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Rehtaeh Parsons était ma fille

RÉTRO 2013 - Rehtaeh est morte le 7 avril à 23h15. Elle avait 17 ans. Elle s'est éteinte alors qu'elle tentait de demeurer en vie, une lutte qu'elle menait depuis 18 mois. Jusqu'au dernier moment, elle s'accrochait à la vie, jusqu'au moment où les infirmières nous ont dit que si nous n'acceptions pas de la déclarer cliniquement morte rapidement, elle ne pourrait plus être candidate au don d'organes. Nous ne pouvions plus attendre et elle ne pouvait plus vivre ainsi. C'est à ce moment précis qu'il y a eu un changement dans sa tension artérielle, juste au moment où ce qui lui restait de fonctions cérébrales a rendu l'âme. Elle savait que c'était le temps de partir, de lâcher prise et de trouver enfin la paix.
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Ma fille n'avait que trois ans lorsque je l'ai emmenée voir le film Babe: un cochon dans la ville. Dans le film, Babe renverse accidentellement le bocal du poisson rouge, qui frétille sur le plancher. À ce moment, Rae a bondi sur son siège et a hurlé, demandant que quelqu'un aide ce pauvre poisson. Elle pleurait et je l'ai rassurée que Babe allait aider le poisson (Dieu merci, il l'a fait!) et que tout irait bien pour lui.

Pour moi, c'est l'anecdote qui explique le mieux la personnalité profonde de ma fille, et elle a été fidèle à cette nature toute sa vie. Impossible pour nous de prendre une marche à Halifax sans qu'elle me demande de la monnaie pour aider un sans-abri ou quelqu'un dans le besoin. Si une personne ou un animal avait besoin d'aide, elle était là. Elle a déjà téléphoné au service du contrôle des animaux pour signaler que nos voisins avaient laissé leur chien dehors trop longtemps. Sa chambre, et sa vie, étaient remplies de toutes sortes de petites créatures.

Parfois, elle avait un trop grand coeur, assez pour que ça m'effraie.

On dit que les parents doivent élever leurs enfants, mais c'était souvent Rehtaeh qui m'apprenait les choses de la vie. Elle était mon trésor, ce à quoi je tenais le plus au monde.

Il y a dans ma maison une boîte en bois qui contient tous les souvenirs de ma merveilleuse petite fille. Le pyjama qu'elle portait en rentrant de l'hôpital à sa naissance, l'empreinte de sa main dans un morceau de terre glaise, des dessins et autres oeuvres d'art faits à l'école, bref, tout plein de petits souvenirs des étapes de sa vie. Il y a même un journal du jour où elle est arrivée parmi nous sur cette terre, le 9 décembre 1995.

Je gardais ces souvenirs dans le but de lui remettre un jour, lorsqu'elle serait devenue une adulte et une maman. Ce jour n'arrivera jamais.

Rehtaeh est morte le 7 avril à 23h15. Elle avait 17 ans.

Elle s'est éteinte alors qu'elle tentait de demeurer en vie, une lutte qu'elle menait depuis 18 mois. Jusqu'au dernier moment, elle s'accrochait à la vie, jusqu'au moment où les infirmières nous ont dit que si nous n'acceptions pas de la déclarer cliniquement morte rapidement, elle ne pourrait plus être candidate au don d'organes. Nous ne pouvions plus attendre et elle ne pouvait plus vivre ainsi. C'est à ce moment précis qu'il y a eu un changement dans sa tension artérielle, juste au moment où ce qui lui restait de fonctions cérébrales a rendu l'âme. Elle savait que c'était le temps de partir, de lâcher prise et de trouver enfin la paix.

C'était tout à fait typique d'elle de s'accrocher comme ça jusqu'à la dernière seconde, nous donnant la chance de lui tenir la main, d'essuyer ses larmes et d'embrasser son visage si magnifique une dernière fois.

Je sais au plus profond de moi que j'ai fait tout ce que je pouvais pour sauver la vie de ma fille.

Je lui ai demandé à d'innombrables reprises ce que je pouvais faire pour elle, si j'en faisais assez, ce dont elle avait besoin. Elle me disait qu'elle avait besoin que je sois son papa, que je la fasse rire, que je fasse tout ce que je pouvais pour rendre sa vie la plus normale possible. Elle me disait que ces petits gestes l'aidaient plus que je pouvais l'imaginer.

Je priais afin que le pire ne se produise pas. Nous allions rencontrer un psychothérapeute ensemble; parfois j'étais son chauffeur, parfois j'étais son père et parfois aussi j'étais son psychothérapeute.

Le pire cauchemar de ma vie vient de commencer. J'aimais ma magnifique fille de tout mon être, elle était ce que j'avais de plus cher au monde. Son coeur battait dans mon âme dès sa naissance et jusqu'à sa mort. Nous étions une équipe, les meilleurs amis du monde. On pouvait passer des heures sur le divan à rire aux larmes jusqu'à l'épuisement. Lorsque nous n'étions pas ensemble, elle m'envoyait un SMS tous les jours, ne serait que pour dire «Bonjour! Je t'aime!» La vie que j'ai partagée avec ma fille était peu commune, elle était magnifique et m'habitait complètement. Elle me définissait, embellissait et enrichissait ma vie.

Elle était simplement magnifique.

Hier, j'ai posé les yeux sur une autre boîte de bois, celle qui contiendra ses cendres. Je déteste cette boîte.

Il fallait que j'exprime ces sentiments, afin que sa vie ne se résume pas à une recherche sur Google au sujet du viol ou du suicide. Je veux qu'on se souvienne de sa grandeur d'âme et de sa générosité, de son sourire, de son amour de la vie et de la façon magnifique dont elle a vécu la sienne.

Aujourd'hui, j'ai appris que le cœur de ma fille a sauvé la vie d'une jeune femme. Le hasard fait bien les choses, on dirait.

Elle a également donné un nouveau foie à quelqu'un d'autre, un nouveau rein, un nouveau souffle, une deuxième chance d'aimer. Son dernier geste de compassion a redonné vie à quatre personnes. Elle était magnifique à ce point-là.

Il y a même quelqu'un sur cette planète qui va voir le monde avec les yeux de ma fille, les plus beaux yeux que je n'ai jamais vus.

Au ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse

Rehtaeh Parsons craignait le pire dans son dossier: qu'aucune accusation ne soit portée contre ses agresseurs, mais nous savions qu'il n'en était rien. Ce qui pouvait arriver de pire c'était justement que des accusations soient portées, qu'un verdict de culpabilité soit rendu et que Rehtaeh assiste à la comparution sur sentence pour entendre, incrédule, qu'ils allaient bénéficier d'une condamnation avec sursis, d'une libération sous condition ou d'une peine à purger dans la communauté, et tout ça pour avoir détruit sa vie le sourire aux lèvres et s'esclaffant.

Ils n'ont pas seulement pensé qu'ils s'en tireraient; ils savaient qu'ils s'en tireraient. Ils ont même pris des photos et les ont mises sur leurs profils Facebook. Ils les ont envoyées par courriel à Dieu sait qui. Ils ont tout partagé avec le monde entier comme s'il s'agissait d'un clip amusant.

Comment quelqu'un peut-il laisser une trace numérique pareille derrière lui, mais la GRC affirme n'avoir aucune preuve incriminante? De quoi la GRC avait-elle besoin si des photos et des vantardises ne suffisent pas?

Pourquoi cet incident a-t-il été traité comme un incident mineur d'intimidation plutôt que comme un viol? Est-ce que la production et la distribution de matériel pornographique avec des mineurs n'est plus un crime dans notre pays? Plusieurs personnes ont reçu cette photo. La police a cette information en main, ou du moins nous a dit qu'elle l'avait. Lorsqu'une personne affirme avoir été violée, est-il normal qu'elle doive attendre des mois avant que la police prenne sa déclaration?

Vous avez ici, monsieur le ministre, une belle occasion de poser un geste positif et, soyons honnêtes, le système judiciaire de la Nouvelle-Écosse n'aurait représenté pour elle rien de moins qu'un deuxième viol à cause de l'indifférence face à la souffrance de ma fille et des torts que tout cela lui a causés.

Ma fille n'a pas été intimidée à mort, elle a été déçue à mort. Déçue par les gens en qui elle croyait pouvoir faire confiance: son école et la police.

Elle était ma fille, mais elle était votre fille aussi.

Pour l'amour de Dieu, faites quelque chose.

P.-S. Plusieurs médias de partout à travers le monde sont entrés en contact avec moi et, ayant déjà été membre des médias moi-même, je comprends pourquoi vous désirez me parler. Vous avez tous été courtois, professionnels et respectueux, mais sachez ceci: je ne ferai aucune autre déclaration. Je suis trop dévasté.

Je suis mort, à l'intérieur.

Des images de la vie de Rehtaeh Parsons, réunies par nos collègues du HuffPost Canada

Rehtaeh Parsons

Rehtaeh Parsons: A Life In Photos

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