qui risquent de concerner celles des simple pêcheurs. Seule une force interne armée en Libye pourra réduire le phénomène de l'immigration et, encore, il ne sera pas éradiqué totalement, le problème de l'immigration étant une question régionale complexe.

N'oublions pas que la Libye a été esclavagiste pendant très longtemps. Kadhafi a forcé l'intégration des Africains, notamment dans l'armée, ce qui leur a permis de bénéficier d'une promotion sociale, au grand dam des Libyens. Il leur a même attribué une ville, Tarwargha, qui fut un point de transit au XVIIIe siècle vers l'Europe. Durant la révolte de 2011, on a facilement confondu ces Africains avec des mercenaires, que Kadhafi a tenté de recruté avec plus ou moins de succès. À la fin de la révolte, la ville a été rasée et les Tawarghas ont fait l'objet d'exactions en raison de leur soutien à Kadhafi et de certains délits commis. Leurs chefs se sont excusés et ont demandé le pardon. Mais cela n'a eu aucun effet.

Ce qui est dangereux aujourd'hui, c'est que certains djihadistes s'infiltrent parmi l'immigration embarquée vers l'Europe. Par ailleurs, si l'Europe décidait de pilonner les djihadistes de Ansar al-Charia et de l'organisation État islamique, notamment leur fief à Darna ou à Sirte, les embarcations vont indéniablement affluer. Dans cette hypothèse, l'Europe devra alors être très vigilante.

Une assistance de l'ONU aurait-elle pu éviter le chaos en Libye?

Non. L'armée a été complètement décimée, qu'il s'agisse de celle qui a combattu auprès de Kadhafi ou de celle qui a combattu contre lui. Les islamistes et les milices l'ont pourchassée et le Conseil national de transition (CNT) qui s'est installé au lendemain de la révolte a parachevé le travail, à coup de décrets, en mettant à la retraite les officiers. Sans armée, ni police, on voit mal comment des Casques bleus, par exemple, auraient pu à eux seuls désarmer les milices et gangs, naissants sous Kadhafi, qui ont proliféré dès la révolte et dont le nombre est devenu exponentiel après la révolte.

Kadhafi était-il un rempart contre les islamistes et les radicaux djihadistes?

Comme d'autres pays arabes, il était confronté à l'islamisme et au djihadisme qui a progressé un peu partout et travaillé les mentalités de façon souterraine. Il les a combattus, réprimés. Derna, qui fut un des fiefs des radicaux djihadistes, a été décimé dans les années 1990. Il a été le premier a lancer un mandat d'arrêt international contre Oussama Ben Laden. Puis il a tenté une réconciliation avec les radicaux et djihadistes. À travers celle-ci, pour activer sa réintégration qui était difficile, il est vrai qu'il adressait un message fort aux occidentaux: c'est eux ou moi. Il a tenté aussi un modus vivendi avec les islamistes, à l'instar d'autres pays arabes confrontés à la montée de l'islamisme. Ce qui ne l'a pas empêché de réprimer les plus radicaux de façon féroce au «moindre faux pas». Lors de l'histoire des caricatures en 2006 publiées par le journal danois Jyllands-Posten, des manifestants radicaux ont été tués à Benghazi.

Il faut se rappeler que lors du coup d'État de 1969, l'islam devient religion d'État. Un islam très modéré, couplé à des lois civiles, est alors appliqué. C'était ce qu'il appelait un «socialisme-coranique». À partir de la fin des années 1970, la référence disparaît puisque la constitution est abolie. Ce qui fut dommageable, et un facteur de confusion. Une tentative de rétablissement de la constitution fut alors entamée par son fils Saïf al-Islam Kadhafi à la fin des années 2000.

Kadhafi ne souhaitait pas une instrumentalisation politique de la religion et son application exclusive et radicale. Ce sont des nuances très importantes qui ont conditionnées la population. Son concept tendait d'ailleurs vers une pratique de la religion de façon individuelle. Il était en cela même progressiste face au conservatisme religieux de la société, qui n'a rien à voir avec l'islamisme, lequel est tout de même resté minoritaire en Libye.

Où en est le dialogue?

Il y a eu une nette progression dans la mesure où un grand nombre de députés qui ont boycotté le Parlement légitime de Tobrouk ont réintégré leur siège. Le jeu de certains chefs de milices radicaux qui encadrent les députés dialoguistes, côté Tripoli, minent toutefois le dialogue. Quand Bernadino Léon, émissaire de l'ONU, parvient à décrocher un accord général, même sur la formation d'un gouvernement d'unité nationale, des chefs de milices radicaux ramènent le dialogue au point de départ. Il y a vraiment une course contre la montre de part et d'autre. Car le mandat du parlement de Tobrouk va prendre fin au mois d'octobre 2015. Il faudra alors procéder à des élections si Tripoli, dont le mandat n'est pas défini, le veut bien... et cela ce n'est pas gagné.

Et sur le terrain?

L'armée nationale avance et est très proche de Tripoli, à 15 kilomètres. Les combats vont d'ailleurs d'ici peu prendre une dimension plus importante. Des fissures existent du côté des milices de Misurata. Leur profondeur dépendra de l'avancée de l'armée nationale.

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Avril 2018

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