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On m’avait dit que je ne passerais pas ma 6e année

À ceux qui veulent mettre tous les élèves avec handicap dans des classes spéciales, je leur dirai qu’elle est tout sauf une solution miracle: moi, j'ai vu ce transfert comme un abandon de mes capacités.
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C’est en 2000 que ma mère m’a emmené pour une énième fois chez un professionnel de la santé: un neurologue. Ce dernier affirma que selon le dernier constat du psychologue, j’avais un retard mental d’un an et que ce serait un miracle si je passe ma 6e année.
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C’est en 2000 que ma mère m’a emmené pour une énième fois chez un professionnel de la santé: un neurologue. Ce dernier affirma que selon le dernier constat du psychologue, j’avais un retard mental d’un an et que ce serait un miracle si je passe ma 6e année.

En 2000, j'avais cinq ans. J'avais seulement cinq ans et je détenais un dossier médical pouvant rivaliser d'épaisseur avec l'œuvre complète de Dostoïevski.

C'est en 2000 que ma mère m'a emmené pour une énième fois chez un professionnel de la santé: un neurologue. Ce dernier affirma que d'après le dernier constat du psychologue, j'avais un retard mental d'un an et que ce serait un miracle si je passe ma 6e année.

À partir de ce moment, on m'a souvent répété que j'aurais toujours à travailler plus fort que tout le monde dans mon entourage pour accomplir les tâches que les autres considèrent comme «faciles». C'était en 2000. Je n'étais qu'un enfant. Je pris éventuellement du mieux, mais, à mon entrée au primaire, les problèmes ont continué. Même que je me souviens très bien qu'on m'avait amené, au cours de ma deuxième année, dans une classe spéciale. J'y suis resté un après-midi.

Plus tard, on s'est rendu compte que j'avais un syndrome d'Asperger combiné à un TDAH.

Lorsque je suis retournée chez mes parents, j'ai demandé expressément de ne jamais remettre les pieds dans cet endroit. Plus tard, on s'est rendu compte que j'avais un syndrome d'Asperger combiné à un TDAH. J'ai fait toute ma scolarité dans des classes régulières. Ce fut, à certains moments, certains des combats les plus difficiles que j'ai eus à mener, mais, aujourd'hui, je l'ai passée, ma 6e année. J'ai même obtenu un DEC en cinéma. J'ai terminé mon Baccalauréat en théâtre. En plus, je suis rendu à la maîtrise en théâtre à l'Université d'Ottawa. Je vis en appartement avec ma fiancée à Ottawa.

Maintenant que les présentations sont faites, il est temps d'en venir à l'objet de ce texte.

J'ai lu la lettre d'opinion de Julien Prud'homme De part et d'autre de la classe spéciale où il disserte sur la classe spéciale au Québec. Dans cet écrit, Prud'homme fait trois constats sous forme de leçons. Premièrement, il constate que les classes régulières se vident de ses élèves forts qui vont dans les services privés. Deuxièmement, il note l'absurdité des transferts automatiques vers les classes spéciales d'enfants handicapés ou avec difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (HDAA) ayant pourtant fait toute leur scolarité au régulier. Troisièmement, il propose de rendre l'accès au sport ou à l'art plus accessible à ces HDAA.

Je suis seulement l'un de ces cas qui semblaient désespérés, mais qui s'en est relativement bien sorti au régulier.

Cela dit, je ne suis pas un spécialiste de l'éducation, ni un parent ni un professeur, par ailleurs. Je suis seulement l'un de ces cas qui semblaient désespérés, mais qui s'en est relativement bien sorti au régulier. Donc, à défaut d'avoir la prétention de pouvoir ajouter aux mots de Prud'homme, je souhaite néanmoins souligner l'importance de ces trois constats par un témoignage de ce que j'ai pu vivre dans le système d'éducation québécois.

Avant toute chose, je tiens à dire que j'ai commencé mon primaire en 2000, ce qui fait que je suis arrivé au cégep en 2012. Il faut donc prendre conscience que les mentalités et les politiques envers les personnes en difficulté d'apprentissage ont changé.

À ce moment, il y avait, en gros, trois grandes catégories pour les personnes handicapées, soit les déficiences motrices légères ou organiques ou déficiences langagières; les déficiences intellectuelles moyennes, sévères et profondes ou troubles sévères du développement et les déficiences physiques graves.

Avec mon diagnostic, j'ai été mis dans la deuxième catégorie. Un lien peut déjà être fait entre cette catégorisation et la deuxième leçon de Prud'homme, soit celle à propos de l'exclusion des enfants HDAA fonctionnels au régulier. J'ai été mis à cette catégorie à ma deuxième année du primaire. À cet âge, je voulais seulement ressembler à tous les autres enfants; je faisais partie du régulier depuis toujours.

J'avais des comportements qui détonnaient du reste de ma classe et j'accumulais quelques retards d'apprentissage, mais j'étais encore fonctionnel. À cet âge, je voyais ce transfert en classe spéciale comme un vrai abandon de mes capacités.

J'ai travaillé d'arrache-pied pendant des années. J'en faisais des cauchemars, les nuits que j'arrivai à dormir. J'ai même dû me médicamenter pour baisser mon anxiété causée par mes angoisses de performance. Je commence tout juste à me permettre de penser que je n'ai plus rien à prouver à quiconque et que je mérite ma place dans la société régulière.

Cependant, je remercie le ciel chaque jour d'avoir eu tous mes professeurs, qui ont cru en moi malgré tout. Or, il arriva un moment où ce n'était plus assez. Quelques années après mon diagnostic, la direction de mon école primaire informa ma mère que je ne pouvais plus obtenir de soutien pédagogique. Il n'y avait plus d'intervenants pour me guider.

Une chance que mes parents ont pu se débrouiller pour me trouver du soutien au privé. Je ne sais pas si ça aurait pu être possible pour moi de passer mon primaire sans cet aide du privé.

Ce manque de personnel qualifié nous ramène à la première leçon de Prud'homme, à propos de l'envoi des gens au privé pour désengorger les écoles publiques. Finalement, pour le troisième constat, je peux simplement dire que l'art est ce qui m'a permis d'apprendre à m'ouvrir aux autres. C'est en m'exprimant à travers l'art que j'ai appris à sortir de ma tête.

J'écris simplement ces quelques lignes comme un témoignage pour, peut-être, mettre enfin un visage à ces enfants HDAA.

À ceux qui veulent mettre tous les élèves avec handicap dans des classes spéciales, je leur dirai qu'elle est tout sauf une solution miracle. Bien sûr, pour certains enfants, elle peut être l'alternative de choix.

Cependant, il serait imprudent d'appliquer cette logique à l'ensemble des élèves HDAA. Encore plus que d'être envoyé en classe spéciale, les enfants ont besoin d'être écoutés, de se sentir acceptés par leurs pairs. À ces parents avec des enfants en difficulté, je ne vous dirai que ce conseil de ma mère: «Faites confiance à ces enfants. Ils vous surprendront plus souvent que vous le croyez».

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