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Du Liechtenstein au Panama: l'âge de la fuite

Les «Panama Papers» ne sont qu'un autre chapitre d'une série de fuites au cours des huit dernières années, qui nous ont permis d'en apprendre davantage sur le fonctionnement et l'ampleur des paradis fiscaux.
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Quatrième de six textes sur le Canada et la question des paradis fiscaux

En avril dernier, le Consortium international des journalistes d'investigation a dévoilé au grand jour le scandale des « Panama Papers », une base de données de plus 11,5 millions de documents, qui ont fait l'objet d'une fuite, provenant de la firme juridique panaméenne Mossack Fonseca qui se spécialise dans l'établissement de sociétés-écrans et de comptes bancaires dans les paradis fiscaux.

Cette fuite a permis d'identifier 200 000 entités offshore, provenant de plus de 200 pays incluant le Canada. Plusieurs Canadiens se retrouvent d'ailleurs parmi les noms figurant dans ces documents, incluant la Banque Royale du Canada (RBC), qui a référé plus de 370 clients à la firme panaméenne.

L'Agence du revenu du Canada dit avoir obtenu les données ayant fait l'objet de cette fuite et aurait commencé à comparer ces informations avec leurs données. Or, depuis la fuite des « Panama Papers », c'est le silence radio à l'ARC. Plusieurs questions doivent être posées : nous savons que 350 Canadiens sont impliqués, mais combien sont actuellement sous enquête ? Pour quelles irrégularités sont-ils sous enquête ? Des pénalités seront-elles imposées ? Seront-ils poursuivis au criminel ?

Le silence radio de l'ARC est inquiétant et devient du même coup, le cœur même du problème. Non seulement n'avons-nous pas de réponse à ces questions, mais si l'Agence du revenu du Canada ne modifie pas son approche, il est plus que probable que nous ne le sachions jamais.

Malheureusement, les « Panama Papers » ne sont qu'un autre chapitre d'une série de fuites au cours des huit dernières années, qui nous ont permis d'en apprendre davantage sur le fonctionnement et l'ampleur des paradis fiscaux.

2007 - Banque LGT du Liechtenstein

Plus de 5 800 comptes de cette banque du Liechtenstein (où règne le secret bancaire) ont fait l'objet d'une fuite, dont 106 comptes appartenant à des Canadiens. L'ARC affirme avoir trouvé un total de 22,4 millions $ en impôts dus, et qu'elle en aurait récupéré seulement 8 millions $. Le processus a pris six ans à compléter.

2008 - Banque UBS AG de la Suisse

Une fuite a mis à jour de l'information sur un total de 4 450 comptes de cette institution suisse, mais à ce jour, le nombre de Canadiens impliqués est toujours inconnu. L'ARC affirme qu'elle a trouvé 87 millions $ en revenus non déclarés, mais n'a jamais révélé publiquement si elle avait récupéré les sommes dues.

2009 - Banque HSBC de la Suisse

Une autre fuite a fourni de l'information sur environ 25 000 comptes, dont 1 785 étaient détenus par des Canadiens. L'ARC affirme avoir trouvé un total de 38 millions $ en impôts dus, dont elle aurait récupéré 18 millions $. Une bonne partie de ce remboursement provient de la divulgation volontaire. La divulgation volontaire est un système où les fautifs déclarent leurs actifs à l'Agence garantissant une amnistie ce qui bloque toute poursuite judiciaire potentielle à ce jour, 208 divulgations ont été effectuées et l'ARC a dévoilé que ces comptes abritaient 90 millions $ en revenus non déclarés.

2013 - Consortium international des journalistes d'enquête

Le Consortium international des journalistes d'investigation a mis la main sur 2,5 millions de fichiers, contenant de l'information sur plus 130 000 personnes et dix paradis fiscaux à travers le monde. Environ 550 Canadiens figurent dans ces fichiers, incluant le conjoint de la sénatrice canadienne Pana Merchant. Malgré l'importance de la fuite, nous n'avons aucune idée des sommes impliquées ni du montant recueilli en impôts sur les sommes non déclarées.

2015 - KPMG et l'île de Man

KPMG a concocté un plan visant à créer des sociétés-écrans dans ce territoire britannique et a mis en œuvre 16 plans impliquant 25 Canadiens qui ont fait des « dons » non imposables à ces sociétés-écrans. Il a été démontré que ces compagnies ne produisaient rien et n'offraient aucun service. Mais elles ont graduellement redonné ces sommes à ces individus. L'ARC a offert des règlements sans pénalités à ceux qui ont bénéficié de ce mécanisme. KPMG ne sera pas poursuivie et tente même, par l'intermédiaire de la Cour de l'impôt du Canada, de légitimer ce stratagème.

Que s'est-il passé dans ces cas ? Nous n'avons récupéré qu'une petite partie des impôts qui n'avaient pas été payés, mais aucune poursuite n'a été intentée.

Comme l'expert en matière fiscale Arthur Cockfield l'a déploré dans le Globe and Mail lors d'un article publié le 5 mai 2016

«Au meilleur de notre connaissance, l'ARC n'a pas réussi à faire aboutir une seule poursuite criminelle pour évasion fiscale internationale dans les dix dernières années. (...). Ces cas ont pu avoir une dimension internationale, comme le maintien d'actifs offshore, mais le recours aux tribunaux était basé sur des illégalités au Canada et non pour le crime d'évasion fiscale offshore.

L'ARC est possiblement l'agence fiscale la plus efficace au monde... si votre argent se trouve au Canada. Que se passe-t-il si vous trichez à l'étranger ? Grâce aux machinations alléguées de KPMG visant à abriter de l'impôt l'argent de quelques Canadiens bien nantis, nous le savons : l'ARC ne fera que vous demandez de rembourser l'impôt dû et une modeste pénalité.»

De fait, CBC/Radio-Canada a révélé que malgré l'affirmation du gouvernement prétendant qu'elle avait réussi à obtenir 44 condamnations pour de l'évasion fiscale criminelle impliquant des paradis fiscaux entre 2006 et 2012, seulement 8 des 25 noms publiés par l'ARC impliquaient des actifs cachés dans des juridictions étrangères (deux de ces cas sont plutôt liés directement à une enquête québécoise du crime organisé).

Tant et aussi longtemps que nous n'utiliserons pas le bâton des poursuites criminelles pour ceux qui commettent de l'évasion fiscale ou ceux qui la facilitent, la carotte de la divulgation volontaire laissera un goût amer aux Canadiens.

Après tout, l'iniquité et l'injustice n'ont jamais eu bon goût.

DU MÊME AUTEUR

> Première partie - Les paradis fiscaux et la menace à la démocratie moderne

>Deuxième partie - KPMG, l'Île de Man et l'impuissance du Parlement

>Troisième partie - Les traités fiscaux: de la double imposition à la non-imposition

À SUIVRE

>Cinquième partie - L'Agence de revenu du Canada : De chien de garde à complice

>Sixième partie - Que faire maintenant ? Un remède à l'impuissance du Parlement

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