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Le coq allégorique de St-Victor

Si l'on s'en tient à une lecture de premier degré,illustre effectivement la société traditionnelle de manière très caricaturée. Les rôles de l'homme et de la femme sont clairement différenciés, et l'homme est présenté comme le «bon père de famille». Mais cette caricature pose des questions toujours d'actualité.
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Inspiré du livre pour enfants, Le Coq de San Vito de Johanne Mercier, Le Coq de St-Victor est un long-métrage produit au Québec par Productions 10e ave. Mettant en vedette les voix de Guy Jodoin, Anne Dorval, Guy Nadon, Mariloup Wolfe, Alexis Martin, Gaston Lepage, Paul Ahmarani, Luc Guérin, Jeff Boudreault, Martin Drainville, Noémie Yelle et Raymonde Gagnier, ce dessin animé réalisé par Pierre Greco saura plaire différemment aux petits et grands.

L'histoire se déroule dans le village de St-Victor, une petite municipalité située en pleine nature (soit dit en passant, la municipalité de Saint-Victor existe bel et bien au Québec, en Chaudière-Appalaches). Dans ce village, les gens travaillent fort le jour et aiment dormir la nuit. Tout le monde suit un même cycle de vie, et chaque citoyen a un rôle précis à jouer dans cette société. Parmi les principaux protagonistes, il y a Florence la boulangère, Antonio l'épicier, le docteur Milot, Thomassin l'ébéniste, Bertrand le meunier, sans oublier le maire et son coq chéri.

Bref, nous avons affaire à la société traditionnelle dans tous ses stéréotypes. À tel point que certains blogueurs, dont Sophie-Geneviève Labelle, dénoncent le caractère «sexiste», «hétérocentriste» et «archaïque» de ce film, soutenant que le «fait de représenter la société traditionnelle québécoise d'une telle manière dans les films pour enfants, en 2014, ne pourrait servir que deux causes : soit sensibiliser les jeunes à un passé archaïque, dégradant pour les femmes et les minorités et rigide dans les rôles de genre, soit en faire un commentaire sur le présent par une relecture du passé». Je ne suis pas entièrement d'accord avec cette analyse.

Une caricature de la société traditionnelle, certes

Si l'on s'en tient à une lecture de premier degré, Le Coq de St-Victor illustre effectivement la société traditionnelle de manière très caricaturée. Les rôles de l'homme et de la femme sont clairement différenciés, et l'homme est présenté comme le «bon père de famille». La femme est souvent dans la cuisine, en train de préparer le repas, tandis que l'homme s'adonne à des tâches requérant un effort physique soutenu. St-Victor est gouvernée par un maire charismatique et bien présent dans le village, qui n'hésite pas à afficher son autorité. Le cosmopolitisme est étranger à St-Victor. Les personnages sont tous blancs, et parlent plus ou moins avec le même accent québécois.

Le maire semble aussi profiter de pouvoirs importants, ne se gênant pas d'investir dans des projets coûteux sans au préalable consulter ses concitoyens. Comme le jour où, pour faire une «surprise» aux habitants de St-Victor, il décide de commander une statue dorée géante en l'honneur du coq de St-Victor. Le hic, c'est que ce coq a la particularité de réveiller les villageois tous les matins, sept jours sur sept, à 4h. Alors, le jour où le maire décide d'acheter, aux frais des contribuables de St-Victor, une statue en l'honneur du coq au cycle de sommeil débridé, on peut s'attendre à ce que les citoyens soient mécontents. Pourtant, dans une société traditionnelle, les villageois se soumettraient à l'autorité et aux décisions du chef. Ce n'est pas ce qu'il se passe à St-Victor.

Mais une caricature qui pose des questions toujours d'actualité

Le soir où les gens de St-Victor découvrent que leur maire a acheté pour le village une statue géante en l'honneur du coq, tout le monde boude la soirée «surprise» organisée par le maire. Le maire tente alors de consoler son coq, essayant de l'assurer que les villageois l'aiment toujours. Malgré toute la bonne volonté du maire, le coq de St-Victor entre en dépression, et commence à réveiller les gens non plus à 4h, mais à 2h du matin! Réunis d'urgence en conseil municipal, les villageois demandent au maire de se débarrasser du coq une fois pour toutes. C'est alors que le maire du village voisin de St-Benoît fait son entrée au conseil municipal, avec une «offre» aux gens de St-Victor. Avec un accent italien et une prestance rappelant celle de la mafia, le maire de St-Benoît propose à St-Victor d'échanger le coq pour l'âne de St-Benoît. Un âne qui, selon les propos de l'intéressé, apporte bonheur et prospérité. Sous un élan populiste, l'assemblée citoyenne de St-Victor accepte l'offre.

Les jours suivants, St-Victor s'enfonce dans une zizanie grotesque. Plus personne ne se lève à 4h du matin, et les gens font la grâce matinée. La boulangerie n'ouvre plus ses portes, l'épicier ne vend plus de fruits et légumes frais, et le docteur préfère dorénavant aller à la pêche plutôt que de s'occuper de ses patients. Que s'est-il passé? Mon analyse est la suivante: habitués pendant des années à recevoir des consignes «d'en haut», les villageois de la société traditionnelle de St-Victor se disent que, l'âne devant apporter bonheur et prospérité et le coq n'étant plus, tout devrait naturellement aller mieux. Comme si le bonheur et la prospérité d'une société pouvaient se résumer à une histoire de coq et d'âne.

La vie à St-Victor va de plus en plus mal jusqu'au jour où des citoyens prennent l'initiative, par eux-mêmes, sans attendre de recevoir d'ordres du maire, de se rendre à St-Benoît pour récupérer le coq. Car, se disent-ils, «c'était finalement mieux avant». À St-Benoît, c'est une tout autre vie. Les gens se sont adaptés au cri matinal du coq. Ils se lèvent très tôt le matin, ce qui leur permet de terminer leur journée de travail plus tôt, faire une sieste et festoyer en soirée. Pour eux, le coq n'est pas un problème: c'est un ingrédient de cohésion sociale. Et, à la différence des gens de St-Victor, les citoyens de St-Benoît respectent et adorent le coq. Ce n'est pas seulement le coq du maire, c'est leur coq (ils lui ont même donné un nom). Les citoyens de St-Victor repartent donc de St-Benoît non pas avec leur ancien coq, mais avec le bébé du coq, prêts à relancer St-Victor sur de nouvelles bases. La vie reprend à St-Victor, qui est redevenue heureuse et prospère, malgré le retour d'un coq.

Les leçons que je retiens de ce long-métrage:

  • Éviter de faire porter tous les maux d'une société sur un bouc émissaire. Dans la société traditionnelle de St-Victor, le bouc émissaire est le coq.
  • Éviter de croire qu'une solution simpliste peut régler tous les problèmes. À St-Victor, la solution simpliste est l'acquisition de l'âne en échange du coq.
  • Ne pas se laisser corrompre par des grands orateurs qui vous promettent bonheur et prospérité pour une histoire de coq et d'âne.

Mettant en scène une société traditionnelle, Le Coq de St-Victor aborde néanmoins des thèmes qui sont toujours d'actualité. L'idée de «faire un commentaire sur le présent par une relecture du passé» n'est donc pas une mauvaise idée, car le présent n'est pas totalement étranger au passé. Une parabole pour les grands, un dessin animé divertissant (et utile) pour les enfants.

Ce billet a initialement été publié dans le Prince Arthur Herald.

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