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La France face à la violence totale de Daech

ATTENTATS - Pour qui s'intéresse aux publications de Daech, ce qui s'est déroulé à Paris vendredi dernier n'est pas du tout une surprise...
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ATTENTATS - De terribles attentats ont frappé la capitale française vendredi 13 novembre. Le bilan est extrêmement coûteux en vies humaines puisque l'on dénombre à ce jour 129 victimes et plus de 350 blessés. C'est un carnage qui suscite effroi et tristesse profonde, mais aussi interrogations inquiètes, lesquelles ne doivent pas empêcher la lucidité. En effet, rien ne semble pouvoir arrêter la mécanique hautement mortifère déployée par des activistes prêts à tout pour aller au bout d'une idéologie dont le nihilisme le dispute à la folle conviction de détenir une vérité absolue qui devrait s'imposer à toutes et à tous par n'importe quel instrument létal. Clairement, chez ceux-là se manifeste, à l'état paroxystique, une sacralisation de la mort, une désacralisation de la vie et une déshumanisation de l'Autre.

Nous pensions être arrivés au fond du trou avec les attentats de janvier dernier, il n'en a hélas rien été. Le modus operandi des assassins est inédit en France dans la mesure où des ceintures d'explosifs ont été activées par les assaillants ; cette méthode est d'ordinaire employée et affectionnée par les radicaux de l'islam évoluant en contexte majoritairement musulman. C'est donc à une gradation dans l'horreur à laquelle nous faisons face, parce qu'il s'agit d'individus que la mort apparemment n'effraie pas, qui cultivent une absolue détestation de la vie, et qui, de surcroît, sont décidés à faire le plus grand nombre de victimes possibles sur leur passage, et ce, indistinctement. C'est précisément la seconde nouveauté qu'il s'agit de pointer : en effet, en tuant des personnes attablées à une terrasse de café, en assassinant froidement des passants dans la rue, en tirant dans une foule rassemblée dans une salle de spectacle, c'est l'humanité qui est visée en son ipséité. Ce qui s'est passé est-il véritablement une surprise et quelles explications, qui paraissent ce jour tellement indécentes en ces instants de grande déréliction, peut-on modestement essayer de formuler ?

L'hypothèse explicative centrale, qui est au fond double, que nous énonçons, est la suivante : premièrement, l'internationalisation des conflits du Moyen-Orient, en particulier en Syrie et en Irak, les phénomènes identificatoires que celle-ci produit chez un certain nombre d'individus, est instrumentalisée à plein par les activistes musulmans les plus violents, qui utilisent ce prétexte pour en découdre avec l'Occident en général et la France en particulier, précisément engagée dans une lutte armée contre des organisations politico-religieuses radicales, à l'instar de l'État islamique. Deuxièmement, les théologiens musulmans sunnites les plus en vue du champ islamique mondial sont incapables, ou dans l'incapacité, à produire un contre-discours aussi efficace qu'efficient, compte tenu des ambiguïtés qu'eux-mêmes entretiennent au sujet de la violence sous toutes ses formes. Daech se nourrit aussi de la désertification et des atermoiements théologiques du magistère sunnite, en plus d'exploiter les dérèglements de la scène politique internationale. Il faut tenir ensemble les deux bouts de la chaîne si l'explication veut être convaincante.

Pour qui s'intéresse aux publications de Daech, ce qui s'est déroulé à Paris vendredi dernier n'est pas du tout une surprise ; il est la réalisation d'une promesse faite auparavant. En effet, dans sa livraison numéro 2 de la brochure Dar al-Islam parue au début de l'année 2015, au titre sans ambages, Qu'Allah maudisse la France, les propagandistes de l'organisation soulignent qu'Amédy Coulibaly, auteur de la prise d'otages et des assassinats dans l'hyper casher Porte-de-Vincennes, est un "exemple à suivre". Voici ce qu'on peut, par ailleurs, y lire :

"Celui qui est nommé mécréant, ses biens sont licites pour les musulmans et son sang peut être versé, son sang est le sang du chien, pas de péché à le verser, et pas du prix de sang à payer (...) Vas-tu laisser le mécréant dormir tranquille dans sa maison pendant que les femmes des musulmans et leurs enfants tremblent de peur, effrayés par le bruit des avions croisés au-dessus de leur tête nuit et jour ? Comment peux-tu supporter la vie et arriver à dormir ? (...) Et le mieux que tu puisses faire, c'est faire tous les efforts pour tuer n'importe quel mécréant français ou américain ou n'importe quel mécréant parmi leurs alliés" (p. 6).

Encore plus révélateur de la haine à l'égard de la France, Daech indique, une fois de plus, très explicitement page 10 : "Quelques jours seulement après les attentats bénis du frère Aboû Bâsir (qu'Allâh l'accepte parmi les martyrs) le parlement français a voté à l'unanimité la prolongation des frappes contre le Califat s'exposant donc à d'autres attentats sur le sol national". Ces menaces ont été mises à exécution de la manière la plus horrifique qui soit.

À mon sens, parler de "guerre", pour signifier la nécessité de combattre Daech, correspond à une grammaire, qui peut avoir quelques vertus dans la communication politique, mais qui n'en demeure pas moins obsolète, étant donné la géographie des relations internationales qui prévaut depuis la fin des années 1990, avec la fin du monde bipolaire. Je renvoie, à cet égard, aux excellents travaux de mon collègue Bertrand Badie. En effet, l'organisation radicale en question est tout au plus un proto-État, certes mieux organisé que al-Qaïda, qui n'a pas d'armée régulière si ce n'est des capacités logistiques plus importantes que ses concurrents "djihadistes" ; c'est par conséquent un type de conflit asymétrique que livre notre pays ; Daech utilise des moyens non conventionnels et joue à fond la carte de "la nuisance" maximale.

Enfin, il est un piège qui nous est tendu par ce mouvement radical : mettre à mal les principes démocratiques en amenant le pouvoir à réagir par une restriction des libertés publiques dont chacun de nous pourrait payer le prix, avec des résultats loin d'être forcément sûrs, puisque "la violence totale" (que je préfère au terme terrorisme), précisément, peut être partout et nulle part. Ceci peut à juste titre accroître nos angoisses. Gare également aux amalgames douteux qui assimileraient tout musulman en complice objectif d'agents de déshumanisation.

Gardons aussi confiance en les capacités de solidarité nationale et de sursaut collectif face aux semeurs de haine et de mort.

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