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Falsification de comptes: les statistiques pour déceler les pays fraudeurs

La Chine et la Grèce font partie des nations soupçonnées d'avoir falsifié délibérément leurs statistiques, entre autres pour attirer les investissements ou maintenir leur taux d'emprunt au minimum. Une politique gouvernementale frauduleuse indétectable... jusqu'alors!
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Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

La Chine et la Grèce font partie des nations soupçonnées d'avoir falsifié délibérément leurs statistiques, entre autres pour attirer les investissements ou maintenir leur taux d'emprunt au minimum. Une politique gouvernementale frauduleuse indétectable... jusqu'alors! Car nous avons développé un nouvel outil statistique qui permet en effet désormais de repérer des fraudes.

L'Argentine a longtemps été suspectée de minimiser l'ampleur de son inflation pour éviter la hausse du taux d'intérêt de ses emprunts. La Grèce et l'Italie ont quant à elles été accusées de maquiller le déficit de leur finances publiques pour rejoindre la zone euro et assurer au gouvernement et aux investisseurs des taux d'emprunt modérés. La Chine a elle aussi été soupçonnée de gonfler les résultats de sa croissance. La liste est longue; de plus en plus de pays camouflent les lacunes de leur économie. L'objectif est très souvent d'attirer les investisseurs et d'obtenir des conditions de financements avantageuses pour rembourser leur dette.

Il est difficile dans cette atmosphère de suspicion de distinguer les véritables erreurs de comptabilité des tentatives délibérées de fraude. Peu d'études traitent de la fiabilité de la gestion des comptes étatiques, mais nous avons réussi à développer un outil statistique capable de repérer des groupes de tricheurs.

La loi de Benford

Nous avons rassemblé et soumis à un test statistique les données relatives à la balance des paiements trimestrielle de plus de 100 pays sur une période de 20 ans (1989 à 2007). Ces données, qui permettent aux investisseurs de connaître la compétitivité et la solvabilité des pays, sont communiquées par le Fonds Monétaire International.

Théoriquement, les chiffres en tête des nombres obtenus grâce au test devaient suivre un schéma de répartition spécifique se conformant à la loi de Benford. Celle-ci énonce que, dans une liste de données statistiques, le 1er chiffre non nul le plus fréquent est le 1 (pour près du tiers des observations), puis le 2 qui est lui-même plus fréquent que le 3 (la probabilité d'avoir un 9 comme premier chiffre significatif tombant à 4,6%).

Cette loi statistique peut s'appliquer autant aux flux de capitaux, aux adresses qu'aux superficies de rivières et elle est très efficace dans l'étude des séries économiques dont les valeurs s'accroissent de façon exponentielle en fonction de l'inflation ou de la croissance. Pour illustrer ce dernier fait: prenez le nombre 100 et ajoutez-lui 3%. Dans le temps nécessaire pour atteindre 200, le premier chiffre de votre résultat sera 1, mais après 200, vous devrez ajouter un nombre plus élevé. Ainsi, cela prendra moins de temps pour que votre premier chiffre passe de 2 à 3, et ainsi de suite.

En revanche cette loi est applicable seulement à partir d'une certaine quantité de données. Elle a permis de détecter la manipulation de chiffres dans les domaines de l'audit et de la comptabilité depuis 1990. En appliquant cette méthode aux chiffres standardisés de balance de paiements, nous avons découvert qu'un certain nombre de pays falsifiaient leurs données macroéconomiques. Si la méthode ne permet pas d'évaluer précisément la fraude, en regroupant les pays selon des caractéristiques comme leur taux de change et leurs avoirs en devises étrangères, il est possible d'identifier des schémas de répartitions statistiques révélateurs de tricherie.

Qui sont les (groupes de) fraudeurs?

La première catégorie de pays dont les données économiques ne se conformaient pas à la loi de Benford utilisait un régime de change fixe, et plus encore, à l'intérieur de ce groupe, les pays favorisant les flux de capitaux libres. Ces pays ont beaucoup à gagner en maquillant leurs comptes. Ils sont très exposés à la crise économique en cas de dévaluation de leur monnaie. La balance de paiements est particulièrement importante pour ces pays. Les investisseurs peuvent mesurer l'étendue de leur déséquilibre externe en étudiant leurs besoins d'emprunter, les éléments de leur politique financière nationale et la présence d'argent illégal au sein de leur économie. Tous ces paramètres affectent la capacité de leur banque centrale à défendre leur monnaie en cas de crise.

En revanche, la distribution des données répondait à la loi de Benford dans les pays utilisant un régime de change flottant. L'autre catégorie de pays dans laquelle les données économiques ne se conformaient pas à la loi de Benford connaissait un "déficit de leur compte courant". Ces pays avaient eux aussi intérêt à apparaître plus stables et solides qu'ils ne le sont véritablement : quand vous empruntez de l'argent au reste du monde, vous ne voulez pas montrer votre vulnérabilité. Un effet similaire peut être observé dans la plupart des pays accusant un déficit de leurs avoirs extérieurs nets.

Une explication culturelle à la triche?

D'un point de vue géographique, de nombreux pays africains, du Moyen-Orient, mais aussi latino-américains révèlent des données économiques en désaccord avec la loi de Benford. Cette fraude est un problème d'ordre économique et non culturel. En effet, la tentation de truquer les comptes dépend des difficultés économiques que rencontre le pays: au dernier trimestre 2008, certains pays comme l'Ukraine et la Slovaquie ont ainsi refusé de publier leurs données afin d'éviter une crise monétaire et l'aggravation de leur dette. Dans un tel contexte, les chiffres signifient-ils encore quelque chose? Pour autant, il est impossible de tout dissimuler, d'autant plus que les investisseurs sont très méfiants. Il est important de noter que ces pratiques sont aussi communes dans les pays riches. L'Allemagne en est un bon exemple; il lui arrive de redéfinir les critères du chômage pour améliorer ses statistiques.

Applications dans l'entreprise

Etant donné l'importance de ces signaux économiques, il serait urgent de créer une agence de statistiques indépendante, sur le modèle de l'Eurostat de l'Union Européenne, pour assurer la qualité et la fiabilité des données macroéconomiques, même s'il est difficile de s'assurer des conditions d'une réelle indépendance. Une telle agence dépendrait obligatoirement des gouvernements ou bien d'effectifs sur le terrain en charge de recueillir les informations : concernant l'inflation, n'importe qui peut reporter les prix des biens de consommation en écumant les supermarchés. En revanche, il est plus difficile de rassembler des données macroéconomiques. Les transactions telles que la balance des paiements d'un État sont des informations gouvernementales plus difficiles à regrouper.

Pour aller plus loin Lire l'étude

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Spécialisé dans l'enseignement et la recherche en management, HEC Paris offre une gamme complète de formations. Créé en 1881 par la CCI de Paris, HEC rassemble 110 professeurs permanents, 4000 étudiants et 8500 cadres et dirigeants en formation chaque année.

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