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L'EIIL : qu'est-ce que l'histoire afghane a à nous dire?

Est-ce qu'intervenir contre l'EIIL est une option envisageable? Certainement. La vraie question est plutôt de savoir quelle est la façon la plus intelligente de le faire pour éviter un deuxième fiasco irakien ou une copie conforme de l'insurrection encore chaude en Afghanistan.
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L'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), ou comme nous devrions maintenant l'appeler, l'État islamique (tout simplement), fait les manchettes depuis plusieurs semaines. Ce groupe a retiré les indicatifs nationaux de son nom puisqu'il a maintenant déclaré un califat islamique sur ses régions contrôlées, et Abou Bakr al-Baghdadi en est devenu le grand maître.

Aussi atroce qu'il puisse être, ce groupe a réussi une prouesse des plus complexes : il a rallié la planète contre lui. L'Iran fait maintenant voler ses drones au-dessus de l'Irak pour surveiller les lieux sacrés chiites pendant que les stratèges américains appuient les généraux à Bagdad et que les Russes appuient ouvertement les forces de sécurité nationale avec leurs chasseurs. Si plusieurs constatent l'immobilisme de l'ONU depuis longtemps, d'autres sont tout simplement des grands déçus de l'Organisation depuis le cas libyen. En plus, les grands amoureux des Nations Unies sont plutôt silencieux depuis les vétos russes contre toute action en Syrie et l'inexistence d'intérêt par tous envers la situation en Centrafrique. On peut dire que la popularité de cette grande messe universelle est à son plus bas. Pourtant, s'il y a un moment où les Grands gagneraient à discuter et s'entendre, c'est maintenant. Il y a fort à parier qu'en cas d'échec de l'offensive irakienne sur les jihadistes de l'EIIL au nord, les régimes du Moyen-Orient et leurs partisans vont devoir trouver une solution sérieuse et durable à ce désastre humain.

Je ne peux prédire qui sera à la grande table ce jour-là. Cependant, je peux adresser quelques conseils à ces derniers: n'oubliez pas l'histoire, aussi récente qu'elle soit. Sans faire de comparaisons hasardeuses ou de raccourcis intellectuels, nous devrions analyser comme il se doit le cas afghan de 1985 à aujourd'hui avant de prendre quelques décisions que ce soit. Sur ce point, j'aimerais relever certains éléments qui me semblent non négligeables.

D'abord, les réseaux secrets et la lutte de l'ombre n'ont pas consolidé à jamais leur efficacité avec la résistance afghane contre les Russes de 1979 à 1989 et la chute de l'Union Soviétique qui en a suivi. Les jeux cachés des États-Unis, croisés à ceux des pays du Golfe (notamment l'Arabie Saoudite), entremêlés aux intérêts Pakistanais, ont bien repoussé l'envahisseur, mais à quel prix? Les canaux officieux sont efficaces et rapides, mais je ne crois pas que les guerres secrètes seront utiles dans le cas irakien. On le voit bien, même ouvertement, les grandes puissances ont tout le mal du monde à se coordonner pour appuyer l'Irak. Imaginez si chacun, pour ses propres intérêts, décide de privilégier la diplomatie de l'ombre et les alliances clandestines. Elles sont présentes, il ne faut pas se leurrer, mais les manigances saoudiennes pour appuyer les groupes sunnites et les soldats d'élite iraniens et leur recrutement d'hommes envoyés en cachette aux côtés des milices chiites n'ont pas lieu d'être. La transparence et les intérêts nationaux irakiens devraient être les seules lignes directrices des manœuvres étrangères, sans quoi le résultat sera difficilement contrôlable.

Ensuite, on doit se demander s'il serait bon de rester frileux sur le dossier et de s'insérer dans le sillon américain actuel qui se résume à «dégageons du Moyen-Orient!». Il est probable, si chacun se campe dans sa position, que l'EIIL s'installe, s'implante et s'organise encore plus qu'il l'est présentement. L'autoproclamation d'al-Baghdadi comme commandant des Croyants me rappelle drôlement celle faite par le Mollah Omar à Kandahar en avril 1996. Vous connaissez la suite...

Nous avons maintenant une meilleure idée de ce qui arrive à ceux qui tombent sous le joug des jihadistes quand ces derniers contrôlent un territoire, les talibans bien sûr ont donné le pas en 1996, puis le nord du Mali en a aussi fait la preuve. À ce sujet, The Economist se lançait dans un parallèle entre les deux situations en titrant son numéro de janvier 2013 «Afrighanistan» et en se demandant si on assistait vraiment à son établissement. Il est justifiable de se poser la même question avec le nord de l'Irak. Veut-on vraiment une version plus moderne dans ses tactiques, mais plus fondamentale dans l'application de ses idées que les talibans afghans? La question est légitime.

Pour en rester sur la comparaison entre les deux pays, l'Irak et l'Afghanistan, je voudrais soulever une autre de mes profondes inquiétudes. Pour combattre les Soviétiques en Afghanistan, tous les moyens étaient bons. Tout en supportant les résistants afghans, nous avions peu d'intérêt à porter à tous ces Arabes qui foulaient Peshawar et ses environs pour combattre sur la frontière afghano-pakistanaise le «Satan rouge» dans un jihad dit «défensif». Cette négligence nous a coûté cher, très cher. Septembre 2001, toujours frais dans vos mémoires?

Al-Qaïda est né de ce mouvement de combattants étrangers en sols afghans. Heureusement, la mémoire de plusieurs reste bien active quand on parle de ces soldats en Syrie qui se joignent à l'insurrection contre le régime d'al-Assad depuis deux ans. La peur de l'apparition d'une nébuleuse mondiale ou de ces soi-disant «loups solitaires» agitent les politiques et les services de renseignement. On ne veut pas que nos citoyens partent là-bas et en reviennent, avec raison. Certains pays de la région commencent aussi à mesurer l'ampleur de l'enjeu. La Tunisie par exemple, avec un contingent d'environ 2400 hommes en Syrie, tente de contrôler ce fléau qui alimente les tensions nationales. Ce que beaucoup de gens oublient par contre, c'est que l'EIIL, ce groupe le plus radical du conflit syrien, s'accapare près de 80% de ces combattants étrangers puisque les groupes plus séculaires ou locaux voient d'un mauvais œil l'arrivée de ces hommes. Par défaut, ils se retrouvent aux mains des plus fanatiques. Les chefs d'al-Baghdadi sont extrêmement actifs dans le recrutement près de la frontière turque, et n'importe qui peut se joindre à leurs rangs, sans distinction d'expérience ou de nationalité, pourvu qu'il plaide allégeance au nouveau Calife et qu'il ne tente pas de quitter les rangs. Encore une fois, si on laisse ces jihadistes agir en toute impunité, les conséquences seront désastreuses et la possibilité d'une nouvelle montée en puissance d'un groupe terroriste international est bien présente. On doit se rappeler ces talibans et leurs frères qaidistes pour comprendre l'urgence de stopper le recruteur actuel numéro un de combattants étrangers.

Le dernier comparatif que je veux faire entre la situation syrio-irakienne et l'Afghanistan des talibans est celui des réfugiés. Le paysage afghan et ses voisins demeurent, encore aujourd'hui, la plus grande terre de réfugiés au monde. Même si d'autres problèmes en représentent certaines causes, la montée en puissance des Talibans a créé un désordre démographique sans précédent dans la région, et elle en paye encore les frais à ce jour. Avec une Jordanie déjà à bout de souffle, une Turquie qui ne sait plus comment gérer les camps de réfugiés et un Liban au bord de la guerre civile, si on laisse ces jihadistes assassiner et chasser en Irak et en Syrie tout signe de vie sans discernement autre que la confession, on court au même genre de scénario catastrophe. La région et la soi-disant Communauté internationale ne peuvent pas supporter ce fardeau de réfugiés, déjà bien lourd.

La barbarie des troupes de ce nouvel État islamique est sans précédent. En se ressourçant dans un conflit confessionnel déjà bien ancré, dans l'impopularité du gouvernement irakien et dans la porosité d'une frontière maintenant sous leur contrôle, ce groupe de combattants de l'Islam est prêt à tout pour arriver à ses fins et établir un royaume islamique puritain. En se souvenant de l'Afghanistan, on doit se conscientiser aux conséquences d'un laisser-faire mondial.

On ne peut toutefois se souvenir de l'histoire moderne afghane sans s'arrêter sur les erreurs qui ont été répétées dans la dernière décennie pour contrer ce désordre. Erreurs qui coûtent cher encore à ce jour. Une action militaire devrait aussi les considérer.

Est-ce qu'intervenir contre l'EIIL est une option envisageable? Certainement. La vraie question est plutôt de savoir quelle est la façon la plus intelligente de le faire pour éviter un deuxième fiasco irakien ou une copie conforme de l'insurrection encore chaude en Afghanistan. Est-ce qu'il s'agit de mettre de côté ses propres intérêts, de s'allier et s'entraider pour mettre fin à un chaos politique à Bagdad et à une guerre civile inhumaine en Syrie? Tout en s'investissant à fond pour démontrer à ces jihadistes que l'Homme du 21e siècle ne crucifix plus, n'ampute plus au nom d'Allah et ne redéfinit pas toutes les frontières selon des concepts divins discutables? Les Grands à la table auront le dernier mot. En espérant que l'Histoire y siègera.

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