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L'islam au risque de la réforme: le poids des idéologies

Les principaux animateurs du "Projet de Réforme de l'islam de la Fondation Al-Kawakibi" ont appris à leurs dépens qu'il n'est ni simple ni dénué de tout risque de vouloir s'engager dans une voie parsemée d'embûches.
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Depuis au moins trois ans, nous analysons méticuleusement les mobilisations virtuelles d'acteurs du champ islamique, notamment français, qui, par leurs discours, produisent des effets remarquables dans la réalité sociale, dans la mesure où ils provoquent des mises en cause particulièrement vives de personnes ou de groupes, y compris musulmanes, réelles ou supposées. Pour autant, il ne s'agit certainement pas de surestimer un tel phénomène, ni cependant de le sous-estimer. Un moyen terme ou une voie médiane entre ces deux extrémités est en fait possible : l'analyse discursive la plus fine et la plus contextualisée possible des expressions de l'islam militant, en identifiant rigoureusement ses entrepreneurs privilégiés. Si l'islamophobie, entendue comme racialisation et essentialisation de l'Autre en raison d'une appartenance réelle ou supposée à l'islam (1), est bien réelle, la lutte contre ce phénomène aigu de discrimination se transforme quelquefois concurremment en une ressource victimaire, destinée à museler la parole critique des observateurs travaillant sur le fait islamique ; d'ailleurs, par une espèce de retournement, certains des entrepreneurs en question procèdent exactement de la manière que les islamophobes qu'ils mettent en cause : la racialisation et l'essentialisation qui sont l'avers et le revers de la pièce. L'une des façons de vérifier l'acceptabilité de ce propos liminaire est de prendre appui sur la question de la réforme de l'islam. Voyons cela de plus près.

Réformer l'islam, ou vouloir le réformer tout du moins, suppose, outre du courage, d'accepter d'une part, d'être a priori ouvert sur tous les horizons de possible en matière de réflexion critique sur les sources scripturaires, dès lors qu'une telle entreprise ne s'emploie pas à saper la liberté de conscience de ceux qui voudraient continuer de penser autrement, et d'autre part, accepter d'être minoritaire parmi les siens. Les principaux animateurs du "Projet de Réforme de l'islam de la Fondation Al-Kawakibi" ont appris à leurs dépens qu'il n'est ni simple ni dénué de tout risque de vouloir s'engager dans une voie parsemée d'embûches : la réforme d'une religion, l'islam sunnite en l'occurrence, qui, bien qu'officiellement dénuée de clergé, fait l'objet de velléités monopolistiques et exclusivistes permanentes de la part d'acteurs individuels et/ou collectifs partout dans le monde. Prendre l'initiative de réformer, c'est également admettre, in fine, qu'il n'est plus de vérités absolues, mais des vérités relatives d'hommes ontologiquement frappés de finitude.

Si l'imam Mohamed Bajrafil, l'une des figures importantes du projet, en compagnie de Felix Marquardt, Omero Marongiu-Perria, Adnan Ibrahim et Ghaleb Bencheikh, s'est retiré, on peut y voir à cela des raisons à la fois d'ordre interne et d'ordre externe. Qu'est-ce à dire ? Pour ce qui est des raisons internes, il est fort probable que ce que met M. Bajrafil sous le vocable "réforme" ne correspond sans doute pas vraiment à ce qu'y mettent eux-mêmes O. Marongiu-Perria, F. Marquardt, Adnan Ibrahim ou bien encore Ghaleb Bencheikh. Citons quelques exemples pêle-mêle des discordances majeures qui existent en puissance, à notre sens, entre tous ces acteurs aux positions, me semble-t-il, inconciliables : quel statut accorder au thawâbit (les immuables) ? Que comprennent-ils au juste ? Le foulard est-il, à cet égard, une prescription coranique oui ou non ? Un musulman culturel, non observant, a-t-il droit au Salut ?, etc. Pour ce qui est des raisons d'ordre externe, le retrait est à n'en pas douter à corréler à deux types d'événements récents : premièrement, les attaques répétées, dont ont fait l'objet les initiateurs du projet en question, de la part d'acteurs sociaux multi-situés qui se coordonnent et se déchaînent régulièrement sur la Toile pour traquer, avec une virulence extrême rare et des sommations excommunicatrices qui ne disent pas leur nom, toute voix d'un islam discordant d'avec le leur ; deuxièmement, la soirée de lancement du projet de réforme, le 21 avril 2015, a très récemment été qualifiée de "conférences d'apostats" par un journal de Daech édité en langue française. L'ensemble des acteurs sociaux, autoproclamés chefs religieux sur le Net sans user pourtant de l'expression proprement dite, n'a pas estimé de son devoir moral d'exprimer des regrets ou des excuses pour une chasse aux sorcières que tous ceux-là ont pourtant savamment orchestrée depuis des semaines. Ils ne pourront désormais plus dire qu'ils ne savaient pas.

Cf. Abdellali Hajjat, Marwan Mohammed, islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La découverte, 2013.

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